Automobile : l’IA peut-elle changer notre rapport à la conduite ?
Comment l’IA et l’audio peuvent-ils réinventer la vie à bord ? Designers et technologues ne cessent de penser la voiture de demain. Une petite révolution aurait-elle commencé à s’opérer dans l’usage de l’automobile ?
L’incursion de l’intelligence artificielle (iA) dans les véhicules remonte à plusieurs années. En janvier 2022, le constructeur Stellantis voulait déjà « améliorer l'expérience globale des clients et transformer le véhicule en espace de vie personnalisable, tant pour les passagers que pour le conducteur ». Le géant de l’automobile venait d’annoncer un partenariat avec Amazon et une co-entreprise (Mobile Drive) pour intégrer l’assistance vocale Alexa dans des véhicules de marque Chrysler, Fiat, Jeep, Opel, Peugeot... Le but était de proposer des applications de navigation, d’e-commerce et de divertissement - jeux, guides touristiques… - mais également des interfaces pour la sécurité et l’entretien du véhicule.
Pour rendre l’expérience client « la plus intuitive et personnalisable possible », la solution devait s'adapter aux centres d'intérêt des utilisateurs pour leur recommander des contenus multimédias ou leur signaler des lieux remarquables, lors d'un trajet (musées, édifices historiques ou restaurants, stations-services, places de parking…). L’application, personnalisable, devait également apporter des recommandations pour optimiser le comportement et les performances de son véhicule en fonction des conditions météo et du tracé de la route. Autre idée retenue : grâce à une infrastructure ‘cloud’, il devait être possible de surveiller, gérer son domicile à distance. Et inversement, de placer son véhicule sous surveillance depuis sa maison. En parallèle, l’analyse des données, anonymisées, devait permettre de « monétiser de nouveaux services », liés à l’entretien des véhicules, aux contrats d’assurance, etc.
2022 fut également l’année de création d’un consortium « Audiomobilité 2030 » réunissant un fournisseur de contenus audio utilisant l’IA (ETX Majelan), l’équipementier Continental Automotive, spécialiste des équipements embarqués, le CMAP (Centre de mathématiques appliquées, Ecole Polytechnique) et l’institut de recherche toulousain ANITI (Artificial and natural intelligence). Leurs travaux visaient à « enrichir l’expérience utilisateur » et à promouvoir une conduite plus écologique, plus «cool», « moins chargée en testostérone », comme a déclaré l’un des concepteurs. Le support retenu ici est prioritairement audio, car en situation de conduite, pour des raisons de sécurité, les écrans ne sont pas les mieux adaptés.
Priorité à l’audio
Tous ces projets à la limite de la fiction ont fini par se concrétiser. L’habitacle de nos véhicules se transforme peu à peu en espace de communication, de divertissement en autorisant de multiples interactions.
Renault a ainsi intégré des applications audio interactives dans ses véhicules, comme par exemple des quizz éducatifs, ou le quiz musical SongPop (accessible via le système openR Link) et une bibliothèque de milliers de chansons, permettant de tester ses connaissances musicales (en solo ou jusqu’à quatre joueurs). Par le même canal, le constructeur propose également l’application Nextory qui donne accès à un million de livres audio, dont 400 000 en français. Renault a également fait appel à Karacal pour des contenus audio géolocalisés, des commentaires et anecdotes sur les lieux visités.
De son côté, DS Automobiles avait annoncé fin 2023 l’intégration de ChatGPT dans certains modèles « pour une expérience de voyage améliorée », à partir de son système de reconnaissance vocale « Ok Iris ». Le but : faciliter l’accès à des informations utiles. L’IA est ici suggérée pour inventer des jeux pendant le voyage ou raconter des histoires. Début 2024, Volkswagen a révélé à son tour l’intégration de l’IA, avec commande vocale sur sa gamme électrique ID, puis sur tous ses nouveaux modèles pour de « l’infotainment », afin de faciliter la navigation et répondre à toutes sortes de questions.
Et cet été, Citroën est également entré dans la danse de l’IA générative en commande vocale (Sound Hound) en adoptant « Chat GPT Navigation Assistance » dans son ‘pack connect plus’. L’objectif annoncé est, moyennant un abonnement mensuel, de « renforcer le confort à bord grâce à un assistant digital qui favorise un espace de vie intelligent et interactif ». Le constructeur a pris la précaution d’une double recommandation : ne pas se fier aveuglément aux informations fournies et éviter de partager des informations privées…
En novembre 2024, ce fut le tour de Jaguar et d’Audi : ce dernier a dévoilé à Shanghai son concept-car Audi E, codévelopé avec le chinois SAIC. L’assistant virtuel avec IA est ici placé au centre de l’habitacle. Il se caractérise par une interface tactile et vocale, enrichie d’un « détecteur d’émotions ».
Améliorer la sécurité
Aujourd’hui, dans les véhicules, les assistants vocaux ajustent la température, entendent et enregistrent la direction demandée, fournissent diverses informations. Pour les activer, il suffit de les réveiller (« hello XY! ») ou d’activer un bouton ou d’appuyer sur le ‘widget’ « microphone ». Et ils répondent à toutes sortes de questions pratiques ou encyclopédiques - la dimension ludique, en prime. Idéal pour se déstresser... et se réconcilier avec des cyclistes impétueux…
Les nouvelles applications embarquées visent, en effet, à améliorer la sécurité « pro-active ». Ainsi en est-il de la suite logicielle Sentinel, développée par la start-up californienne Luminar, avec Scale AI. Il s’agit d’allier la perception par radars ou caméras vidéo et la cartographie en 3D avec géolocalisation, afin de rendre le véhicule partiellement autonome et capable d’alerter des dangers.
De même, depuis quelques années déjà, l’équipementier français Valeo a dompté l’intelligence artificielle dans des dispositifs très élaborés : détection d’usagers vulnérables de la route - piétons, cyclistes - jusqu’à activation du freinage d’urgence si nécessaire, concentration de l’éclairage lors de passages dangereux, etc.
A noter aussi que les systèmes détecteurs de somnolence ou de fatigue se multiplient. Ces dispositifs peuvent utiliser - et combiner - des caméras (analyse du visage), des oreillettes, des bagues ou bracelets mesurant l’activité électrodermale, etc. Il est également possible d’alerter le conducteur, visuellement ou par signal sonore, d’une position anormale du véhicule (en bordure de chaussée, proximité d’un parapet, etc.). Bref, en attendant que la voiture du futur soit autonome ou presque, elle peut déjà nous distraire des longs trajets, nous inciter à la vigilance et, pourquoi pas, à une conduite plus citoyenne et éco-responsable...
Pierre MANGIN