Assassinat de Dominique Bernard: le cauchemar ravivé des enseignants

Deux professeurs assassinés près de leur établissement par des jeunes radicalisés: trois ans après Samuel Paty, "l'horreur a de nouveau frappé", avec le meurtre de Dominique Bernard en octobre, qui a...

Minute de silence à l'Assemblée nationale le 17 octobre 2023, en hommage à Dominique Bernard, professeur assassiné © JULIEN DE ROSA
Minute de silence à l'Assemblée nationale le 17 octobre 2023, en hommage à Dominique Bernard, professeur assassiné © JULIEN DE ROSA

Deux professeurs assassinés près de leur établissement par des jeunes radicalisés: trois ans après Samuel Paty, "l'horreur a de nouveau frappé", avec le meurtre de Dominique Bernard en octobre, qui a plongé la communauté enseignante dans la sidération.

Le professeur de français Dominique Bernard a été poignardé à mort à Arras le 13 octobre 2023, quasiment trois ans jour pour jour après l'assassinat du professeur d'histoire Samuel Paty, le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), poignardé puis décapité près de son collège quelques jours après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors de cours sur la liberté d'expression. 

"Quand Samuel Paty a été assassiné, on a eu une impression d'irréalité. On a mis du temps à s'en remettre. Et trois ans après, l'horreur a de nouveau frappé", témoigne Bruno, professeur d'histoire-géographie dans un lycée de Seine-et-Marne, qui ne souhaite pas donner son nom. "Ça a été dur et ça l'est encore. Cette profession, de plus en plus difficile, devient un sacerdoce dans ce contexte".

Les meurtres d'enseignants sont rares. Début 2023, une professeure d'espagnol, Agnès Lassalle, est poignardée à mort en plein cours par un lycéen de 16 ans, présenté comme psychologiquement instable, dans un établissement privé de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques). Le précédent date de 2014, lorsqu'une institutrice, Fabienne Terral-Calmès, est tuée par une mère d'élève à Albi.

Mais Samuel Paty et Dominique Bernard ont été tués par un jeune radicalisé. Comme Jonathan Sandler, professeur de religion, abattu avec trois enfants le 19 mars 2012 dans une école juive de Toulouse par le délinquant radicalisé Mohammed Mera.

Etre une cible

Secoués, émus, peinés, indignés, les professeurs ont-ils peur?

"Peut-être dans mon inconscient, mais je suis quelqu'un de rationnel. Si j'ai peur un jour,  j'arrêterai cette profession", déclare Benjamin Marol, professeur d'histoire-géographie à Montreuil (Seine-Saint-Denis). 

Un autre enseignant, dans un lycée de Seine-Saint-Denis, ajoute: "Au lendemain du drame d'Arras, je me suis dit que ça pouvait arriver dans n'importe quel établissement. N'importe quel élève ou ancien élève peut passer à l'acte". 

"On a toujours à l’esprit qu'on peut être une cible", abonde Fatima Mezine, professeure d'histoire en collège à Aix-en-Provence.

Peu d'enseignants avouent s'interdire de parler de certains sujets. 

Bruno, le professeur d'histoire et géographie de Seine-et-Marne, déclare que ces drames "n'ont jamais remis en question (sa) façon d'enseigner (sa) matière aux élèves". "Quand cela concerne la religion par exemple, je ne boycotte aucun sujet", dit-il.

Plusieurs profs veillent à la façon dont ils abordent les thèmes d'actualité ou la laïcité, qu'ils sont amenés à traiter notamment dans les cours d'Education morale et civique (EMC). Une vigilance redoublée depuis trois ans.

"Je ne m'interdis aucun sujet, en revanche je fais attention à la façon dont je les traite", explique Eglantine Wuillot, d'un lycée de Bourgoin-Jallieu (Isère). 

Tous les enseignants

Pour cette enseignante, qui a participé à un ouvrage collectif intitulé "Laïcité, discriminations, racisme, les professionnels de l'éducation à l'épreuve", les professeurs adoptent "d’autres stratégies": "être vraiment dans quelque chose de scientifique pour ne pas rentrer dans le débat idéologique, et prendre du recul".

Elle dit ainsi traiter les sujets sur la laïcité "en commençant par faire un point historique". Pour évoquer le conflit entre Israël et le Hamas, elle "remet de la complexité et essaie de rester vraiment sur des faits".

A Conflans-Sainte-Honorine ou à Arras, les meurtriers cherchaient spécifiquement un professeur d'histoire -plusieurs témoins ont rapporté que le tueur d'Arras aurait demandé aux personnes présentes si elles étaient le proviseur de l'établissement ou "le professeur d'histoire".

"Les regards se sont portés vers les profs d'histoire-géo, mais l'onde de choc a été ressentie par tous les enseignants, des écoles, des collèges et des lycées", martèle Olivier, professeur des écoles dans le Val-de-Marne.

Vendredi soir à Paris, au terme d'un procès à huis clos vu le jeune âge des prévenus à l'époque des faits, des peines de 14 mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme ont été prononcées à l'encontre de six ex-collégiens jugés pour leur implication dans l'assassinat de Samuel Paty.

Les adultes seront jugés aux Assises fin 2024. L'auteur de l'assassinat, lui, avait été abattu par la police.

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