Culture et performance dans l'industrie verrière
Six mois après sa reprise officielle par un pool d'investisseurs américains, Arc international a rouvert ses portes à la presse. Probablement plus vite que prévu si l'on en croit les premiers chiffres qui montrent un redressement de l'activité mais donnent aussi l'ampleur des changements à mener pour le trio des cadres dirigeants. Visite partielle de l'usine et discussion à bâtons rompus avec Timothée Durand, Didier Riebel et Tim Gollin.
Cela s’apparente à un réel et profond changement. Chez Arc international, les repreneurs développent leur projet de «transformation du site sur trois ans» selon les dires du directeur général, Didier Riebel. En effet, 58 millions d’investissement sont prévus dans les trois ans : «Notre principal défi est de redynamiser Arc international ; de revenir aux racines du business, quand Jacques Durand a développé le groupe dans les années 80.» A ses côtés, Timothée Durand, fils du dirigeant décédé prématurément, opine du chef. Tim Gollin, PDG du groupe, acquiesce également. «Il faut remettre les gens au travail en production. On vide les bureaux, on sort de la dispersion des effectifs, on crée des équipes-projets proches des opérateurs. La direction n’a pas de bureau et tout le monde a les e-mails de tout le monde, ça paraissait incroyable aux ouvriers que la direction leur réponde directement», explique-t-il avec franchise et pragmatisme. Quand ils ont pris possession du site, les nouveaux dirigeants ont eu des surprises : huit niveaux successifs de décision, une «armée mexicaine» dans les bureaux, une organisation «bureaucratique»… «Le taux d’encadrement était trop élevé. Il faut l’aplatir. Le personnel était un peu étouffé par un management pyramidal, on pointait encore sur des fiches !», ajoute le directeur général. Une révolution pour le plus grand site industriel du Pas-de-Calais habitué au paternalisme patronal. L’avenir s’écrit désormais dans la performance et le transversal. «A Arc, nous avons 40 professionnels de l’automatisme qui ne partagent pas beaucoup. Il faut développer le désir du partage, de la transmission, impliquer les gens. Montrer que nos métiers sont attractifs», ajoute le PDG. Deux mois après la reprise effective, la production connaît cependant ses premiers ratés avec les ponts de mai dernier : «10 millions d’euros de commandes non livrées : un quart du chiffre d’affaires mensuel», explique Didier Riebel. La direction envisagerait-elle de revenir sur les 35 heures ?
Une ressource humaine qui se renouvelle. «La durée légale du travail ne sera pas modifiée. Mais passer de 13 à 10 jours de RTT dans l’année, ce n’est pas la fin du monde», assure Timothée Durand. Changer les mentalités passera également par le renouvellement des salariés : près de 280 personnes ont quitté l’entreprise depuis le début du plan de sauvegarde de l’emploi (PDE qui court jusque 2016) ; une centaine de licenciements (dont 70 contraints) ont eu lieu ; et nombreux sont les départs dans les services support à la production ainsi que dans la tranche d’âge proche de la retraite. Le renversement est en cours : «nous n’avons que 2 000 personnes sur 5 000 devant les machines. C’est beaucoup moins que sur nos autres sites dans le monde», fait observer Tim Gollin. Certes, il en faut 900 à la maintenance et l’entretien de l’outil industriel. «Nous changeons le centre de gravité de l’entreprise. La direction est itinérante», ajoute Timothée Durand. Plus profond encore, le levier démographique jouera à plein. Une centaine de préretraités sont partis ; d’ici cinq ans, ce sont plus de 1 000 personnes qui les auront rejoints. De plus, dans la prochaine décennie, plus de la moitié des personnels aura l’âge de la retraite… Pour faire face, la direction procède à des embauches : «nous avons un programme de 160 jeunes en contrat d’alternance dans les cinq ans. (…) Plus d’une centaine de contrats nouveaux ont été signés (dans le cadre du PSE)», énumère Didier Riebel. «Si nous passons au-dessus de 200 000 tonnes, nous créerons de l’emploi», appuie Tim Gollin. C’est l’autre versant de la réussite d’Arc international, notamment en France. Car, depuis la reprise, les résultats sont encourageants quoique encore contrastés.
