Europe
À la recherche de l’inflation perdue dans la zone euro
Avec les plans de relance, les goulets d’étranglement et l’éventuelle mobilisation de l’épargne forcée, d’aucuns craignent le retour de l’inflation dans la zone euro. Mais les conditions d’une forte augmentation des prix sont loin d’être réunies…Décryptage.
L’adoption aux États-Unis du plan de relance de Joe Biden - 1 900 milliards de dollars, soit 10 % du PIB tout de même ! - a ravivé la crainte d’un retour de l’inflation. Et comme les économies sont interdépendantes, il n’en fallait pas plus pour que la problématique fasse également son grand retour au sein de la zone euro, alors même qu’elle avait disparu des radars depuis de très nombreuses années. Même les marchés financiers semblent anticiper de l’inflation, dans la mesure où les taux d’intérêt à long terme ont augmenté ces dernières semaines.
Une inflation très faible
Le taux d’inflation annuel de la zone euro était de 0,9 % en janvier 2021, contre 1,4 % un an auparavant, bien loin de l’objectif de moyen terme de la Banque centrale européenne (BCE) fixé à 2 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Dans le détail, les taux annuels les plus faibles dans la zone euro ont été observés en Grèce (-2,4 %), en Slovénie (-0,9 %), à Chypre (-0,8 %), tandis que les taux les plus élevés ont été enregistrés en Allemagne (+1,6 %) et au Luxembourg (+1,1 %). Et dans de très nombreux pays, le taux d’inflation annuel stagne entre 0,5 et 1 % (0,8 % en France, 0,7 % en Italie, 0,4 % en Espagne…). Globalement, depuis la fin de l’année 2018, le taux d’inflation est en net recul au sein de la zone euro, malgré le caractère fortement expansionniste de la politique monétaire. Certes, le prix du pétrole a beaucoup augmenté depuis quelque temps, mais pas à un niveau suffisamment alarmant pour conduire à une inflation galopante. Même l’inflation sous-jacente - celle qui exclut les composantes les plus volatiles, comme l’énergie ou l’alimentation - demeure à un niveau bas.
Les causes de l’inflation
Les causes conjoncturelles de l’inflation sont bien connues, tant du côté de l’offre (prix du pétrole, prix des matières premières…) que de la demande (demande potentiellement supérieure à l’offre, après une crise). À plus long terme, le vieillissement démographique, déjà visible dans de nombreux pays, dont l’Allemagne, fait apparaître un excès de demande de biens et services. Quant à la transition écologique, elle devrait, a priori, conduire à une augmentation des coûts de l’énergie, au moins à court terme. Par ailleurs, le rapatriement des usines vers les pays développés, à la suite de difficultés de coordination, de l’augmentation des coûts de production dans les pays émergents, ou tout simplement de la demande des consommateurs pour des productions à fort contenu national, est susceptible de renchérir les biens et services. En revanche, le supplément d’offre de monnaie, lié à la politique monétaire de la BCE, tombe pour l’instant dans l’escarcelle des marchés financiers, et pas dans celle des ménages ; d’où une forte hausse du cours des actifs, mais pas des biens et services. En tout état de cause, l’inflation dépend beaucoup du rapport de force entre salariés et employeurs, ce qui rappelle que l’inflation est avant tout un rapport social. Or, depuis la création de l’euro, le partage des revenus se déforme structurellement au détriment des salariés, ce qui pèse sur leur pouvoir d’achat. Tout l’enjeu sera donc de savoir si ces derniers arriveront à tirer un peu plus la couverture à eux et si les entreprises intégreront ou non une éventuelle hausse du coût salarial unitaire dans leurs prix de vente.
Inflation et solvabilité
Comme la stabilité des prix dans la zone euro est la principale mission de la BCE, le risque de déflation a conduit l’institution monétaire à mener, depuis 2015, une politique non conventionnelle de quantitative easing. Celle-ci consiste à acheter des titres sur les marchés - essentiellement des titres de dette publique - en créant la monnaie nécessaire, ce qui a conduit à une baisse historique des primes de risque et des taux d’intérêt souverains. Autrement dit, la solvabilité de nombreux États de la zone euro, dont l’Italie, résulte avant tout de la politique monétaire… Dès lors, le retour d’une inflation forte obligerait la BCE à rendre sa politique monétaire plus restrictive, avec pour conséquence une grave crise des finances publiques au sein de la zone euro. Et que dire de l’endettement privé qui n’a cessé de croître ? Face à un tel danger, il est fort probable qu’à l’instar de son homologue aux États-Unis, la BCE s’abstiendra, à court terme, de réagir à une hausse modérée de l’inflation. En tout état de cause, le grand retour de l’inflation au sein de la zone euro n’est pas au programme à court terme : la BCE prévoit un taux d’inflation 1,5 % pour 2021 (1,2 % pour 2022) et encore, uniquement en raison de «facteurs temporaires»…