Brexit
A Boulogne-sur-Mer, le ras-le bol des pêcheurs
Deux mois après le Brexit, les pêcheurs de la Côte d’Opale semblent avoir perdu leur illusion sur l’accord trouvé in extremis par l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les eaux britanniques sont accessibles, mais de façon restreinte. Rencontre avec Stéphane Pinto, premier vice-président du Comité régional des pêches.
Ce n’est pas «l’apocalypse» mais cela pourrait sérieusement y ressembler. Sur le quai Gambetta, à deux pas des dernières aubettes où les femmes des pêcheurs vendent les prises de la veille, Stéphane Pinto remonte ses paniers de coquilles Saint-Jacques.
Le vice-président du Comité régional des pêches ne mâche pas ses mots : «On nous a annoncé un accord le 24 décembre. On devait avoir l’accès aux eaux britanniques via une licence. Mais pour l’obtenir, les pêcheurs français doivent prouver qu’ils fréquentent la zone sur une période allant de 2012 à 2016. Tout le monde n’a pas une balise pour le justifier… On aurait préféré un no deal finalement.»
103 casiers arrachés
Plus poissonneuses que les françaises, les eaux britanniques forment 60% de la pêche de la filière opalienne. Impossible de se passer des saisons de capture dans ces eaux : depuis le début de l’entrée en vigueur de l’accord, et en attendant les licences, les pêcheurs français ont raté la sole qui loge du côté britannique jusqu’en avril. «On va pêcher à Dunkerque en attendant», souffle l’exploitant.
Sur le site du ministère de la Mer, l’Etat prévient que les «autorités britanniques ont donné leur accord à ce que les engins dormants (casiers) puissent rester dans leurs eaux le temps que la licence soit obtenue».
Depuis le 1er janvier, les pêcheurs de crustacés français ont perdu 103 casiers, arrachés par les chalutiers et d’autres navires.
Pour aider la filière, le Gouvernement a mis en place une série de mesures pour les pêcheurs et mareyeurs : une aide forfaitaire pouvant aller jusqu’à 30 000 euros «en fonction de leur dépendance aux produits capturés dans les eaux britanniques» ; un contrôle trimestriel de la perte du chiffre d’affaires est prévu.
Les pêcheurs pourront aussi bénéficier d’une indemnisation de 30% du «chiffre d’affaires de référence certifié». En outre, le Gouvernement a ouvert le dispositif de chômage partiel, toujours pour les salariés dont les entreprises dépendent des eaux britanniques.
L’Etat ajoute des aides à la restructuration pour les entreprises qui lancent un plan de sauvegarde de l‘emploi (PSE). Et s’inscrit dans un «plan de sortie de flotte» pour les dirigeants qui préfèrent arrêter leur activité.
Des navires à la casse ?
Pour ceux qui veulent continuer, des aides à l’investissement (sur fonds européen) sont proposées. Sur la Côte d’Opale, la trentaine de navires qui pêchent dans la Manche et la mer du Nord emploient plus de 200 personnes.
«Un emploi en mer, c’est quatre emplois à terre», rappelle Stéphane Pinto.
L’un de ses six salariés pensait reprendre l’entreprise avant le Brexit ; aujourd’hui, son patron pense à arrêter son activité. «Si ça ne va pas mieux en 2022, on cassera le navire. Que peut-on faire d’autre ? On ne peut pas gagner notre vie en perdant 60% de notre activité.»
Le 2 mars dernier se déroulait une nouvelle visioconférence entre le ministère de la Mer et le Comité national des pêches. L’Union européenne serait bien inspirée d’octroyer plus que les 17 licences depuis le 1er janvier dernier.