Brest en pointe dans la guerre des ondes sous-marines

Ce gros "poisson" jaune citron est la hantise des sous-mariniers: un sonar fabriqué à Brest, remorqué sous l'eau par les navires militaires, s'impose dans un nombre croissant de marines dans le monde face...

Le sonar Captas-1 détectant des sous-marins à l'usine Thales de Brest, le 4 octobre 2013 © FRED TANNEAU
Le sonar Captas-1 détectant des sous-marins à l'usine Thales de Brest, le 4 octobre 2013 © FRED TANNEAU

Ce gros "poisson" jaune citron est la hantise des sous-mariniers: un sonar fabriqué à Brest, remorqué sous l'eau par les navires militaires, s'impose dans un nombre croissant de marines dans le monde face à la prolifération de la menace sous-marine.

C'est à la pointe de la Bretagne, sur un site planté sur les hauteurs de la rade de Brest, que le groupe d'électronique et de défense Thales produit ses sonars Captas, qui équipent les frégates (FREMM ou frégates multi-missions) spécialisées dans la lutte anti-sous-marine de nombreux pays.

Dans un hall, quatre de ces engins, des grosses lames de deux mètres de haut ceintes de quatre anneaux, en sont à différentes étapes d'assemblage. A l'intérieur, quatre anneaux de céramique qui, sous l'effet d'une stimulation électrique, émettront une onde acoustique.

Une fois montés, ces sonars actifs sont reliés à un énorme treuil puis plongés depuis la poupe du navire jusqu'à 250 mètres de profondeur.

Une antenne linéaire, elle aussi remorquée depuis l'arrière de la frégate, sert quant à elle de récepteur aux ondes émises par le Captas.

"Avec un sonar de coque, les ondes rebondissent sous la surface et en-dessous de 20-30 mètres, on n'arrivera pas à voir le sous-marin. Pour faire de la lutte anti-sous-marine, il faut descendre le sonar en profondeur", explique Olivier Ageorges, conseiller opérationnel pour les systèmes sous-marins.

En fonction de la salinité, de la température et de la profondeur du fonds marin, le Captas-4, le modèle le plus puissant équipant les "gros" navires, peut "voir" jusqu'à 150 kilomètres, permettant de créer une bulle de sécurité autour du porte-avions ou du sous-marin escorté par la frégate.

La menace sous-marine est croissante: quelque 450 sous-marins militaires détenus par 45 pays sont recensés par le Centre d'études stratégiques de la Marine (CESM).

La Russie, notamment, qui compte passer de 52 sous-marins en 2022 à 68 en 2030 selon le CESM, est de plus en plus active dans l'Atlantique et en Méditerranée.

Rien que ces dernières semaines, Vladimir Poutine a inauguré deux nouveaux sous-marins, tandis que le Brésil recevait le Humaita, deuxième de quatre submersibles de conception française.

Plus de 80 Captas de différents modèles ont été commandés ou sont en service dans le monde. Ils équipent aussi bien les frégates Fremm françaises et italiennes que les F110 espagnoles, les Type 23 et 26 britanniques ou les T23 chiliennes.

Prix d'excellence américain

En 2022, l'US Navy a elle aussi passé commande de 10 Captas pour équiper ses futures frégates Constellation, dérivées de la Fremm italienne.

Après avoir mandaté un concurrent américain qui n'est pas parvenu à développer un sonar à immersion variable satisfaisant, "ils ont passé le contrat sans évaluation quand on a pu prouver que le Captas était bon", s'enorgueillit Gwendoline Blandin, patronne des activités de systèmes sous-marins chez Thales.

Le "Hook'Em Award", un prix d'excellence en lutte anti-sous-marine de la Marine américaine décerné en 2022 et les deux années précédentes à des navires français, y a contribué.

Depuis le site de Thales, on devine en face L'Ile Longue, la base des sous-marins (SNLE ou sous-marins nucléaires lanceurs d'engins) français porteurs du feu nucléaire.

La compétence anti-sous-marine française s'est pour partie développée pour s'assurer qu'aucun submersible trop curieux n'est à l'affût au large de Brest pour pister ces précieux SNLE.

Et si le groupe français s'est imposé comme un leader des sonars, "c'est parce qu'on maîtrise l'ensemble de la chaîne, de la formulation chimique de la céramique à l'intérieur des anneaux à la mécanique marine, l'électronique de puissance et toute la partie traitement du signal acoustique. C'est le fruit de 60 ans de travaux", explique Emmanuel Michaud, responsable des activités de systèmes sous-marins pour la France au sein du groupe.

Les États-Unis n'y sont pas parvenus car ils ont longtemps privilégié les hélicoptères pour la lutte anti-sous-marine plutôt que les sonars remorqués, estime-t-il.

Ces hélicoptères emportent un sonar dit "trempé", un cylindre d'environ 90 centimètres plongé dans l'océan grâce à un treuil quand l'appareil est en vol stationnaire.

Un autre domaine de succès pour Thales, qui a vendu plus de 500 de ces sonars Flash dans le monde, dont 250 rien qu'à l'US Navy. La France dispose pour sa part de 12 exemplaires pour les hélicoptères embarqués sur ses frégates.

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