Avis de grand frais sur la pêche au lieu jaune dans la Manche

Pêchera-t-on encore du lieu jaune en 2024? Face à l'effondrement de la population de ce poisson en Manche et Mer Celtique, les scientifiques préconisent un moratoire total, dont risquent...

Un pêcheur tue un lieu jaune au large de Belle-Ile-en-Mer, le 15 décembre 2016, dans le Morbihan © LOIC VENANCE
Un pêcheur tue un lieu jaune au large de Belle-Ile-en-Mer, le 15 décembre 2016, dans le Morbihan © LOIC VENANCE

Pêchera-t-on encore du lieu jaune en 2024? Face à l'effondrement de la population de ce poisson en Manche et Mer Celtique, les scientifiques préconisent un moratoire total, dont risquent de pâtir de nombreux petits pêcheurs.

Le 30 juin dernier, le Conseil International pour l’Exploration des Mers (CIEM), organe qui émet les avis scientifiques pour la Commission Européenne, a jugé qu'"il ne devrait y avoir aucune capture" de lieu jaune en Manche et Mer Celtique en 2024.

Selon le modèle du CIEM, ce poisson à la chair très appréciée est surpêché depuis plus de 30 ans, ce qui a provoqué l'effondrement de sa biomasse, particulièrement marqué depuis 2012. A tel point qu'"il n'y a même plus le nombre de géniteurs pour assurer le renouvellement de la population", pointe Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l'Institut Agro, qui n'a pas participé à l'évaluation.

Cette situation n'étonne pas les ligneurs bretons, qui pratiquent une pêche sélective à l'hameçon à bord de petites embarcations. "Ça fait 10 ans qu'on dit qu'il y a un souci sur le lieu: on a vu la taille des poissons diminuer et on passe plus de temps à pêcher les mêmes tonnages", peste Ondine Morin, ligneuse sur l'île d'Ouessant (Finistère), dont l'activité dépend à 75% du lieu jaune.

"Avant, on pêchait des gros lieus de 7 ou 8 kilos. Maintenant, c'est devenu très rare", confirme Gwen Pennarun, président de l'association des ligneurs de la pointe de Bretagne, qui rassemble 60 ligneurs.

"Ça fait des années qu'on alerte. Mais comme personne ne nous a écoutés, on risque d'arriver à une pêche zéro", regrette-t-il.

Un moratoire sur la pêche au lieu jaune serait particulièrement douloureux pour ces petits pêcheurs, qui dépendent parfois entièrement de cette ressource. 

"Une communauté de pêcheurs peut disparaître: des petits bateaux qui travaillent bien, qui font attention à la ressource", met en garde Philippe Perrot, vice-président du comité des pêches du Finistère.

La dépendance à ce "poisson noble" s'est accrue depuis l'effondrement de la ressource en bar, elle aussi victime de la surpêche. "Quand tout le monde s'est reporté sur le lieu jaune, on a vu qu'il y aurait un souci", décrit Ondine Morin. 

-"Pas de plan B"-

"Si on n'a pas de lieu, on ne sait vraiment pas ce qu'on va faire. On n'a pas de plan B", reconnaît un ligneur du Finistère Nord, qui souhaite garder l'anonymat. 

"Il est sain de prendre des mesures pour protéger la ressource. Mais passer de tout à rien, c'est incompréhensible", s'énerve-t-il. "On aurait dû prendre les mesures avant, pour éviter d'en arriver là".

Car la pêche au lieu jaune est particulièrement permissive: il peut être pêché dès 30 cm, à un âge où il n'a pas encore pu se reproduire. Sans limite de capture, il est particulièrement prisé des plaisanciers, dont les prises approchent celles des professionnels, selon certaines estimations. 

Depuis 2019, le CIEM recommandait ne pas dépasser 3.360 tonnes de captures, sans être entendu par les responsables politiques. Le quota de lieu jaune était encore fixé à 8.000 tonnes en 2022, alors que les prises de pêche plafonnaient à 1.558 tonnes, faute de ressource suffisante...

"Le politique n'a pas pris ses responsabilités. On n'en serait pas là s'il avait suivi les avis scientifiques", estime M. Gascuel.

Le Conseil européen des ministres de l’Agriculture et de la Pêche décidera en décembre de suivre ou non la proposition de moratoire, après discussion avec le Royaume-Uni. 

Les ligneurs réclament une priorité sur d'éventuels quotas, d'habitude attribués à l'antériorité. "On pourrait très bien réserver le quota, sur un critère social, à ceux qui en vivent à plus de 50% ou 60%", estime Didier Gascuel, en référence à l'article 17 du règlement européen sur la Politique commune de la pêche, qui ouvre cette possibilité.

"A ce stade et à cette date, la position de la France n’est pas encore établie", a indiqué à l'AFP le secrétariat d'Etat à la Mer, en assurant "toujours" prendre "en compte les avis scientifiques avant de défendre une position".

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