Avec les hivers doux, l'inquiétante progression des chenilles urticantes en France
Armé d'un cutter, Daniel Vaugelade ouvre en deux le nid qu'il vient d'arracher d'un pin. Dans l'épais cocon de soie blanchâtre se tortillent des dizaines...
Armé d'un cutter, Daniel Vaugelade ouvre en deux le nid qu'il vient d'arracher d'un pin. Dans l'épais cocon de soie blanchâtre se tortillent des dizaines de chenilles processionnaires noir et marron.
Cet insecte urticant, néfaste pour la santé des hommes comme des animaux chez qui il provoque de vives irritations, infeste désormais presque toute la France métropolitaine, favorisé selon les autorités par le réchauffement climatique.
"Dans un nid comme celui-ci, il peut y en avoir 250", explique à l'AFP cet habitant de Freneuse, une commune des Yvelines dans l’ouest de la région parisienne.
Dans la petite ville des bords de Seine, à 70 km de Paris, les chenilles processionnaires sont apparues il y a trois ans.
"Au début, on parlait seulement de quelques nids. C'était un peu anecdotique et les gens étaient intrigués", se souvient M. Vaugelade. "C'est quand j'ai vu ce qu'il y avait dedans que j'ai commencé à m'inquiéter", confie ce président d'une association locale de protection de la biodiversité.
Depuis, l'insecte a colonisé une multitude d'arbres des alentours - dont il dévore petit à petit toutes les aiguilles.
"Avant ça se cantonnait aux espaces un peu éloignés, maintenant on en a dans tous les pins du centre-ville", explique Jean-Marc Pommier, le maire de la commune voisine de Bonnières-sur-Seine.
Arbres abattus, destruction de nids, installation de pièges autour de troncs, annulation des déplacements scolaires dans les secteurs touchés: l'édile a appliqué toutes les consignes de l'agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Forêts infestées
Mais ici comme ailleurs le combat semble perdu d'avance.
Le seul insecticide autorisé, le BTK, nécessite de fermer le site au public pendant un voire plusieurs jours, et est de surcroît très contrôlé car nuisible à d'autres espèces.
La chenille processionnaire - du fait des processions qu'elles forment quand elles se déplacent à la queue leu leu - n'est pas une espèce invasive: elle est originaire des forêts de conifères du sud-est de la France.
A la faveur d’un climat plus clément, elle a progressivement essaimé inexorablement vers le nord, faute d'hivers suffisamment froids pour neutraliser les nids, comme par le passé.
"Pour se nourrir, la chenille a besoin d’une température qui est relativement douce", avec un minimum d'"environ 9°C à l'intérieur du nid en journée et zéro la nuit", explique Alice Samama, de l'Observatoire des espèces à enjeux pour la santé humaine, mis en place en 2021 sous l'égide de plusieurs ministères.
Le phénomène, qui a débuté dans les années 1970, est en forte progression.
"On peut légitimement penser que le dérèglement climatique a une incidence sur l'évolution des zones occupées par les chenilles", souligne Emmanuel Gachet, chef de l’unité expertise sur les risques biologiques à l'Anses.
Dans les Yvelines, 70% des 259 communes sont touchées, et une sur cinq au niveau 1, le plus élevé, selon l'Anses. En 2022, elle a ajouté la chenille processionnaire du pin, ainsi que celle du chêne, parmi les espèces dont la prolifération a un impact sur la santé humaine.
En cause, ses poils extrêmement urticants qui contiennent une protéine toxique.
"On n'est pas obligé de toucher la chenille pour être atteint", explique Alice Samama. "Si elle se sent en danger, elle expulse ses poils, qui sont très volatils et qui peuvent se déposer partout, y compris sur du linge qui sèche."
En cas de contact, des symptômes peuvent apparaître comme des plaques de boutons, des conjonctivites ou des problèmes respiratoires, la plupart du temps bénins.
Chez les animaux domestiques, les chiens ont tendance à jouer avec les chenilles en procession. "Ce qui peut amener à une nécrose de la langue et potentiellement à la mort de l’animal", explique M. Gachet.
Cette période de procession, normalement en fin d'hiver, est la plus à risque, quand les chenilles descendent des arbres pour se transformer en papillons.
A quelques kilomètres de Freneuse, dans la réserve naturelle de Moisson, des milliers de boules blanches luisent au soleil hivernal: les pins, qui constituent l'essentiel de la forêt locale, sont constellés de nids.
Devant le spectacle, Daniel Vaugelade se lamente: "Les chenilles vont bientôt descendre par millions des arbres. Mais rien n’a été fait par la région Ile-de France, qui a jeté l’éponge".
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