«Une niche n’est pas une rente»

Pour Romain Lescroart, président du groupe dont fait partie Sophie Hallette, si la tradition et le patrimoine de machines sont des atouts, l’industrie du luxe ne s’apparente pas pour autant à une sinécure. «Nous marchons toujours sur un chemin de crête...»

Dans les vastes locaux de la ZI de Caudry, des métiers remontés et en fonctionnement. L'emménagement se poursuit depuis deux-trois ans.
Dans les vastes locaux de la ZI de Caudry, des métiers remontés et en fonctionnement. L'emménagement se poursuit depuis deux-trois ans.

Pour Sophie Hallette, société phare du groupe Holesco, 2016 avait été marquée par le début de l’emménagement dans les bâtiments de L’Oréal (zone industrielle à l’est de Caudry). Ces presque 16 000 m2 datant des années 2000 servaient à la logistique. Romain Lescroart explique que le groupe qu’il préside a saisi là une belle opportunité, stratégique et pratique, de regrouper les métiers à tisser des différents ateliers et entreprises de Caudry et de Calais, rachetés ces dernières années. «Au départ, dit-il, l’idée était de construire en plusieurs tranches.» En cette fin 2018, les emménagements et remises en marche se poursuivent.

Des élus indifférents ?

Combien cet investissement va-t-il coûter ? Romain Lescroart n’aime pas, par principe, donner de chiffres, la discrétion faisant partie de l’histoire de la maison. Sur la question des aides publiques, il répond, en revanche, en souriant et en précisant que le groupe se débrouille seul. «Curieusement, on ne rentre jamais dans les critères. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Pourtant, nous employons quelque 300 personnes, travaillons pour 1 300 clients environ, dont 80 % à l’export, et nous sommes un porte-drapeau de la région.» Peut-être que l’image du luxe donne à penser que les entreprises n’ont pas besoin d’aides. Autre constat : «Nous avons racheté des ateliers ces dernières années, dont certains, suite à nos réaménagements internes, sont vides et à vendre, mais les collectivités ne s’y intéressent pas.»

«Nous fabriquons des produits semi-finis pour des confectionneurs»

Le luxe, c’est un chemin de crête

Romain Lescroart reconnaît que l’industrie de la dentelle constitue une «niche» dans un monde du luxe qui se porte très bien. Mais il corrige : «Une niche, mais pas une rente. On avance toujours sur un étroit chemin de crête…» La niche en question, née en 1887, a survécu, sans quitter le pays, à la différence des autres formes du textile dit traditionnel du secteur de l’habillement. Le groupe met tout en œuvre pour que ça dure. Avec une intense publicité sur les thèmes du luxe, du rêve, du prestige des «clients finaux», princesses ou actrices ; sur Paris, la Ville lumière… Il met aussi en avant les certifications obtenues, le fabriqué en France, la qualité de la matière première, le savoir-faire historique préservé, le mélange de tradition et de modernité… Autres combats du chef d’entreprise : la contrefaçon et la copie des motifs et modèles. «On attaque les distributeurs et on gagne», lâche-t-il. Il surveille également la concurrence, notamment celle qui vient de Chine, où le coût de la main-d’œuvre est moindre. Et rappelle au passage que si le luxe se porte bien, les modes peuvent être capricieuses.

Au siège à Caudry, Romain Lescroart dans le showroom où sont accueillis les clients.

Un parc de métiers unique au monde

Pour faire la différence sur le marché de la dentelle et du tulle, Romain Lescroart mise aussi sur le parc de machines du groupe qui fait l’objet d’une attention jalouse. C’est un patrimoine unique et une force de frappe. «Les métiers Leavers, pour la dentelle, sont au nombre d’une centaine, et les métiers Bobin, pour le tulle, d’une vingtaine. Ils datent pour une bonne partie de la fin du XIXe siècle et on ne les fabrique plus depuis les années 50-60. Leur maintenance mécanique et leur modernisation se font en interne grâce à une filiale dédiée de huit personnes.» Anecdote livrée par M. Lescroart : l’entreprise a conservé les archives de tous les motifs fabriqués depuis les débuts, un autre atout. Qui sont les premiers clients de Sophie Hallette ? «Pour simplifier, disons que nous fabriquons des produits semi-finis pour des confectionneurs : des modèles uniques, du prêt-à-porter dans les domaines de l’habillement et de la lingerie. C’est toujours du haut de gamme pour de grands noms et des marques célèbres ou, au minimum, pour le premium.»

L’historique de l’entreprise

L’histoire de la «Maison Hallette» remonte à 1887. Son fondateur s’appelait Eugène Hallette. À cette époque, Caudry comptait 140 dentelliers et environ 400 métiers… En 1942, Etienne Lescroart, à 23 ans, reprend les «Ets Veuve Eugène Hallette» et donne le prénom d’une nièce, Sophie, à l’entreprise. Romain Lescroart, le petit-fils, est entré dans l’entreprise familiale en 2000 et prend la direction de ce qui est devenu un groupe en 2013.