Au laboratoire des douanes, le match sans fin avec les drogues
L'armoire ne désemplit pas de sachets à analyser, livrés chaque lundi et mercredi comme une écume du "tsunami blanc" qui balaie la France de l'aveu même du gouvernement. Et la semaine s'égrène tel un match sans fin avec les...

L'armoire ne désemplit pas de sachets à analyser, livrés chaque lundi et mercredi comme une écume du "tsunami blanc" qui balaie la France de l'aveu même du gouvernement. Et la semaine s'égrène tel un match sans fin avec les drogues déjà répertoriées et celles qui le deviendront.
Sur la paillasse, un peu de poudre est broyée dans un mortier, versée dans un vial avec du solvant, puis avalée par un spectromètre. En quelques minutes, un pic apparaît sur les graphiques: cocaïne détectée. Elle est souvent à 60-80% pure, glisse une technicienne.
"Quand une molécule est connue, il y a ce qu'on appelle un +match+, c'est-à-dire qu'on retrouve la molécule qu'on vient d'analyser dans une base de données", explique Antoine Devemy, responsable d'établissement au Service commun des laboratoires (SCL) de Paris, opéré conjointement par les douanes et la répression des fraudes.
Ce laboratoire situé à Massy (Essonne) recevait chaque année 7.000 à 9.000 échantillons de stupéfiants en 2020, principalement saisis à Roissy et Orly. Cinq ans plus tard, la cadence est passée à 12-13.000 pour les dix personnes dédiées aux stupéfiants.
Au total, la dizaine de laboratoires répartis sur le territoire, outre-mer incluses, traite 25.000 échantillons de produits présumés stupéfiants par an. En 2024, 18.000 de ces analyses se sont révélées positives avec les "blockbusters" cannabis et cocaïne, dit M. Devemy, avec respectivement environ 10.000 et 5.000 échantillons positifs, et quelque 3.000 correspondent à la grande famille des nouvelles drogues de synthèse.
Les nouveaux produits de synthèse (NPS) sont des molécules très diverses aux effets mimant ceux de stupéfiants connus et avec des structures proches ou pas des molécules d'origine.
"À la sortie du Covid, on a observé une augmentation du nombre d'échantillons reçus", relate M. Devemy. "De manière mathématique, on reçoit aussi plus de NPS", avec une majorité de cathinones et de cannabinoïdes.
Le bilan annuel des douanes publié lundi confirme la tendance, avec des saisies "record" de drogues de synthèse: 3,08 tonnes interceptées en 2024, en hausse de 27% par rapport à 2023. Cela inclut entre autres 1.677 kg de cachets d'ecstasy (+263%) et 451 kg d'amphétamines (+57%).
- Elucider la structure -
"Avant, il suffisait de rajouter soit un atome, soit un groupement d'atomes, pour qu'une molécule qui n'était pas reprise dans la liste des produits stupéfiants soit parfaitement légale", explique M. Devemy. Désormais, "la législation classe par grande famille".
Des molécules nouvelles continuent cependant d'apparaître.
Dans la famille des cathinones aux effets similaires aux amphétamines, 14 NPS ont été identifiés pour la première fois en France en 2022, dont quatre pour la première fois en Europe.
Pour savoir quelle molécule se cache derrière un pic, "il y a le spectre de masse, que l'on compare à une bibliothèque", résume Jessica Masson, responsable du domaine stupéfiants et médicaments de Massy. Quand la molécule n'est pas référencée, qu'elle n'a pas le statut de stupéfiant, charge aux laboratoires d'élucider sa structure pour qu'elle soit intégrée à la législation des stupéfiants.
Environ "cinq à dix fois par an" une nouvelle molécule est identifiée, selon M. Devemy, et l'information est alors partagée à un réseau de laboratoires européens.
Il cite en exemple des cas récents de nitazènes à la Réunion.
Effets de mode
Les nitazènes, nouvelle classe d'opioïdes de synthèse "avec une puissance pharmacologique élevée et classée comme stupéfiant en juillet 2024", ont aussi été identifiés par le dispositif d'observation de la composition des produits psychoactifs illicites coordonné par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en 2023, notamment dans le cadre de deux alertes sanitaires à Montpellier et à La Réunion.
En 2023, ont également été identifiés des cathinones de synthèse, placées sous surveillance par l'Agence européenne des drogues (EUDA) du fait d'un risque élevé de complications neuropsychiatriques.
"Les observations en milieu festif révèlent une diffusion continue" notamment de ces cathinones de synthèse "auprès de publics plus nombreux et plus diversifiés qu'auparavant", relevait une note de l'OFDT en janvier.
"Il y a des effets de mode", conclut M. Devemy, "des molécules qui apparaissent, qui disparaissent un peu de la circulation", à l'instar, depuis l'affaire Palmade, de la 3-MMC, drogue de synthèse censée booster le désir sexuel.
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