De bonnes nouvelles pour la cession d'entreprise

 

Anne Henry-Castelbou

Frédéric Roussel, notaire à Lille : “Cet article 19 qui a failli passer, doit être considéré comme une alarme rouge pour tout le monde.”

 

L‘article 19 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 a fait bondir plus d’un notaire et chef d’entreprise. Elle visait à taxer la cession de titres qu’un chef d’entreprise avait préalablement transmis à ses enfants lors d’une donation. Aujourd’hui, lorsqu’un entrepreneur souhaite céder son affaire, plusieurs options se présentent à lui. Soit il la vend directement à un repreneur et paye 19% d’impôt sur le revenu et 15,5% de prélèvements sociaux au titre de la plus-value réalisée, soit 34,5% de taxation, et cela indépendamment de tout régime de faveur éventuel (ex : retraite dans les deux ans). Soit il donne partiellement les titres à ses enfants, à charge pour eux de les vendre à un repreneur, pour la même valeur. Dans ce cas, la donation étant un acte de disposition à titre gratuit et un appauvrissement personnel, le chef d’entreprise ne reçoit aucune somme. Il n’y a donc pas de plus-value réalisée et les enfants ne payent alors que des droits de succession, bien inférieurs à l’impôt sur plus-value. Tout l’intérêt de ce schéma d’optimisation fiscale est de ne pas grever le produit de la vente des titres des 34,5% de prélèvements, mais aussi d’anticiper intelligemment la transmission de partie de son patrimoine. Une alternative fréquente consiste également à donner la nue-propriété des titres. Dans ce cas, le produit de la cession ultérieure est réinvesti sur un support financier ou sociétaire avec maintien du démembrement, permettant d’assurer aux parents un complément de retraite.

 Dons manuels dans le collimateur. Or, la troisième loi de finances rectificative pour 2012 visait à taxer la cession des titres en neutralisant toute donation effectuée : si les enfants cédaient leurs titres dans les 18 mois de la donation, ils auraient dû payer 34,5% d’impôt sur tout ou partie de la plus-value constatée entre la valeur de la vente et la valeur d’entrée des titres dans le patrimoine du donateur. Pour Frédéric Roussel, notaire à Lille, «le projet du gouvernement visait notamment les dons manuels, qui ne se font pas devant le notaire, non légaux pour des donations de titres au sens du code civil mais admis par le code général des impôts. Ces donations manuelles se font théoriquement de la main à la main, ce qui est juridiquement impossible avec des titres dématérialisés, et trop souvent c’est un simple tour de passe-passe : les enfants ne touchent pas à l’argent qui est très rapidement récupéré directement ou indirectement par le donateur. En fait, ces donateurs-là n’ont aucunement l’intention de donner ! C’est justement le rôle du notaire que de vérifier l’intention libérale du donateur. Donner − s’appauvrir − c’est un acte grave, solennel, définitif.»

 L’article 19 de la troisième loi de finances rectificative pour 2012 a été finalement censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2012-661 du 29 décembre 2012. Il constate que «cette orientation faisait peser sur le donataire de valeurs mobilières une imposition sans rapport avec sa situation, mais liée à l’enrichissement du donateur antérieur au transfert de propriété des valeurs mobilières. Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, censuré l’article 19 qui entraînait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques».

 Alarme rouge. Néanmoins, Frédéric Roussel, comme d’autres notaires conseillant les chefs d’entreprise, est convaincu que ce schéma d’optimisation fiscale reste dans le collimateur du gouvernement. «Et ce, même si cela est non conforme à la Constitution et aux règles européennes. Nous avons le sentiment que l’Etat n’a pas dit son dernier mot pour neutraliser ce qu’il considère – à tort − comme une niche fiscale. Cet article 19 qui a failli passer doit être considéré comme une alarme rouge pour tout le monde.» Si une nouvelle disposition de ce genre devait finalement passer, il est évident que cela perturberait énormément les chefs d’entreprise sur le point de céder. Et le marché de la cession/transmission s’en trouverait fortement affecté. «Qu’on cesse cette instabilité fiscale ! Depuis 2007, les gouvernements successifs n’arrêtent pas de remettre en cause les règles de droit fiscal. Comment, dans ces conditions, mettre en place des stratégies de long terme destinées à protéger l’entreprise elle-même !», s’exclame Frédéric Roussel pour qui la transmission d’entreprise doit nécessairement s’anticiper.