Boulangeries Madoudeaux : Une petite boulangerie devenue un réseau

Les boulangeries Mahoudeaux existent depuis 1934 à Marle, puis à Vervins, au nord de l'Aisne. Depuis, l'entreprise reprise par le petit-fils Philippe Mahoudeaux a tissé sa toile en Thiérache pour compter dix boutiques aujourd'hui. Les boutiques sont alimentées par un nouvel atelier moderne de 1 000 m² situé à Vervins.

Philippe Maoudeaux dirige les boulangeries Mahoudeaux. (c) Marie-Line Waroude
Philippe Maoudeaux dirige les boulangeries Mahoudeaux. (c) Marie-Line Waroude

Quelle est l'histoire des boulangeries Mahoudeaux ? 

Mon grand-père Auguste Mahoudeaux a créé son entreprise à Marle en 1934 et c'est donc cette date que nous utilisons sur nos emballages. Mon père a travaillé ensuite avec ses parents puis s'est mis à son compte. Lui s'est installé en gérance à Wassigny puis il est venu à Vervins dans les années 1970. J'ai commencé à travailler en apprentissage avec mes parents à l'âge de 15 ans, en 1983. J'ai été meilleur apprenti de France en 1986, ce qui m'a valu pour l'anecdote d'être invité à l’Élysée où j'ai mangé la galette des rois avec le président François Mitterrand. Et j'ai repris l'entreprise en 1998 quand mes parents sont partis à la retraite, j'avais 30 ans. J'avais soif de développement et en 2000 j'ai créé une nouvelle boulangerie à Hirson. 

Comment s'est passée la transmission ? 

Je voulais me développer, je savais qu'il y avait des choses à faire en Thiérache. Nous sommes dans un territoire certes rural, qui ne compte pas beaucoup de grandes villes mais avec un bassin de population important. Les gens ont ici les mêmes besoins de consommation qu'ailleurs. Mes parents ont toujours été des petits artisans à l'ancienne, mon père faisait son pain et le cuisait, ma mère le vendait. Ils étaient des artisans comme on le connaissait à l'époque, et on va sûrement en voir de moins en moins parce que les petites structures ont du mal aujourd'hui face à des géants comme certaines chaînes de boulangeries. Il va rester des artisans en multiboutiques mais face à la hausse des charges et des coûts de l'énergie, rester ouvert avec un seul magasin va être de plus en plus compliqué par rapport à la rentabilité. 

Les boulangeries Mahoudeaux produisent leur pain à Vervins. (c) Marie-Line Waroude

Créer un réseau, était-ce l'objectif dès le début ? 

Je n'aurais jamais imaginé arriver là où j'en suis aujourd'hui. Mais il y avait cette idée de développer l'entreprise, j'en avais vraiment envie. J'étais marié à l'époque et mon épouse n'était pas forcément d'accord avec moi pour développer. J'ai un peu freiné le développement, j'ai ouvert en plus de Vervins, Hirson en 2000 et La Capelle en 2010. Après mon divorce, j'ai un peu accéléré. Je suis resté avec trois boulangeries seulement en 12 ans et à partir de 2010 jusqu'à aujourd'hui, j'en ai ouvert sept autres. C'est l'arrivée de l'atelier de 1 000 m² en 2021 qui a aussi permis de développer parce que nous étions arrivés à un point de saturation dans la maison-mère historique de Vervins. À partir de là, si on revient en 2018, il y avait deux solutions devant moi : soit je revendais une boutique parce qu'on manquait de place pour produire et je finissais ma carrière comme cela, soit je créais l'atelier, ce que nous avons fait. 

La création de ce grand atelier a-t-elle été une étape décisive ? 

