Consensus ou désunion pour le futur grand EPCI ?

Quid de la création d’un grand EPCI pévèlois ? Les vifs débats à l’approche de la décision finale montrent que, malgré la qualité du travail de la CDCI, le dialogue a souvent ignoré la base. En Pévèle, les élus locaux se rebiffent. En sera-t-il autrement ailleurs dans le Nord ?

Une salle du PACBO d’Orchies qui a chaudement participé à cette présentation du rapport KPMG
Une salle du PACBO d’Orchies qui a chaudement participé à cette présentation du rapport KPMG
D.R.

Les présidents de CC réunis à Orchies ont argumenté différemment parfois…

Fin décembre, quelques jours avant les derniers votes des conseils municipaux des communes du Nord validant ou non le schéma des futures intercommunalités, lui-même issu des nombreuses réunions de la CDCI (Commission départementale de coopération intercommunale) avec le préfet, les présidents des intercommunalités de la Pévèle ont présenté à Orchies leur plan au cas où dans leur périmètre, tout se passerait bien. Ils avaient auparavant confié au cabinet KPMG le soin d’étudier comment seraient réparties les compétences entre le futur EPCI et les communes.

Force est de constater que cet échange a suscité bien des interrogations dans l’auditoire, les unes clairement exprimées, les autres en sourdine. Au point qu’avec un peu de recul, on se demande aujourd’hui où va ce projet d’intercommunalité tant il provoque de questions alors que l’on croyait l’affaire réglée.

Le président de Cœur de Pévèle (CC constituée d’Orchies et Beuvry-la-Forêt), maire d’Orchies, avait en effet annoncé qu’en juillet 2012, les élus de la future communauté de communes de la Pévèle, que d’aucuns baptisent déjà “Grande Pévèle”, se rencontreraient et mettraient tout sur la table pour parvenir à un accord sur le périmètre et la méthode de faisabilité une fois que le préfet aurait pris son arrêté de périmètre au plus tard en mai 2013. Qu’elle ait eu lieu ou non, cette entrevue ne semble pas avoir calmé ceux qui sont opposés à ce projet de Grande Pévèle au point qu’il faut bien constater que les élus pévélois sont divisés.

Le périmètre pose question à Luc Monnet, maire de Templeuve et président de la CC du Pays de Pévèle2, principale entité de ce qui doit un jour peut-être devenir la CC de la Grande Pévèle. Il récuse le choix préfectoral d’inclure dans le futur EPCI la CC du Carembault dont la ville phare est Phalempin, arguant qu’il s’agit là de la Haute-Deûle et aucunement de la Pévèle historique. Puis, plus gênant sur le fond, il déclare sans ambages que certaines CC veulent profiter de ce grand projet d’EPCI fédérateur pour solder des investissements assez lourds à supporter sur le plan financier, à Orchies notamment avec, entre autres, la récente Pévèle Aréna, enceinte sportive de 5 000 places assises, ultra-moderne, à vocation régionale et nationale pour les sports indoor et les spectacles. Luc Monnet mentionne aussi le fait que beaucoup d’équipements structurants décidés et financés par sa seule CC du Pays de Pévèle passeraient ainsi dans le domaine intercommunal par un simple coup de baguette magique, un manque à gagner qui le pénaliserait alors qu’il a consenti beaucoup d’efforts et supporté l’essentiel de l’installation du Pays pévélois à Templeuve. Luc Monnet n’a pas obtenu du préfet la mise en œuvre de la loi Pélissard accordant un an de réflexion supplémentaire aux élus qui souhaiteraient que l’on remette tout à plat avant de décider de telle ou telle intercommunalité. Ce qui induit que depuis 2006, quand les bases du Pays pévélois ont été posées, les élus de la Pévèle ne se sont pas beaucoup parlé, à tout le moins au sujet d’une éventuelle grande CC, donnant enfin à la Pévèle une existence juridique et administrative méritée.

Si le dossier pévélois est local, son intérêt réside dans le fait que le cas d’école qu’il constitue peut se reproduire ailleurs dans le Nord et la région. Car, outre les objections formulées par Luc Monnet, la “construction” de la Grande Pévèle, terme semble-t-il en passe d’être adopté par les élus et les habitants, emprunte une voie que d’aucuns contestent aussi…

Le futur EPCI rassemblerait donc 38 communes pour 90 000 habitants, régularisant au passage la curieuse situation de Pont-à-Marcq qui n’a jamais voulu adhérer à la moindre CC alors qu’elle est située en plein centre de la CC de Luc Monnet. Depuis, la loi a réglé le cas. Outre les 3 CC déjà citées, cet EPCI doit rassembler les CC d’Espace en Pévèle (Nomain) et de Sud-Pévèle (Thumeries).

 Leurs présidents ont mandaté le cabinet KPMG pour examiner quelles compétences hors des deux obligatoires − les facultatives et les optionnelles donc − seraient transférées par les communes à l’EPCI central ou abandonnées, en fonction de l’intérêt communautaire exigé par la loi. Les dotations financières attachées à ces compétences “voyageraient” des communes à l’EPCI ou le contraire. Il apparaît que financièrement, l’opération Grande Pévèle est positive, un excédent de moins d’un million d’euros étant détecté3. Mais, questionnent in petto les opposants, les “bonnes questions” ont-elles été posées à KPMG par les élus qui n’ont pas soumis préalablement leur initiative vers ce cabinet aux petits élus de terrain et ont immédiatement constitué un comité de pilotage et un comité technique avec KPMG ?

