Vincent Potié : "pour une justice de qualité"

A quelques semaines de la fin de son mandat de bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Lille, il a parlé des nécessaires (r)évolutions de l'exercice de la profession lors de la rentrée de la conférence du jeune Barreau le 7 octobre. Entretien avec ce bâtonnier qui n'édulcore pas ses propos.

Vincent Potié.
Vincent Potié.
D.R.

Vncent Potié.

 

 

La Gazette. Il y a un an, le barreau de Lille manifestait pour l’aide juridictionnelle. Où en êtes-vous dans vos relations avec l’Etat ? 

Vincent Potié. Nous avons la chance d’avoir enfin un ministre qui travaille, Jean-Jacques Urvoas, qui nous dit et répète avoir comme seule exclusive priorité son engagement d’augmenter le budget de la Justice. Il a réussi à le faire dans des proportions notables, sauf que l’aide juridictionnelle reste le parent pauvre. Aujourd’hui, l’Etat se désengage de toutes ses obligations régaliennes et leur préfère des secteurs qui, économiquement et politiquement, peuvent avoir un intérêt plus immédiat. Pour pouvoir intéresser le politique, il faut des rapports de forces. L’action engagée l’an dernier a permis une augmentation sensible des indemnités d’aide juridictionnelle qui aboutira à une hausse globale de 20% avec une unité de valeur fixée entre 30 et 32 € au lieu de 25 €. Dommage que l’Etat n’ait pas voulu reprendre la discussion sur le fond de ce dossier. Il s’est contenté de saupoudrer, alors qu’il faut en réalité révolutionner le système juridictionnel, repartir à zéro. C’est une absence de volonté politique. 

Plus globalement, au niveau judiciaire, la seule idée qui transpire dans les institutions, c’est comment faire pour vivre avec la pénurie. Au lieu de rechercher une justice de qualité, on cherche une justice moins chère par la déjudiciarisation. On parle gestion du temps du magistrat, du juge, du parquetier, du greffier, en prévoyant le juge unique au détriment de la collégialité, la visioconférence plutôt que le face-à-face. 

Je pense pouvoir dire, au terme de deux années de bâtonnat, que nous avons affaire à des magistrats de grande qualité intellectuelle, qui ont une vraie notion du service public de la justice, qui leur permet de faire face à l’ampleur de la tâche qu’on leur assigne. Les institutions ne prennent plus en compte l’objet de leur fonction qui est la recherche de qualité, mais se concentrent exclusivement sur la gestion de la pénurie. J’ai beaucoup de mal à comprendre comment le système judiciaire peut rester debout et être encore en capacité de juger de manière sereine. Nous allons droit vers la catastrophe. La justice figure de moins en moins parmi les priorités des politiques. On nous parle sécurité, immigration, identité nationale, remboursement de la dette, etc., mais plus de qualité et de garantie d’une bonne justice et protection judiciaire. Il est des situations absolument intolérables… L’autorité politique ne sait plus que l’autorité judiciaire est un des maillons essentiels de la cohésion nationale. C’est dramatique.  

 

Ce tableau de l’état général de la justice n’est pas très reluisant. Qu’en est-il de celui de la profession ? 

Le fait est que la profession se porte plutôt bien et même de mieux en mieux parce que le besoin de droit est de plus en plus important. Le barreau lillois compte 1 200 avocats en exercice. Globalement son chiffre d’affaires augmente. Mais, comme toutes les professions, c’est une profession qui est en pleine évolution, en pleine révolution du fait à la fois du progrès technique, de la libéralisation forcenée et de la révolution du mode de consommation des services. Pendant des années, des siècles, les avocats avaient une fonction simple : plaider en robe au palais de justice. Là, ce n’est plus l’essentiel. Aujourd’hui la profession d’avocat, c’est aussi une profession de conseil aux entreprises et aux individus. L’avocat doit se mettre à la portée de son client, lui permettre d’ouvrir les portes du monde judiciaire, qu’il soit entreprise ou particulier. Ce qu’il ne sait pas toujours très bien faire et à l’amélioration de quoi répond la table ronde organisée à l’EDHEC… Le positionnement socioculturel des avocats a bien changé, et le métier est désormais multiforme. Le temps du judiciaire n’est pas géré, le coût de l’avocat est mal compris. Ces phénomènes posent des soucis majeurs à la profession qui doit absolument se révolutionner, accepter par exemple le principe de l’utilisation du digital pour améliorer l’accès du client à l’avocat et pour la normalisation d’un certain nombre d’actes permettant d’aller beaucoup plus vite et de rentabiliser son temps. L’uberisation a un côté dangereux et très négatif, mais c’est une réalité à laquelle nous sommes confrontés. Il ne s’agit pas de la même forme de service. Mais ceux qui continuent de penser que notre métier ne doit pas évoluer parce qu’il est génial, qu’on fait exactement ce qu’on peut faire et qu’on ne peut rien faire d’autre, ceux-là mourront. Il faut le savoir, le dire et le répéter.  

 

Que penser de l’emprisonnement de nombre d’avocats à travers le monde ? 

La sécurisation du monde au mépris des libertés nous impacte. Il a fallu en France que les atrocités du terrorisme de ces derniers mois nous frappent pour décréter l’état d’urgence qui est inutilement encore en vigueur. Le terrorisme frappe de nombreux pays depuis plus de vingt ans. La difficulté est que, quand on est en état d’urgence, on met à mal nombre de libertés fondamentales sans que plus grand monde s’en émeuve. Quelle est la nécessité de cette mesure ? Il est absolument indispensable que les droits fondamentaux, le droit de la défense et le droit à une défense soient inscrits dans le marbre constitutionnel. Le droit de la défense doit être le pendant immédiat de la montée du tout-sécuritaire… Il y a une diminution des espaces de liberté et de droit qui passe tranquillement. Cette problématique doit être au cœur des soucis de la société française. La pensée commune est de plus en plus radicale. La liberté semble devenue un signe d’irresponsabilité et de faiblesse alors qu’elle est en réalité révélatrice d’un Etat fort ! La société est sur des positionnements qui obèrent la liberté. Sommes-nous vraiment sûrs que cela répond à la réalité d’un besoin réel ? Ce mouvement est malheureusement présent dans de nombreux pays où de très nombreux confrères sont empêchés d’exercer leurs fonctions pourtant essentielles à la civilisation.