Calais tire le gros lot

Le Calaisis vient de tirer (enfin) profit des situations nationale et internationale sur lesquelles peu ont la main. La pression migratoire, responsable d'innombrables interruptions des trafics maritime et ferroviaire, depuis le début de l'été, a quasiment cessé depuis le 26 octobre. Le port et le tunnel sont «étanches» selon le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Le Premier ministre a donc entendu Natacha Bouchart, sénatrice-maire de Calais. Convaincu qu'il fallait mettre des moyens avant que la situation n'empire, le Premier ministre n'a pas mégoté : l'Etat mettra 50 millions d'euros dans les projets du Calaisis.

« L'un des projets-phares du Calaisis, Heroic Park, doit créer plus de 1 000 emplois ».
« L'un des projets-phares du Calaisis, Heroic Park, doit créer plus de 1 000 emplois ».
CAPresse 2015

Jean-François Cordet, préfet de région, Natacha Bouchart, sénatrice-maire de Calais, et Daniel Percheron, président du Conseil régional, lors de la signature du contrat territorial du Calais, le 13 novembre 2015.

 C’était le 13 novembre, désormais marqué par les attentats parisiens. L’Etat, la Région et le département du Pas-de-Calais se penchaient sur le sort du Calaisis «qui subit une pression migratoire depuis 15 ans», a rappelé pour la énième fois Natacha Bouchart, sénatrice-maire de Calais. Ni Daniel Percheron, président du Conseil régional, ni Michel Dagbert, président du Conseil départemental, ni Jean-François Cordet, préfet de région, ne l’ont d’ailleurs démenti. Bien au contraire, l’Etat, reconnaissant à Calais son «courage», la Région, louant «l’humanisme de ses habitants», ont concédé que l’impact migratoire méritait bien ce contrat territorial exceptionnel, conséquence de l’acceptation par Manuel Valls de la requête de Natacha Bouchart (LR). Laquelle s’est quasiment alignée sur la politique du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui consiste depuis une année à regrouper les migrants dans la banlieue ouest de la ville dans une lande, à deux pas de la rocade portuaire, mais suffisamment loin du site d’Eurotunnel… Daniel Percheron (PS) ne partage cependant pas les vues du ministre de l’Intérieur : «Ouvrez les frontières, laissez passer» avait-il lancé quelques jours plus tôt, lors de l’inauguration de la plate-forme ferroviaire du port de Calais. Qu’importe : tous sont là pour signer, avec un bel ensemble, un contrat territorial faramineux qui doit voir, dans les six ans, des investissements dont le montant atteindra 150 millions d’euros. «Un milliard de francs», a même appuyé Jean-François Cordet. Du jamais-vu pour un territoire d’à peine 100 000 habitants. Il n’est pas certain que la sidérurgie en ait eu autant à Dunkerque, il y a 30 ans, lors des premières grandes restructurations du secteur.

CAPresse 2015

Michel Dagbert, président du département du Pas-de-Calais.

Une image à reconstruire. La frontière britannique (limite géographique et juridique de la zone Schengen) engendre des impacts évidents : 5 à 6 000 personnes (malgré les départs qui ne compensent que partiellement les arrivées) vivent en bordure du port, à quelques mètres de sites classés Seveso. Des camions sont régulièrement détériorés, des entreprises de transport accumulent des amendes de plusieurs milliers d’euros pour chaque migrant découvert à bord. Le rail est régulièrement la cible de migrants qui risquent leur vie en essayant de monter dans les navettes fret d’Eurotunnel. Est-ce, en partie, pour cette raison que Huntsmann-Tioxide a décidé de quitter son site de la rue des Garenne à Calais ? On peut imaginer que les logisticiens hésitent à venir s’installer sur les zones d’activité Transmarck ou de la Turquerie. Deret et Dentressangle n’y sont toujours pas implantés, malgré leurs intentions affichées depuis plusieurs années… Le tourisme a-t-il souffert lors de l’été, si perturbé au niveau des voies ferrées ? «L’image du territoire a énormément souffert”, répètent en boucle les acteurs de l’économie de la Côte d’Opale. Probablement. Le 13 novembre dernier, Calais a donc vu s’officialiser un soutien qui devrait rendre possibles les projets que le territoire avait jusqu’à présent tant de mal à mettre en place.

