Yvonne Tassou : "L'entreprise est ce qui fait vivre le pays"
Depuis avril 2013, Yvonne Tassou est la présidente de la CEPME Nord et Nord-Pas-de-Calais. A l'écoute de ses adhérents qui bénéficieront bientôt de deux propositions de complémentaires santé labellisées CGPME, elle travaille à faire reconnaître les vertus de l'entreprise et le travail du chef d'entreprise. Entretien avec une présidente qui ne mâche pas ses mots.
La Gazette. Quelques mots de présentation…
Yvonne Tassou. Je suis chef d’entreprise, sur une fin de carrière… Après une carrière au Crédit Lyonnais comme fondée de pouvoir, j’ai créé en 1990 Acofi 92 Sefico 92, une PME implantée à Roubaix et axée essentiellement sur la gestion d’entreprise, le recouvrement de créances et la gestion sociale. Présidente du conseil d’administration de l’Urssaf Nord-Pas-de-Calais depuis décembre 2012, j’ai été nommée le 26 septembre 2013 au Conseil économique, social et environnemental régional. J’y préside la commission santé, cadre de vie et environnement. C’est depuis avril 2013 que je suis présidente de la CGPME Nord et Nord-Pas-de-Calais.
La CGPME, justement…
La CGPME, c’est un mandat vraiment enthousiasmant. Je considère que le rôle d’un président de syndicat patronal, c’est d’être à l’écoute de ses adhérents et aussi des non-adhérents. Avec la présidence nationale de François Asselin, nous sommes exactement dans cette voie-là.
Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. Les entreprises ne vont pas bien, ce n’est pas nouveau. On leur fait des promesses qu’on ne tient pas, dont on recule l’application. Sur une idée qui, au départ, est toujours bonne, on crée tout un carcan juridique qui aboutit à une application complètement irréalisable. Ainsi en est-il du compte pénibilité qui est une bonne idée : faire partir plus tôt en retraite des gens qui ont eu un travail pénible, une carrière difficile, franchement il n’y a rien à redire. Par contre, sa mise en œuvre avec des chefs d’entreprise à qui l’on demande d’être derrière chacun de ses salariés pour voir combien de temps il a passé derrière son écran, combien de caisses il a déplacées dans la journée… Franchement le chef d’entreprise a autre chose à faire ! J’ai pourtant suggéré une issue à cette proposition. Pourquoi ne pas s’inspirer du principe de la maladie professionnelle qui repose sur des critères et des durées d’exposition générateurs ? On pourrait faire de même avec la pénibilité et cela redonnerait du sens à la médecine du travail. Au moment de la prise de retraite, la vérification des données serait confiée à la Carsat. Et le tour serait joué ! Mais non, on fait des promesses et puis deux pas en arrière !
Autre exemple récent, le barème forfaitaire en matière de licenciement, une mesure qui convenait bien aux TPE/PME pour qui c’était une source de souci en moins. Quand un chef d’entreprise embauche un salarié, il se demande combien cela va lui coûter au final. Des litiges entre employeurs et salariés, il y en a toujours, sauf qu’on a l’impression que certains salariés sont nés pour cela et pensent qu’ils vont pouvoir puiser sans fin dans les réserves financières de l’entreprise. Le fait d’avoir fixé un barème plafond était plutôt rassurant. Aujourd’hui le gouvernement est revenu sur cette mesure et a cédé au lobbying fait par certains au détriment de la PME/TPE.
On nous annonce la mort à l’horizon 2020 du système de retraite complémentaire. Chacun convient qu’il faut revoir le système. Et parmi les premières pistes avancées, figure l’augmentation des cotisations. À force d’augmentations, on détruit l’entreprise. Si on détruit l’entreprise, on détruit l’emploi et à détruire l’emploi, on détruit l’économie. Tant qu’on n’aura pas compris que c’est l’entreprise qui fait vivre le pays !
Comment améliorer cet état de fait ?
Tout le monde dit, écrit : la PME par ci, la PME par là… Mais combien ont mis les pieds dans une PME pour voir son fonctionnement réel ? Pour parler de l’entreprise, du commerçant du coin, du sous-traitant d’une entreprise nationale, il faut les connaître et pour les connaître il faut avoir mis les mains dans le cambouis. Ceux qui nous gouvernent méconnaissent la réalité du quotidien du chef d’entreprise qui doit tout gérer, qui sait le souci de l’échéance TVA ou de l’Urssaf, du chiffre d’affaires qui ne rentre pas, de la facture impayée, du bon de commande pas signé.