Oui, c'est à partir de là qu'on a "explosé" quelque part. Avant et comme j'aime à le dire, nous étions un grand chez les petits et à partir de là nous sommes devenus un petit chez les grands. En arrivant ici, nous ne sommes plus considérés comme artisans-boulangers, ce qui est dommage, nous le sommes encore uniquement à Vervins, là où nous produisons parce qu'il y a une notion de pétrir sur place. Cela est lié au fait de tout produire au même endroit et de dispatcher les produits dans les différents points de vente quand bien même la cuisson est réalisée dans ces points de vente. 

Nous restons pourtant artisans dans l'âme, nous conservons les mêmes recettes traditionnelles et il est très important de dire que tout ce qui est proposé dans nos boulangeries est fabriqué par nous à l'atelier : des pâtisseries comme les pains au chocolat, les gâteaux, les tartes jusqu'au pain et à la baguette, tout est fait ici. Nous allons encore à la ferme pour chercher le lait nécessaire à la fabrication de la crème pâtissière par exemple, cela représente 80 litres de lait chaque jour de la semaine et 200 litres le samedi et le dimanche qui proviennent de la ferme de la Tortue à Thenailles, située à trois kilomètres de l'atelier. Bien sûr, nous produisons des gros volumes mais nous restons profondément artisans. 

Le lait nécessaire à la fabrication de la crème pâtissière provient d'une ferme proche. (c) Marie-Line Waroude

L'atelier a-t-il également permis une modernisation ? 

Oui, d'avoir davantage de place et de se moderniser. Nous avons pensé entièrement le bâtiment par nousmêmes en partant d'une feuille blanche. Nous avons un atelier principal en pâtisserie qui fait environ 200 m², un atelier chocolat de 100 m², un atelier viennoiserie puisque tout ce qu'on vend, on le produit. Nous avons aussi une ligne mécanisée, pour les chaussons aux pommes avec l'intervention de trois salariés. Et un atelier boulangerie d'environ 200 m². Une cinquantaine de personnes travaille ici à l'atelier et au total 110 personnes, un chiffre qui comprend tout le monde dont les apprentis, boulangers, vendeuses, livreurs. Quand nous avons créé cet atelier, j'ai voulu le faire à Vervins pour préserver mes salariés qui habitent le secteur mais il aurait été intéressant de le créer dans un endroit où nous ne sommes pas. Nous avions déjà des boutiques sur le secteur donc nous ne sommes pas allés chercher de clients supplémentaires. Si j'avais créé cet atelier à Laon par exemple, j'aurais créé en même temps une nouvelle boutique et j'aurais capté un chiffre d'affaires supplémentaire. J'ai voulu vraiment que cela reste pratique pour les salariés. 

L'offre s'est-elle donc étendue ? 

Oui, nous avons développé la pâtisserie, le snacking, ce qui ne se faisait pas. Il y a 20 ans, vous ne trouviez pas ou pas beaucoup de sandwichs dans les boulangeries. Aujourd'hui, la partie snacking représente 50% des ventes, c'est donc une montée en puissance. Le nouvel atelier a aussi permis de développer un drive qui fonctionne très bien. Tout cela dans un contexte où les habitudes de consommation ont changé : les gens consomment globalement moins de pain et le secteur de la boulangerie a donc cherché à capter le snacking. La restauration se développe aussi, nous en faisons un peu ici à Vervins avec un espace dédié et quelques plats proposés le midi. J'aimerais développer des espaces snacking dans nos autres boutiques mais pas davantage la restauration parce que c'est un peu compliqué. Il est difficile de trouver des cuisiniers, notamment depuis le covid. 

Un espace coffe shop a ouvert à Vervins. (c) Marie-Line Waroude

Êtes-vous confronté à une problématique de recrutement ? 