De l’aménagement autoroutier à l’extension de la demi-pension d’un collège. Des projets au premier rang desquels Heroic Park. Le porteur du projet, Jean-François Thibous, n’a pas encore réussi à trouver des financments privés. Il pourra donc s’appuyer sur ce que l’Etat apporte au territoire : 3,4 millions d’euros pour le raccordement autoroutier depuis l’A16 (pour un coût de 13 millions) ; 1,2 million d’euros pour le fonds d’étude (sur 2,3 millions budgétés). Le projet logistique Calais premier, lui aussi balbutiant, se verra doté d’une enveloppe de 3 millions d’euros, dont la destination précise n’est pas indiquée par les services de l’Etat. Quant au numérique, l’Etat apportera 1,4 million d’euros (sur 1,6 de coût total) pour équiper en très haut débit les 13 zones d’activité de l’Agglomération. Il dirigera aussi 1,2 million d’euros du Fonds national de l’aménagement et du développement territorial (FNADT) vers la création d’une maison du numérique (coût total de 2,5 millions d’euros), en lien avec la Chambre consulaire. Le contrat de territoire englobe aussi le secteur dentellier  : 3,7 millions sont prévus, dont 1 million de l’Etat. La formation de la population active n’est pas oubliée : dotation complémentaire au Pôle emploi, crédit pour la GPEC relevé. Le commerce a souffert ? Le FISAC vient mettre 1 million d’euros. Les zones d’activité en cours d’aménagement seront aussi soutenues (1 million pour la zone de la Rivière-Neuve en bordure d’A16). Déjà bien pourvu en infrastructures, le Calaisis pourra compter sur un aéroport plus large ; la piste de clui de Marck sera rallongée (3,5 millions d’euros abondé par l’Etat, sur 7,5 de coût total des travaux). La gare internationale de Frethun sera quant à elle reliée au centre de Calais (distant de 8 km). Avec 6,5 millions d’euros dans les trois prochaines années et 6,5 dans les trois suivantes, le Conseil régional apporte aussi son soutien à la construction d’un transport en commun en site propre. L’agglomération calaisienne a en attente ce projet depuis quelques années et a fortement augmenté la taxe versement transport (payée par les entreprises) pour le financer. Mais le Calaisis n’est pas seulement soutenu dans son développement économique ou dans son “attractivité» comme le dit le contrat. Le Département apporte aussi sa pierre à l’édifice en s’engageant, pour 25,6 millions d’euros, dans la rénovation des dix collèges de l’Agglomération (mise en accessibilité, extension de la demi-pension, restructurations et réaménagements divers). Compétent en la matière, le Département accélèrera la rénovation des routes départementales (pour 7 millions d’euros).

CAPresse 2015

L'un des projets phares du Calaisis, Heroic Park, doit créer plus de 1 000 emplois.

Un contrat disproportionné ? D’autres partenaires interviendront aussi dans le territoire, comme l’ADEME qui accompagnera des projets de transition écologique et énergétique : l’assainissement (pour 5,5 millions), le soutien au Centre de valorisation des ordures ménagères résiduelles (pour 2 millions d’euros après étude de faisabilité), la rénovation des déchetteries du territoire… L’acte est un contrat de développement territorial de Calais et du Calaisis. Sa signature a été accélérée afin d’éviter la période de «réserve» du corps préfectoral qui a commencé depuis, en raison des élections régionales des 6 et 13 décembre prochains. «Les quatre partenaires s’engagent ensemble sur le financement pluriannuel d’opérations de développement de ce territoire en mobilisant au total 155 millions d’euros par leurs apports respectifs. L’Etat apportera 50 millions d’euros, sur une période de six ans, dont une première tranche de 25 millions d’euros engagée dès la signature du contrat. La Région mobilisera 25 millions d’euros, le Département 32,6 millions d’euros et la commune de Calais, associée à la CAC, 48 millions d’euros. Cette signature confirme l’engagement pris par le Premier ministre, lors de son déplacement à Calais le 31 août dernier, d’apporter un soutien significatif de la part de l’Etat au développement de ce territoire. Après la décision de mise en œuvre du projet Calais port 2015, ce contrat de territoire, coordonné avec le contrat de plan Etat /Région, permettra ainsi de préparer l’avenir du Calaisis en accompagnant les mutations économiques, en valorisant les atouts du territoire, en améliorant l’image de la ville, pour ses habitants comme pour les entreprises et les commerçants, pour ses visiteurs comme pour les investisseurs. Il contribuera également à améliorer l’attractivité de la future région Nord-Pas-de-Calais-Picardie», détaille le communiqué de la préfecture régionale. Autant de moyens pour un territoire, en tête du peloton national en termes de pauvreté, qui n’a pas attendu les impacts migratoires pour montrer ses faiblesses. Le Calaisis a vécu sur le port et la dentelle. Avec Calais port 2015, une lumière s’est allumée. Si la dentelle est devenue marginale dans la création de richesses, si le Calaisis s’est battu sans succès pour conserver la rente, à la fin des années 90, du duty free, il a désormais droit à des aides… ce qui risque de ne pas inciter forcément au dynamisme.