Vianney Mulliez : “Le commerceest l’un des grands supportsdu développement économique”

Le 15 mars dernier, Vianney Mulliez était invité dans le cadre des débats du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) Lille Métropole que préside Laurent Bazin. Le dirigeant a présenté son expérience sur le thème : “Le commerce moderne au service de la cité”.

Vianney Mulliez, dirigeant du groupe Auchan.
Vianney Mulliez, dirigeant du groupe Auchan.

 

Vianney Mulliez, dirigeant du groupe Auchan.

Vianney Mulliez, dirigeant du groupe Auchan.

La Gazette Nord – Pas de Calais, avec KPMG, la Caisse d’Epargne Nord de France et Flandre assurances, est partenaire de ces débats d’idées qui proposent de partager l’expérience d’un dirigeant autour d’un déjeuner.

Vianney Mulliez, 49 ans, a pris la succession de son oncle Gérard comme dirigeant du groupe Auchan (Auchan, Simply Market) au printemps 2006. Ce financier accompli, diplômé d’HEC, a osé commencer sa carrière en dehors du groupe familial dans le cabinet d’audit Pricewater houseCoopers en 1984, avant de créer son propre cabinet d’audit (MBV & Associés) en 1992. Il rejoint Auchan six ans plus tard en entrant à la direction financière d’Auchan France. Deux ans plus tard, il est en charge du développement international. Il pilotera aussi la filiale immobilière Immochan. A la tête du groupe Auchan depuis 2006, au départ à la retraite de Christophe Dubrulle en 2010, il exerce la double fonction de président du conseil d’administration et de président du comité exécutif. Père de trois enfants et golfeur passionné, il ne s’exprime que très rarement dans la presse. Il a pourtant accepté avec enthousiasme l’invitation du CJD au Débat d’idées pour présenter son expérience et répondre ensuite aux multiples questions d’un auditoire nombreux.

Vianney Mulliez : Groupe Auchan est une entreprise d’abord régionale et locale avant d’être internationale et implantée dans 12 pays. Il regroupe de nombreux métiers, depuis ceux de l’hyper et du supermarché à ceux liés au support du commerce comme l’immobilier commercial ou le crédit à la consommation. Sans oublier de nouveaux métiers commerciaux comme le e-commerce ou le drive. Le groupe dont l’actionnariat est composé de la famille Mulliez et des collaborateurs n’est pas coté en Bourse : c’est une originalité dans le monde des grandes entreprises du retail et une façon de nous inscrire dans la durée qui nous apparaît comme un avantage concurrentiel certain.

Un groupe à taille humaine. Nos 269 000 collaborateurs sont à la fois un enjeu et une richesse fantastique. Auchan a toujours fondé son projet et sa croissance sur le développement des hommes : celui qui permet le progrès de chaque individu et qui génère le progrès de l’entreprise. Et pour toutes ces personnes, dont le nombre est un challenge pour toute entreprise qui grandit, nous avons deux principes, le bon sens et une vision commune qui fédère tous nos collaborateurs : “améliorer le pouvoir d’achat et la qualité de vie du plus grand nombre de clients”.
L’humain est le maître mot de notre management. Un bon commerçant, c’est d’abord quelqu’un qui bâtit de bonnes relations avec autrui.Pour réaliser notre vision en capitalisant sur des hommes responsabilisés et considérés, le groupe fonctionne en entités autonomes. Chacune partage les valeurs et le savoir communs, pratique la confiance pour mieux pouvoir prendre des risques, et recherche le progrès. Ces entités sont elles-mêmes dupliquées dans des formats à taille humaine : les magasins. Nous avons 616 hyper et 759 supermarchés, et ce sont autant de directeurs responsabilisés et grands managers. Avec 152 000 collaborateurs actionnaires dans sept pays, nous dépassons largement le nombre d’actionnaires de certaines entreprises cotées. Nous sommes donc un modèle un peu différent dans le monde capitaliste, et qui peut peutêtre servir de référence !
A la question du jour (qu’estce que le commerce moderne apporte dans la cité ?), je commencerai par répondre que le commerce est le deuxième plus vieux métier du monde. C’est l’un des grands supports du développement économique. La création de valeur a été instaurée dès les premiers chasseurs et cueilleurs avec le troc et l’échange qui ont permis le lien entre les cultures et les civilisations. L’essor du commerce passe ensuite par les marchands voyageurs et par le développement de la monnaie et des transports. Puis il y a eu les épiciers, et plus près de nous encore les succursalistes, et les magasins populaires. La distribution moderne est apparue dans les années 1960. C’était un phénomène de fond, apparu dans plusieurs endroits du monde à un moment où l’appétit de consommation est considérable. Aux Etats-Unis, Bernardo Trujillo a posé les bases de la grande distribution à l’américaine, avec quelques slogans – “no parking, no business” –, le discount et le libre-service, le tout sous le même toit. En France, Gérard Mulliez a eu une idée complémentaire : réunir les concurrents sur un même site afin de multiplier les raisons de venue des clients. C’était la naissance des centres commerciaux.
Depuis lors, le commerce moderne est au coeur de nos sociétés. Il est fréquemment pris à partie. Le dieu du commerce est aussi le dieu… des voleurs ! On nous le rappelle souvent ! Or nous sommes des médiateurs entre le fournisseur et le client. L’équilibre est fragile et au service du pouvoir d’achat du consommateur. Le maintenir et l’augmenter si possible est donc pour nous un combat de tous les jours.