C'est notre frein au développement. Nous sommes constamment en recherche de personnel, c'est même un casse-tête parfois. Il y a toujours des gens qui sont en arrêt maladie, d'autres qui changent de région donc même si nous avons un noyau dur, nous sommes toujours en recherche. C'est un métier difficile, on travaille le week-end et le covid a un peu tout changé : les gens veulent moins travailler le week-end, c'est très clair. J'ai un chef pâtissier qui gagnait très bien sa vie, avait 20 ans de maison et 25 personnes sous ses ordres, il a eu des enfants, il m'a dit qu'il ne pouvait plus travailler le week-end et il a trouvé une place dans une petite boulangerie fermée le dimanche. Il doit gagner 1 200 euros de moins mais il y est allé. Le même exemple pour une responsable de magasin qui a préféré partir comme vendeuse dans une boutique de vêtements, quitte à ne gagner que le SMIC mais en ne travaillant que 30h/semaine. C'est vraiment le travail le week-end et les jours fériés qui pose problème et d'ailleurs, on voit que des clients commencent à organiser des baptêmes et même des mariages en semaine, cela coûte moins cher pour louer une salle ou pour faire appel à un traiteur. Je pense que ça va se développer dans les prochaines années. 

Le développement dans les petites villes, est-ce stratégique ? 

Nous travaillons avec des produits frais donc nous ne pouvons pas forcément nous développer bien loin. Demain, par exemple, nous n'irons pas à Reims, ce serait beaucoup trop loin. Il fallait tourner autour de Vervins, nous nous sommes développés dans un rayon de 20 km même si dernièrement nous sommes allés à Fourmies (Nord), ce qui est un peu plus loin. Nous produisons tous les jours, du frais, en utilisant du lait cru donc c'est bien différent d'une grande chaîne qui va travailler en surgelé et peut se permettre de livrer ses points de vente une fois par mois. C'est pour cela que j'ai plutôt tissé ma toile sur la Thiérache. 

Votre développement va-t-il se poursuivre vers le Nord ? 

Tout à fait, c'est dû à une raison en particulier : dans l'Aisne, nous avons une loi préfectorale assez ancienne qui nous interdit d'ouvrir 7j/7. Dans le Nord ou par exemple également dans les Ardennes ou dans la Somme, cette loi est différente et permet une ouverture 7j/7. Et financièrement, ce n'est pas négligeable d'ajouter une journée d'ouverture donc de recette par semaine sur 52 semaines. Donc oui, nous voudrions nous développer sur la partie sud du département du Nord, proche de l'Aisne. J'ai tous les matins un camion qui part dans notre boutique de Fourmies à moitié vide ou à moitié plein. Donc l'idée est là et puis j'ai toujours besoin d'avoir des projets sinon je m'ennuie. En attendant, nous allons cette année déménager le point de vente de La Capelle pour en créer un nouveau en face de 500 m² avec un espace coffee shop comme à Vervins.

Zoé Mahoudeaux, fille de Philippe, travaille aussi dans l'entreprise. (c) Marie-Line Waroude

Bonus

Un lieu favori ? 

Ici, c'est mon domaine, c'est ma vie, c'est mon aquarium. J'adore les gens qui m'entourent ici. J'aime discuter avec les clients, j'y suis comme chez moi. Par contre, j'ai besoin d'avoir un projet en tête sinon je m'ennuie. Je suis allé au salon de la boulangerie par exemple et j'en suis reparti avec des idées que j'ai besoin d'adapter à mon entreprise et à notre situation géographique. 

Une personnalité inspirante ? 

Mes parents avaient une maison en Vendée et je passais devant l'usine de La Mie Câline qui est devenu un grand nom de la boulangerie. Quand j'étais enfant, je disais à mon papa qu'un jour je ferai comme la Mie Câline plutôt pour le côté développement familial. Il n'y avait qu'une seule boutique à l'époque et, en une seule génération, ils ont créé des dizaines de magasins à travers la France. 

Un conseil à un jeune dirigeant ? 

Le plus dur, c'est de durer. Pour cela, il ne faut pas avoir peur de travailler. Et puis il faut toujours penser à ce que le client soit satisfait, qu'il s'y retrouve. Il faut maintenir la qualité et l'accueil. Et puis rester humain.

En chiffres 

- 110 salariés

- 5 millions d'euros de chiffres d'affaire

- 10 000 baguettes par jour