Ceci étant, il y a au niveau régional un certain nombre de choses pour lesquelles les chefs d’entreprise n’ont peut-être pas forcément la mesure de l’apport qu’elle peuvent donner au développement économique. Ainsi de la troisième révolution industrielle qui n’est pas assez connue, même parmi les adhérents CGPME. La troisième révolution industrielle peut apporter beaucoup, au même titre que les réflexions sur la COP21 et tout ce qui peut être fait pour lutter contre le dérèglement climatique. Penser autrement, réfléchir autrement dans nos entreprises, c’est la voie du progrès. Réutiliser les déchets, reconvertir la chaleur de certaines industries pour chauffer une salle de sport, un lotissement, c’est facteur de progrès, d’évolution. Le problème, c’est que les chefs d’entreprise ont tellement la tête dans le guidon, sont tellement soucieux du devenir de leur entreprise, de leur carnet de commandes, de leur poste clients, de leurs relations avec leur banquier, qu’ils ne s’arrêtent plus pour réfléchir à d’autres organisations. Mais cela va revenir. Les “After work” que la CGPME Nord organise favorisent les échanges et l’émulation entre chefs d’entreprise. Les partenariats signés avec certaines grandes écoles, et notamment avec l’université Lille 1 qui a mis en place sa vitrine de l’innovation Xperium que nous avons visité deux fois, permettent la mise en contact entre chercheurs et chefs d’entreprise.
Un autre axe de progrès que développe la CGPME cible la sensibilisation des jeunes à l’entrepreneuriat à travers “Génération Invidia” qui est un quiz gratuit et en ligne, développé avec AGEFA PME et le rectorat de Lille. Ce logiciel en cours de labellisation permet de mettre en avant le potentiel entrepreneurial des jeunes, de la troisième à l’université, à déceler des aptitudes chez eux et leur donner envie d’entreprendre. Plus il y aura de personnes qui auront eu l’occasion de découvrir l’entreprise, plus on aura de chance qu’un jour ils comprennent comment elle fonctionne. C’est un travail de longue haleine.
L’actualité pour les TPE-PME, c’est aussi l’ANI…
La mutuelle santé obligatoire, c’est un coût supplémentaire pour l’entreprise et un risque supplémentaire de contrôle Urssaf. À tous les coups, l’on gagne ! Il y a un tel formalisme à respecter ! Toutes les entreprises n’ont pas les moyens d’embaucher quelqu’un pour faire tout leur administratif, pour se mettre en conformité. Elles vont devoir payer différents spécialistes, car elles ne peuvent pas tout confier à leur expert-comptable qui, avec la meilleure volonté, ne peut tout savoir, tout voir. Cette complémentaire, c’est un coût supplémentaire qu’un certain nombre d’entreprises auront beaucoup de mal à supporter.
C’est d’ailleurs pour simplifier le travail de ses adhérents et leur permettre de souscrire sans arrière-pensée que la CGPME va prochainement leur proposer de choisir entre deux contrats labellisés par elle en fonction des critères légaux qu’ils doivent respecter de par la loi. Il y a trop de redressements Urssaf sur des contrats qui s’avèrent ne pas être en conformité. L’idée, c’est d’offrir un socle de base qui ait une couverture assez large.
Et régionalement ?
Le gros problème de la région, c’est la thrombose lilloise, l’accès à la Métropole, à tel point que nous avons décalé à 10h l’accueil de nos petits déjeuners mensuels au lieu de 8h30. Il y a des solutions à cela. Le CESER a notamment émis un rapport sur le travail agile. Il faut que chacun prenne le temps d’y réfléchir, entre le télétravail, le coworking, un déménagement… Il y a des pistes de réflexion à avoir parce que, clairement, il ne faut pas s’attendre à ce qu’on multiplie les voies d’accès à Lille. Le Réseau express, les modes alternatifs, le canal Seine-Nord, tout cela c’est bon pour la planète, c’est bon pour la région, c’est bon pour nos entreprises…
Comment jugez-vous la conjoncture ?
D’après les statistiques du tribunal de commerce de Lille-Roubaix-Tourcoing au 31 août 2015, il y a eu 224 ouvertures de redressement judiciaire contre 225 sur la même période de 2014, soit une baisse de 0,44%. Va-t-on dire qu’on est sur une évolution favorable ? À regarder les chiffres de l’emploi, certains bassins − Maubeuge, Saint-Omer… − sont complètement sinistrés et certains secteurs d’activité, en péril, comme le BTP avec -3,2% d’emplois au 30 juin selon l’Urssaf. Certes, on constate une légère reprise du travail intérimaire et on peut se dire, par réflexe, que l’emploi va repartir. Mais pour que l’emploi reparte, il faut que les carnets de commandes se remplissent. Aujourd’hui, ce qui fait remplir les carnets de commandes et relancer les grands chantiers, c’est la commande publique. Dans la région, et dans le meilleur des cas, il faudra attendre la fin du premier semestre 2016, le temps que le nouveau Conseil régional se mette en place pour que ça redémarre. C’est mécanique. Pendant ce temps-là, il faut arriver à tenir.
