Europe

Comment l'Allemagne a réussi l'intégration économique des réfugiés en 2015 ?

En 2015, la Chancelière Angela Merkel a ouvert les frontières de l'Allemagne aux réfugiés syriens. Le pays a pleinement réussi le défi de leur intégration économique et en a bénéficié, d'après une étude Bpifrance le Lab. Mais la donne politique complique l'équation.

Un pari «historique» tenu. Ce mois de septembre, Bpifrance Le Lab, laboratoire d'idées de la banque publique d'investissement publiait une étude réalisée avec le cabinet Kohler Consulting & Coaching consacrée à «L'immigration professionnelle en Allemagne. Les enseignements du cas allemand». L'Europe entière se souvient de ce moment : en 2015, Angela Merkel, chancelière allemande, ouvrait les portes de l'Allemagne aux réfugiés provenant de Syrie. «Nous y arriverons», avait-elle promis. En une année seulement, 890 000 réfugiés sont arrivés en Allemagne. Bilan, quelques années plus tard ? «Force est de constater que le chômage n'a pas augmenté et que les finances publiques ne se sont pas dégradées. Hormis quelques épisodes regrettables, l'intégration économique et sociale des réfugiés irako-syriens présente les traits d'un succès», analyse l'étude. 

Celle-ci commence par rappeler le contexte dans lequel s'est déroulée cette intégration : une société imprégnée d'une culture de l'accueil et une économie fortement axée sur l'industrie, habituée depuis le 19e siècle à faire appel à l'immigration de travail. Et dans la décennie 2010, inquiète des conséquences du vieillissement de la population, «quelques voix» du monde économique commençaient à plaider pour une politique d'immigration du travail. Néanmoins, «la position dominante du monde économique au moment où éclate la crise des réfugiés syriens est (…) marquée par l'inquiétude», rappelle le rapport. Quatre ans plus tard, la moitié des 3 millions de personnes issues de l'immigration qui travaillent dans l'industrie manufacturière et la construction sont de nationalité étrangère, d'après les statistiques nationales. Certains secteurs se sont particulièrement mobilisés pour employer des réfugiés : électrotechnique, fabrication des métaux, construction de véhicules...

Au total, «en valeur absolue, l'arrivée de ces populations immigrées a eu un effet très positif sur l'évolution du nombre d'actifs», pointe l'étude. Cette évolution est le fruit d'une «véritable machine de guerre de l'intégration économique sociale et culturelle qui s'est mise en place depuis 2015», poursuit le rapport. Le dispositif alors mis en place par le gouvernement est extrêmement complet. Il prévoit de l'information, du conseil, l'accompagnement initial des réfugiés et de leurs famille, l'aide à l'apprentissage de l'allemand (jusqu'à 700 heures), la reconnaissance des diplômes, la formation et les qualifications complémentaires, l'accompagnement dans l'accès à l'emploi, l'intégration dans les entreprises et dans le corps social...

Les limites politiques

Par ailleurs, «toutes les composantes institutionnelles, sociales, associatives, économiques et religieuses de la société sont mobilisées», note l'étude. Les entreprises par exemple, se sont fortement impliquées. Et elles ont pu s'appuyer sur un vaste réseaux de points de contact dans le processus d'intégration dans l'emploi (antennes locales de l'agence pour l'emploi, services des étrangers rattachés aux Länder, chambres de commerce...). 

Pour l'étude, cette forte mobilisation du réseau très dense d'acteurs au sein de la société allemande fait partie des facteurs clés de la réussite du dispositif. Depuis, l'Allemagne a poursuivi le développement de sa politique d'immigration. Solde migratoire entre janvier et juin 2022 : + 1,046 million, notamment en raison de l'afflux de réfugiés ukrainiens. Et en février 2023, le gouvernement du chancelier Olaf Scholz a déclaré préparer une loi sur l'immigration destinée à devenir «la plus libérale d'Europe». Pour les analystes, «sans concertation avec ses voisins européens et constatant que l'Europe n'est pas capable d'apporter une réponse collective sur le sujet de l'immigration de personnel qualifié, l'Allemagne a décidé de jouer à fond la carte de l'attractivité vis à vis de l'immigration du travail.» Mais d'autres paramètres - politiques - rentrent en jeu. 

En 2017, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, l' AFD, parti de l'extrême-droite, est rentrée au Bundestag (12,6 % des voix), en surfant sur la question migratoire. Et ce 13 septembre, sur fond de montée de l'extrême droite dans les sondages et de hausse de l'immigration clandestine, l'Allemagne a déclaré - pour ensuite se rétracter - suspendre l’accueil volontaire de demandeurs d’asile en provenance d’Italie, qui connaît un afflux massif d'arrivée sur l'île de Lampedusa prévu par les accords européens, notamment en raison d’une «forte pression migratoire.»