AFAPEI : d'une bonne gestion à un projet ambitieux
Nés dès que le pays s'est relevé de la Seconde Guerre mondiale, les mouvements parentaux d'aide au handicap mental franchissent allègement le cap de la soixantaine ou de la cinquantaine. Les projets au sein des associations ne manquent pas. Témoin l'AFAPEI à Calais, qui investit le futur écoquartier Coubertin pour y bâtir un foyer d'hébergement.
Retour bref dans le passé : si elles comptent parmi elles un handicapé mental, les familles sont désarmées. Le plus souvent, elles le cachent, se débrouillent comme elles le peuvent. Après la guerre, passées les grosses urgences, la mentalité change : les familles éprouvent le besoin de s’organiser et de sortir de l’espèce de ghetto dans lequel leurs ancêtres s’étaient enfermés. A Calais, c’est en 1961 que les familles concernées se rassemblent pour fonder l’Association familiale de parents et amis de personnes handicapées mentales du Calaisis. Ce qui donnera le sigle AFAPEI. Une association proche du mouvement “Les Papillons blancs” qui, 54 ans après sa création, marque toujours le paysage de la cité des Six-Bourgeois.
Un projet associatif. Ce mouvement parental, qui s’est donné pour objectif de “répondre aux nombreux besoins existants dans le champ du handicap” sur son territoire, ne manque pas de vigueur puisque environ 600 associations qui ont le même but que l’AFAPEI sont disséminées dans toute la France. Le mouvement, spontané au début, s’est trouvé épaulé et encadré par une loi votée en 1975, loi qui a été revisitée par une nouvelle législation dans les années 2002-2005. L’AFAPEI s’est dotée d’un projet associatif qui court sur la période 2014-2019. Elle le conçoit comme un outil de pilotage, de coordination et de définition des priorités. Il a aussi pour but de réaffirmer l’identité militante du mouvement et de fédérer ses acteurs. Intitulé “La force d’agir”, ce projet s’appuie sur les valeurs de respect, de solidarité et de citoyenneté.
Le polyhandicap. “L’esprit des fondateurs était de s’occuper de la déficience intellectuelle, mais d’autres problématiques sont venues s’y ajouter et nous sommes maintenant dans le monde du polyhandicap“, constate Michel Bocquet, président de l’AFAPEI. Sur les 740 personnes qu’elle accueille, l’AFAPEI compte environ les deux tiers de ressortissants dont le handicap est profond. Ces personnes sont hébergées dans des foyers médicalisés.
Le travail, pour ceux qui le peuvent. L’AFAPEI accueille aussi environ 250 personnes dont le handicap, plus léger, leur permet de travailler. Elles sont dirigées soit vers un établissement social d’aide au travail (ESAT) où elles ne sont pas des salariées ordinaires puisqu’elles n’ont pas de contrat de travail, soit vers une entreprise adaptée (EA) où le contrat de travail est de rigueur. L’ESAT du Calaisis de l’AFAPEI est éclaté entre Balinghem où l’on traite d’espaces verts et de production florale et Calais où, au sein des Ateliers du Détroit, diverses activités sont proposées : menuiserie, chaudronnerie, conditionnement, couture, etc. Ce sont des activités de sous-traitance auxquelles les entreprises ont recours généralement pour remplir leurs obligations en matière d’emploi de travailleurs handicapés. Une organisation qui “nous rend proche de l’économie sociale et solidaire” estime M. Bocquet.
Quatrième employeur privé du Calaisis. Si les ESAT occupent des marchés de niche qui sont parfois délaissés par les entreprises ordinaires, il faut souligner qu’ils sont astreints aux obligations comptables de toute entreprise. Les ESAT fonctionnent sur des budgets annuels négociés avec les financeurs que sont l’État, les régions et surtout les départements dans le cadre de contrats d’objectifs et de moyens qui courent sur cinq ans. Quant au compte commercial, alimenté par les factures des prestations effectuées auprès de la clientèle, il sert à l’investissement (bâtiments, outils…) et au versement d’une prime aux travailleurs, proche des 15% du SMIC. L’AFAPEI adhère au GEAC 62 qui est un groupement des ESAT et des EA dans le Pas-de-Calais. Outre ses 250 travailleurs handicapés, l’AFAPEI emploie 370 personnes, ce qui la place en quatrième position des employeurs privés du Calaisis.
La problématique de la retraite. Les travailleurs handicapés issus de familles qui n’ont pas de solution à cet égard vivent dans des foyers d’hébergement de l’AFAPEI. Ainsi, l’association suit-elle “le parcours de la personne depuis l’enfance jusqu’à la retraite” comme le souligne Michel Bocquet. Le mot de retraite n’est pas banal : jusqu’à une époque relativement récente, les personnes souffrant de handicap mental avaient une espérance de vie largement inférieure à celle des valides. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Cela oblige l’AFAPEI à réfléchir sur le vieillissement de ses ressortissants. Le projet Coubertin (cf. encadré) n’a pas échappé à cette problématique.
Au cœur de l’écoquartier Coubertin
Après celui de la rue Descartes, Calais se dote d’un deuxième écoquartier, imaginé sur la friche Coubertin. Désireuse de reconfigurer ses foyers d’hébergement, l’AFAPEI sera, en 2016, au cœur de ce nouveau quartier. Le foyer “Tom-Souville”, situé dans un quartier excentré de Calais, et celui appelé “La Source”, de Balinghem, seront regroupés à Coubertin. Si “Tom-Souville” disparaîtra, “La Source” continuera à accueillir des résidents. La nouvelle structure comprendra un foyer d’hébergement pour travailleurs d’ESAT de 67 places, dix appartements T2 de 48 m² autonomes et un établissement pour personnes âgées handicapées de 20 places pour faire face au vieillissement progressif de la population accueillie.
Un partenariat avec l’OPH. La Ville de Calais ayant fourni le terrain, un partenariat a été noué avec l’Office public de l’habitat de Calais qui est maître d’ouvrage. Le budget global de l’opération est de 10 millions d’euros, financés pour l’essentiel par le Conseil départemental. C’est l’entreprise Ramery qui a remporté l’appel d’offres. Les travaux ont commencé en mai dernier et la livraison est prévue fin 2016.
Entre “gouvernance” et “dirigeance“
Michel Bocquet et Frédéric Descamps : ce sont les deux personnages-clé de l’AFAPEI. Michel Bocquet a derrière lui une longue carrière de dirigeant d’entreprise dans le milieu des travaux publics. Sa vie familiale l’a amené à s’impliquer dans la structure et il en assume la présidence depuis 22 ans.
Frédéric Descamps est entré dans la vie de l’AFAPEI beaucoup plus récemment − en octobre 2014−, lorsqu’il a été recruté comme directeur général. Pourvu d’une formation d’éducateur spécialisé, renforcée par un DESS en ressources humaines et un passage à Sciences-Po Lille, ville dont il est originaire, il a semblé le candidat idéal au conseil d’administration de l’AFAPEI l’an dernier lorsque le poste s’est trouvé vacant.
Michel Bocques résume ainsi leur dyarchie : “J’incarne la gouvernance, c’est-à-dire qu’avec l’aide des membres du conseil d’administration, je définis les grandes orientations. Frédéric Descamps est chargé de la dirigeance : en qualité de directeur général, il lui revient d’assurer au quotidien le bon fonctionnement de l’association.”