Vous n’êtes pas très optimiste ?
Je suis réaliste. Nous avons une crise qui perdure, des échéances électorales rapprochées. Une fois la Région en place, on retombera sur une autre période électorale que sont les présidentielles. Dans les faits, quand l’économie redémarrera-t-elle ? En 2018… si tout va bien et si on n’a pas fermé boutique d’ici là.
Comment se porte la CGPME ?
La CGPME a augmenté son nombre d’adhérents et travaille encore à l’augmenter. Plusieurs fédérations professionnelles l’ont rejointe. Syndicat interprofessionnel avec des branches artisanat, services, industrie et commerce, nous essayons de défendre les intérêts de tous nos adhérents. Avec le Medef avec qui nous avons des adhérents communs, nous nous concertons le plus possible pour travailler en bonne entente. La cérémonie commune de vœux 2015 a illustré cette unité d’intérêts qui existe. Après, il y a les positions nationales sur la représentativité par exemple… Chacun a sa position. Je suis CGPME, je défends la position de la CGPME. Preuve de cette entente, François Asselin, président national de la CGPME, sera à Lille à l’invitation de Philippe Hourdain pour l’assemblée générale de la CCI Grand-Lille le 23 novembre prochain.
Et la grande Région ?
Depuis quelques mois, les équipes travaillent à la mise en place d’une CGPME Nord-Pas-de-Calais-Picardie au 1er janvier 2016. Le siège à Lille a été acté, ainsi que la persistance de cinq CGPME départementales. La CGPME régionale aura un président assisté de quatre vice-présidents pour que tous les départements soient représentés. Les travaux préparatoires avancent bien et en bonne entente. Nous avons les mêmes problématiques, les mêmes clubs, Entreprendre au féminin, Jeunes Pousses…, des actions relativement identiques. La CGPME est aussi bien représentée dans l’Oise que dans le Nord qui comptent un peu plus de la moitié des adhérents, les trois autres sections étant équivalentes. Nous sommes les premiers en France à être aussi avancés.
“L’Urssaf, un bien nécessaire“
“Quand elles sont à jour de leurs cotisations, les entreprises sont toujours bien traitées“, indique avec un zeste de malice Yvonne Tassou, interrogée sur son mandat à l’Urssaf Nord-Pas-de-Calais en précisant de suite : “Celles qui ont du retard peuvent bénéficier de délais de paiement, il suffit de les demander, les services de l’Urssaf examinent toutes les demandes. Il ne faut pas que les entreprises aient peur de l’Urssaf. Elles peuvent avoir l’impression d’un grand méchant collector qui vient prendre leur argent. Or, l’Urssaf, c’est, mieux qu’un mal nécessaire, un bien nécessaire. Elle collecte certes les charges sociales pour mieux les redistribuer aux organismes de sécurité sociale, CPAM, CAF, transporteurs, caisses de retraite. Faut-il rappeler que la France a le meilleur système de couverture sociale d’Europe, voire du monde ?! Il ne faut pas avoir peur en cas de doute sur une procédure d’interroger l’Urssaf, le rescrit social est fait pour cela, d’autant que les réponses fournies engagent l’institution.“
“Le CESER, le mandat le plus enthousiasmant“
“De tous mes mandats, le mandat CESER est le plus enthousiasmant. Enthousiasmant parce que la société civile peut s’y exprimer sur tous les sujets dont elle est saisie par le Conseil régional, mais dont elle peut aussi s’autosaisir. On nous demande d’être innovant, de faire des propositions qui soient créatrices d’emploi. Si aujourd’hui on n’est pas capable de réfléchir à ce que peut être la région demain et comment on peut la faire évoluer, ce n’est pas au CESER qu’il faut être ! Enthousiasmant aussi par la volonté de travailler ensemble que manifestent ses membres, venus d’horizons très différents. Des rapports sur lesquels j’ai travaillé, celui qui m’a le plus marqué est le rapport ‘Précarité énergétique’. J’ai découvert que 25% de la population régionale souffrait de précarité énergétique. Il a été une prise de conscience de conditions de vie que je ne m’imaginais pas aussi difficiles dans la région. J’espère que les préconisations que le CESER a faites seront suivies d’effet. Mais c’est une autre histoire !“.