Autre interrogation de taille, le délai que se donnent les élus pour constituer leur grand EPCI : deux ans à compter de l’arrêté de périmètre préfectoral, une fois donc les prochaines municipales (en mars 2014) digérées et les représentants communautaires élus par leurs communes. Peut-être plus aussi si les choses se compliquent en interne…

Le calendrier joue là un grand rôle : après les conseils municipaux des communes du Nord chargés d’approuver le schéma départemental (fait le 21 décembre 2012), le préfet aura pris ses arrêtés de périmètre le 31 janvier 2013, laissant aux EPCI le soin de s’organiser pour le reste. Les cas litigieux, peut-être la Pévèle, seront réglés à l’amiable ou ex abrupto au plus tard le 31 mai 2013. L’entrée en vigueur des nouveaux EPCI devrait intervenir après les municipales, certains pensent à 2015 mais ce n’est pas obligé. Démarre ensuite une période floue durant laquelle les EPCI s’emparent ou non de compétences non obligatoires sachant que l’intérêt communautaire n’est pas défini par la loi.

Les présidents des EPCI pévélois ont d’ores et déjà choisi d’attendre au moins deux ans. Certains ont même parlé de 2017, pendant lesquels les anciennes CC perdureraient tandis qu’on discuterait de la répartition des compétences. “Par prudence” expliquait à Orchies Dominique Bailly, la question de la gouvernance (ndlr :  notamment de la présidence et du siège de la Grande Pévèle) étant remise à plus tard. “Oui, légalement, on peut exister dès que le préfet le dit le 31 janvier 2013. Mais on n’y va pas à la hache, poursuit-il, place à la concertation la plus large possible. Oui à des groupes de travail qui se rapprocheront des deux comités déjà constitués, ils seront les bienvenus, rien ne presse !”

Là aussi, Luc Monnet résiste… “On va discuter et contrairement à ce qui se dit ici à Orchies, le temps presse. A la CC du Pays de Pévèle, on n’est pas du tout opposés à l’élargissement du périmètre malgré un point de désaccord, mais on n’a pas toutes les données en mains et je nous trouve bien optimistes sur nos capacités mais il n’y a pas eu possibilité d’en parler auparavant !” Propos appuyés par un élu local qui remarque que “ce qui compte n’est pas le périmètre mais le projet politique et là on nous demande de voter à l’envers !”

Sur les délais Dominique Bailly reconnaît qu’ils peuvent sembler longs. “Sur un plan personnel, je trouve aussi que c’est long, mais il faut d’abord bâtir un vrai projet politique et donc s’appuyer sur des dynamiques de territoires comme celles de la CCPP. Nous avons le temps et même le droit si la fusion intervient en 2015, en 2016 et 2017 nous pouvons encore définir l’intérêt communautaire !”

 

D.R.

Une salle du PACBO d’Orchies qui a chaudement participé à cette présentation du rapport KPMG.

En fin de compte, difficile d’y voir clair dans une situation où plus le débat public avance, plus on détecte la confusion et les divisions, jusqu’à parfois des positions tranchées comme celle du maire de Camphin-en-Pévèle (appartenant à la CCPP), Michel Dufermont, appelant à la fusion immédiate avec Lille Métropole : “puisque de toute façon dans 20 ans, on le fera”. Opinion (discrètement) partagée par pas mal d’élus en Pévèle. Pour Dominique Bailly, Jean-Luc Detavernier (président d’Espace en Pévèle) et le nouveau venu, le maire de Wahagnies et président de Sud-Pévèle, Jean-Marie Ruant : “Tout est question d’envie et de désir d’aboutir, bâtir cet EPCI est une chance historique à ne pas rater. “

 Effectivement, la Pévèle, qui s’est plainte de ne jamais avoir d’identité reconnue entre Lille, Douai, Valenciennes et Tournai, se voit là offrir sur un plateau une opportunité peut-être pas prête à se représenter. On ne peut, en effet, ignorer qu’en ce moment même à l’Elysée comme à Matignon, on parle de plus en plus de grande métropole européenne et d’eurodistrict élargi englobant tout sans distinction, pour en finir avec ces questions de fusions de territoires et accéder sans traîner au Futur avec un grand “F”… Face à cela, Dominique Bailly et Jean-Luc Detavernier précisent les enjeux pévélois : “Regardons les choses en face. Le Grand Douaisis ne se fera pas, la loi ne nous oblige pas à fusionner sauf Pont-à-Marcq. Nous sommes idéalement placés dans un triangle magique, structurons-nous, faisons-nous entendre, on a quatre ans pour ça. Montrons que nous ne sommes pas simplement un EPCI de services à la population (comme le transport, le très haut débit, le télétravail, etc.), mais avec un vrai projet politique, bien plus complet, visionnaire et ambitieux que ces questions, même si elles sont importantes.”

 

1. La CCPP occupe à elle seule la moitié du Pays pévélois avec 26 communes sur 42 et recense les principaux équipements publics et programmes d’équipements, talonnée aujourd’hui par Orchies.

3. Somme des DGF en cas de fusion : 8,7 M€, attributions de compensation : 7,3 M€, ressources fiscales professionnelles : 12 M€, fiscalité des ménages : 8 M€. Total : environ 20 M€. Le rapport KPMG sera envoyé à chaque élu.