Au tribunal, l'étrange dîner de Claude Guéant avec le beau-frère de Kadhafi
Et au restaurant, qu'est-ce qu'il se passe ? "Nous prenons un repas ensemble". Le tribunal a dû jeudi arracher phrase par phrase les explications de l'ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, sur son improbable...
Et au restaurant, qu'est-ce qu'il se passe ? "Nous prenons un repas ensemble". Le tribunal a dû jeudi arracher phrase par phrase les explications de l'ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, sur son improbable dîner en Libye avec le beau-frère de Kadhafi.
Cela faisait plusieurs audiences qu'on tournait autour du pot, et même la présidente avait fini par s'impatienter: "le tribunal aimerait bien un jour arriver à mettre un pied à Tripoli".
C'est chose faite peu après. A la barre, Claude Guéant, 80 ans vendredi, pose sa silhouette frêle sur une chaise rouge à côté de la barre pour raconter comment il s'est retrouvé "seul" en Libye pour "préparer" une visite de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur dont il était à l'époque directeur de cabinet.
L'ex-président est soupçonné d'avoir passé un "pacte de corruption" avec Mouammar Kadhafi pour que le richissime dictateur finance sa campagne présidentielle 2007, avec l'aide de ses très proches Claude Guéant et Brice Hortefeux, jugés à ses côtés.
A Tripoli début octobre 2005, l'intermédiaire Ziad Takieddine (coprévenu mais en fuite) passe le prendre un soir: "Je vais vous faire rencontrer quelqu'un de très important du régime".
Claude Guéant ne pose aucune question, ne prévient pas l'ambassadeur. "Vous ne craignez pas la mauvaise surprise ?" "Et si vous aviez eu un accident de voiture ?", demande, interloquée, la présidente Nathalie Gavarino.
"J'aurais dû mais je ne l'ai pas fait, j'étais dans un climat de confiance, je n'avais aucune raison de suspecter le traquenard. Et c'est comme ça qu'à ma grande stupéfaction, je me suis retrouvé avec M. Senoussi", continue M. Guéant, difficilement audible.
Pendant l'enquête, Nicolas Sarkozy avait dit avoir été mis en garde "par tous les services de l'Intérieur" d'une rencontre avec Abdallah Senoussi, chef des renseignements militaires libyen mais surtout condamné en son absence en France à la réclusion à perpétuité pour son rôle dans l'attentat du DC-10 d'UTA en 1989, qui a coûté la vie à 170 personnes dont 54 Français. Une vingtaine de proches sont parties civiles au procès.
Bavardages
Claude Guéant soutient que lui n'avait jamais été alerté.
Est-ce qu'il fait le lien ? "Oui bien sûr". "170 morts, réclusion criminelle à perpétuité ?". "Oui bien sûr", répète Claude Guéant dans un filet de voix.
- J'étais obligé de rester, je n'allais pas provoquer un incident diplomatique.
- Au restaurant, qu'est-ce qu'il se passe ?
- Nous prenons un repas ensemble.
- D'accord, mais ce n'est pas vraiment ça la question...
- Nous avons évidemment bavardé, nous avons abordé les relations entre la France et la Libye et leur avenir".
Ne craint-il pas d'être pris en photo, qu'on le fasse chanter ? Ou que Ziad Takieddine "traduise mal", par exemple "est-ce que vous pouvez nous donner de l'argent pour la campagne présidentielle ?", demande la magistrate.
Le prévenu bredouille. Elle demande plus frontalement: "est-ce que vous avez abordé avec lui la question du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy ?".
"Non Madame", dit-il plus assuré.
Et ont-ils parlé de la situation judiciaire d'Abdallah Senoussi ? Selon l'accusation, il y avait parmi les contreparties au financement de campagne la promesse d'un coup de pouce à Senoussi, qui rêvait de faire lever son mandat d'arrêt international.
Claude Guéant concède que le sujet a probablement été abordé. "La seule réponse que j'ai pu apporter c'est: +je vais étudier la question+" - mais il n'en fera rien ensuite, jure-t-il.
L'interrogatoire est visiblement pénible pour Claude Guéant, que le tribunal laissera partir avant la fin des questions au vu de son indéniable état de "fatigue".
De retour à Paris après son voyage libyen, il affirme avoir gardé pour lui cet étrange dîner. "Je n'avais pas envie de dire à mon ministre que je m'étais fait berner".
Le procureur financier n'en croit pas un mot. "Rien ne va dans la description de ce qu'il se passe, rien n'est logique", balaie Quentin Dandoy. "Sauf si le but était d'évoquer autre chose".
Deux mois après à Tripoli, Brice Hortefeux, alors ministre des collectivités territoriales, était tombé à son tour dans le même "piège" de la rencontre surprise avec Abdallah Senoussi.
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