Démographie, coût et méthode de vente. Le business model du géant verrier est simple : la capacité de production totale du site d’Arques est de 400 000 tonnes/an. Le site n’en sort que 200 000. Sur d’autres sites, les rendements sont à 85% des capacités… Bien sûr, les surplus sont réinjectés, mais la perte et les coûts fixes plombent l’exploitation du site. «Plus le site est grand, plus l’effet des coûts fixes est accentué», souligne Didier Riebel. Optimiser la chaîne logistique est également au programme ; la direction veut passer d’un rythme de livraison de 45/60 jours à 15 jours pour certains produits et de 15 jours à 3 jours pour d’autres. Ce changement de rythme devra être réalisé d’ici trois ans. Les économies seront aussi de rigueur, notamment sur la masse salariale qui va baisser d’une «vingtaine de millions d’euros» en année pleine. Plus ambitieux, «nous renouvelons toutes les marques à travers au moins un quart des produits ; chaque marque aura de nouveaux produits», révèle Timothée Durand, toujours garant du slogan historique : «Le beau à la portée de tous». Autre chantier conséquent, les prix, «totalement déconnectés du marché» : jusque 30% plus cher que la concurrence, de l’aveu même des dirigeants. Il faudra réduire la part non productive du produit comme l’emballage (20% du coût de production) qui est en voie de standardisation. «Le prix du produit est beaucoup plus petit que l’ensemble des autres coûts comme le transport, l’emballage, la livraison. Hors usine, il y a 85% de la valeur», analyse Tim Gollin. Mais le groupe se défend de vouloir internaliser, il veut surtout réduire la chaîne. «A chaque fois qu’on touche le produit après production, ça coûte 200 euros la tonne. On veut mettre en place le lean manufactoring», pointe le PDG. Pour remédier à cette déperdition récurrente, il compte sur de nouvelles pistes commerciales, notamment avec la grande distribution, comme les Français Auchan et Carrefour, ou encore le Britannique Tesco. Le B to B s’enrichira certainement des enseignes comme Heineken ou Coca-Cola. De quoi tirer vers le bas le prix des grossistes. «Le prix au consommateur final doit baisser et les ventes, augmenter», affirme Tim Gollin.
Des résultats financiers à suivre ? Arc international a stoppé sa décrue (1,1 milliard en 2011, 978 millions en 2012, 901 millions en 2013), avec un résultat opérationnel qui devrait être bénéfique dès cette année. «Nous sommes autour de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2015. On n’aura pas de profitabilité en cash, mais nous obtiendrons des résultats fermes en 2016 ou 2017», indique Didier Riebel. La fin d’un remboursement d’un prêt-relais de l’Etat lors de la reprise (pour 48 millions d’euros) améliorera également les comptes. Si le site français peine toujours (-1,3% de vente), les autres sites du groupe se tiennent bien, notamment en Asie/Pacifique et aux Etats-Unis. L’avenir à l’international se jouera aussi en Iran : «en 2011, on facturait 150 millions d’euros en Iran», se désole Timothée Durand. La levée de l’embargo devrait rouvrir ce marché prometteur, porte ouverte vers l’Asie centrale. Les élus du Pays audomarois l’ont bien compris, tel François Decoster, maire de la ville-centre et président de la CASO, qui est intervenu auprès du quai d’Orsay pour emmener les dirigeants d’Arc international à Téhéran. Mais il faut aussi une dose de chance pour réussir et Arc international a bénéficié d’une conjoncture favorable avec un prix de l’énergie en baisse (il représente jusqu’à 50% des coûts) et un taux de change qui lui a permis de dégager de l’excédent d’exploitation cette année (entre 10 et 20 millions d’euros). Rapide, cette reprise augure donc d’autres bons résultats, surtout si l’usine arquoise inspire les autres sites.
Une reprise synonyme de relance
Autorisée par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en mars dernier, la reprise d’Arc international a fait l’objet d’une recapitalisation de 58 millions d’euros contre l’abandon de la dette de 280 millions d’euros. Dans la reprise, le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit la suppression de 556 postes contrebalancés par la création de 233 nouveaux emplois. Les effectifs de cette entreprise qui est à une décennie de son second centenaire ont fondu depuis le premier plan social de 2004 (près de 6 000 postes supprimés). Aujourd’hui, Arc international dispose d’un peu moins de 6 000 salariés en France et de 5 000 à l’étranger dans ses usines américaine, émiratie et chinoise. Depuis 2011, son chiffre d’affaires se contracte, passant de plus d’un milliard d’euros à moins de 900 millions d’euros. La décrue est en passe de s’achever dès 2015.