Des autochtones colombiens en "médecins" au chevet du Rhône

"Munkulaxka": le lieu qu'il faut laisser croître. C'est ainsi que les Kogis, peuple autochtone millénaire de Colombie, ont nommé la confluence du Rhône et de l'Ain, à l'issue d'une visite...

Des membres du peuple autochtone Kogis de Colombie devant le Rhône, le 3 octobre 2023 à Saint-Maurice-de-Gourdans, dans l'Ain © OLIVIER CHASSIGNOLE
Des membres du peuple autochtone Kogis de Colombie devant le Rhône, le 3 octobre 2023 à Saint-Maurice-de-Gourdans, dans l'Ain © OLIVIER CHASSIGNOLE

"Munkulaxka": le lieu qu'il faut laisser croître. C'est ainsi que les Kogis, peuple autochtone millénaire de Colombie, ont nommé la confluence du Rhône et de l'Ain, à l'issue d'une visite menée avec des scientifiques cette semaine.   

A Saint-Maurice-de-Gourdans (Ain), le Rhône est resté incroyablement sauvage: ses eaux vives céladon et ses abords couverts de roseaux tranchent avec un fleuve largement corseté par des berges artificielles, régulé par des barrages, pollué par les activités industrielles.

Sur la rive empierrée, cinq représentants du peuple Kogi, entièrement vêtus de blanc, sont assis, touchent l'eau et discutent. 

Pour ces héritiers de la civilisation pré-colombienne des Tayronas, la confluence de l'Ain et du Rhône, bien que vivace et verdoyante, est un "point rouge": un point de grande vulnérabilité. A l'issue de la matinée, ils recommandent de "laisser vivre" ce qui est un des derniers tronçons du Rhône sauvage.

"En quelques phrases, ils ont réussi à poser presque un diagnostic sur une réalité avérée alors qu'ils n'ont jamais mis les pieds ici. C'est assez stupéfiant", s'étonne Samuel Monnet du syndicat de rivière SR3A et fin connaisseur du lieu. 

Le "diagnostic de santé territoriale" des Kogis s'inscrit dans le cadre d'une coopération avec des scientifiques internationaux impulsée en 2009 par un géographe français, Eric Julien, fondateur de l'association Tchendukua qui accompagne le peuple Kogi dans le rachat de ses terres.

C'est elle qui finance le voyage en partenariat avec l'ambassade de France en Colombie mais aussi avec l'Unesco, qui a inscrit les connaissances Kogi au patrimoine mondial et appuie le recours au savoir des peuples autochtones en matière de préservation de l'environnement.

Trois Etats américains appliquent déjà de telles techniques pour mieux préserver les forêts.

Le poumon du fleuve

Après un premier voyage en France en 2018, les Kogis ont à nouveau quitté leurs terres de la Sierra Nevada de Santa Marta pour venir ausculter le Rhône, de sa source à son embouchure. Un livre collectif, un film ainsi que des conférences sont prévus pour documenter leur expédition.

Au bord de l'eau, Arregocès Conchacala Zalabata, gouverneur du peuple Kogi, explique parcourir le "corps" du fleuve "comme un médecin". "On a commencé par la tête avec le glacier (en Suisse), on a regardé son coeur (le lac Léman) et maintenant le poumon".

Les rivières qui se jettent dans le Rhône "sont comme des millions de veines" qui l'irriguent. Elles "ont une fonction que nous ne connaissons pas. Ces petites pierres sont des êtres. Elles ont un rôle à jouer", poursuit-il.

"On peut considérer ces images comme poétiques, mais ce qui est intéressant, c'est que je peux les retrouver en tant que géographe", s'enthousiasme Jean-Louis Michelot, qui suit les Kogis pendant leur voyage. 

"Si j'en parle de façon technique, l’Ain amène des graviers et ces graviers c'est une respiration de la rivière puisque le Rhône peut en faire des îles, des nouveaux bras, des nouveaux paysages", ajoute l'auteur de l'ouvrage "Sur le Rhône".

Hyperspécialisation

Les Kogis n'ont pas de mot pour dire "nature", puisqu'elle n'est pas une entité "séparée" de leur propre corps. La terre est un organisme vivant, dont les rivières sont le sang, le vent le souffle, les arbres le système pileux. 

Formés depuis leur naissance et pendant 18 ans dans le noir, leurs autorités spirituelles, les Mamos, acquièrent la sensibilité nécessaire pour communiquer avec la "Mère Terre".

"On vit dans un monde d'hyperspécialistes, qui ne regardent que de petits bouts" des problèmes, regrette Jean-Louis Michelot. Eux "ont une vision globale et ça nous fait du bien". 

Face aux "dégâts" commis jusqu'ici et aux conséquences globales du réchauffement climatique, "la seule solution c’est de s'unir", plaide Arregocès Conchacala Zalabata, qui voit sa visite comme une main tendue et non comme une leçon. 

"La seule chose à faire, c'est protéger les montagnes et la forêt, régénérer les espaces, poursuit-il. On a besoin d'une information de base, solide. Cette information, c'est pas sur internet, elle est dans les terres, dans les rivières, dans l'espace." 

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