Logistique intermodale

CargoBeamer : un développement dépendant des financements européens ?

Après le premier volet de notre enquête sur le modèle économique de CargoBeamer à Calais, suite de notre enquête. 

Le transfert de camions sur le train, une opération qui peut être longue. © CargoBeamer
Le transfert de camions sur le train, une opération qui peut être longue. © CargoBeamer

Financer ses équipements à grande échelle

Il faut donc se tourner vers une autre ressource pour comprendre la stratégie du groupe allemand. Depuis que l’Union européenne a demandé aux États membres de répondre aux obligations de la directive européenne sur l’efficacité énergétique, chaque pays a commencé à développer des dispositifs de réduction énergétique. Notamment les White Certificats connus en France sous le nom de CEE : les certificats d’économie d’énergie (voir par ailleurs).

Parmi les financements disponibles, il est possible de recevoir des aides pour l’achat ou la location de certains équipements liés au chemin de fer, comme les wagons d’autoroute ferroviaire et les unités intermodales pour le transport combiné. Comme l’explique la fiche ADEME (n°TRA-EQ-10), un transporteur peut se faire rembourser, entièrement ou en partie, l’achat d’une unité intermodale sur une période de six mois consécutifs en prenant en compte «des voyages, à plein ou à vide, effectués au départ ou à l’arrivée d’au moins un terminal de transport combiné en France».

Plus il y a de voyages effectués, plus l’achat est remboursé. C’est précisément ce dispositif qui a été mobilisé par CargoBeamer avec l’acquisition de 300 wagons entièrement subventionnée. Il n’est pas le seul comme le montre le cabinet de conseils Hellio, spécialiste des dossiers relatifs à la maîtrise de l’énergie. Sur sa page dédiée aux CEE, il propose l’achat de 30 unités de transport intermodal qui effectuent «2 rotations (4 voyages) par semaine entre Bonneuil et Avignon, soit un total de 5 760 voyages par an (48 semaines)».

Dans ce cas, si le coût de l’investissement est de 390 000€, les transporteurs peuvent être remboursés à 100% par la prime CEE. «CargoBeamer est éligible à recevoir des fonds des programmes de la Communauté européenne. En fait, ces instruments financiers sont déjà utilisés avec nos trains qui roulent en France», nous a déclaré la direction du groupe. Un ancien salarié a fait son calcul : «Avec 10 trains par jour, le financement des CEE pourrait représenter 10 millions d’euros par an de recettes.» Pour ce faire, CargoBeamer doit développer son infrastructure marckoise en allongeant et en multipliant ses rails. Plus de trains, plus longs, assureront la rentabilité de l’exploitation. Le groupe allemand vient d’acheter un terrain contigu au site actuel.

Le terminal est opérationnel depuis 12 mois. © CargoBeamer

Un chantier exceptionnel

Le site marckois (6 ha pour 2 millions d’euros) de CargoBeamer est un exemple de l’adaptation de la logistique au terrain, marécageux, qui constitue l’endroit choisi par le groupe allemand. Pendant la petite année durant laquelle ont duré les travaux, les ouvriers ont posé 4 000 pieux de béton, réalisé 0,8 mètre de hauteur en fouille. Il fallait en effet commencer par racler 2 mètres de sédiments sur lesquels rien ne tient. Les pieux ont suivi. Rappelons qu’un train, c’est 1 600 tonnes sur 700 mètres.

Zoom sur transporteurs et énergéticiens : la nouvelle donne des CEE

Présents partout en Europe à l’exception de l’Allemagne, les certificats d'économie d'énergie ont été introduits en 2005 par la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique, connue comme loi POPE. L’objectif : créer un mécanisme qui oblige les fournisseurs d’énergie et de carburants - dits «obligés» ou «énergéticiens» - à financer un quota minimal d’actions à efficacité énergétique. Comme le ferroutage. «Il est question d’économiser de l’énergie», explique Bastien Fontaine, au pôle recherche et développement de Hellio, une agence spécialisée dans les projets de maîtrise de l’énergie et dans l’accompagnement des demandes de CEE.

«L’objectif principal n’est pas de polluer moins mais de démontrer que dans la durée, cette action va permettre une vraie économie d’énergie.» Les primes CEE, versées par les fournisseurs d’énergie, peuvent être utilisées par les acteurs des transports pour effectuer des travaux d’économie d’énergie. Pour ce faire, l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a créé des fiches d’opérations standardisées d'économie d'énergie : elles correspondent à des opérations couramment réalisées pour lesquelles une valeur forfaitaire de CEE a été définie. Energivore, le secteur des transports engloutit une consommation annuelle de plus de 500 TWh, l’équivalent d’une dépense de 400 milliards d’euros. Cependant, seulement 2,2% des CEE sont utilisés dans ce secteur.

La raison : l’objectif de ces certificats est d’économiser des énergies, alors que dans le secteur des transports les actions d’économie d’énergie sont limitées. «Les plus grosses économies, explique encore Bastien Fontaine, se font avec le transfert des camions vers les frets ferroviaires ou encore vers le transport fluvial ou maritime. Il s’agit du transport combiné rail-route et fluvial-route.» En effet, le multimodal représente environ 1% des CEE transports : une partie assez importante si l’on considère la place encore marginale du multimodal dans ce secteur.