Les apports du commerce dans la cité. Le monde va passer de 6 milliards à 9 milliards d’habitants en 2050 avec, dans le même temps, la diminution des terres arables. Les denrées alimentaires vont devenir rares et chères. Il y a un vrai enjeu de productivité alimentaire. Il faut donc améliorer les filières agroalimentaires, mais aussi la fluidité du commerce dans les pays émergents afin de permettre un développement économique. Il est très intéressant de suivre ce que demandent les dirigeants de ces pays. Leurs préoccupations montrent bien ce que le commerce moderne peut apporter à la cité.
Ils demandent d’abord la baisse du coût du service rendu au consommateur. Or 80% du prix d’un produit correspond à son prix d’achat. L’exigence de compétitivité doit donc aussi se porter en amont, sur l’industriel fabricant pour qu’il vende son produit à prix bas. Ce n’est pas un hasard si Danone et L’Oréal sont d’origine française car c’est en France que l’hypermarché a été inventé. Le résultat, c’est plus de produits disponibles : les rotations et le choix augmentent. C’est plus de confort pour le consommateur.
Ils nous demandent aussi d’organiser la chaîne de distribution. A Shanghai, ils nous ont demandé de créer un MIN. Ce n’est pas notre métier, nous avons donc transmis la demande. Les grands distributeurs français doivent participer à l’amélioration de cette chaîne. D’autant plus que, chaque année, selon la FAO, 55% des denrées alimentaires sont perdues entre la production et le consommateur. Nous devons donc tous travailler pour éviter le gâchis et rendre la supply chain plus performante.
Troisième demande des pays émergents : créer un amont efficace. Dans les pays où nous sommes, et en particulier en alimentaire, nous n’avons pas vocation à miser sur l’importation : nous n’allons pas importer des pommes de terre françaises en Russie par exemple, mais nous allons choisir celles produites sur place et préférer la proximité. Nous devons donc encourager la montée en professionnalisme des producteurs locaux pour construire des assortiments locaux. Ils nous demandent également de contribuer à la qualité alimentaire. En Russie, les produits frais étaient vendus il y a 15 ans sur des tréteaux, à l’air libre ! En hiver, ça passe mais en été… Les grands groupes de distribution peuvent effectivement faire progresser le niveau sanitaire et montrer la voie.
Cinquième demande : collecter l’impôt. Si le commerce informel ne paie pas de taxes, le commerce moderne paie ses impôts et notamment collecte la TVA. On l’a bien compris en Europe occidentale où la créativité fiscale fait apparaître de nouvelles taxes à chaque printemps : poisson, vidéo, viande, sucre… Au final, bien sûr, elles se répercutent sur le consommateur. Sixième demande : le commerce est un élément structurant de l’urbanisation. Il est centre d’activité, de vie et d’animation. Lorsqu’on l’oublie, on crée des cités sans âme. Nous sommes donc acteurs majeurs de l’aménagement du territoire.
Septième et dernière attente : contribuer à la formation des hommes. La grande distribution offre un ascenseur social à la portée de tous. L’image d’Epinal rappelle que Gérard Mulliez a pour seul diplôme son permis de conduire. Dans le retail, les qualifications académiques ne sont pas les plus importantes. Chacun peut saisir la chance de progresser par son métier et ses compétences. Simple à la base, le métier de commerçant permet un apprentissage progressif jusqu’à gérer 80 000 références dans un hypermarché, et animer de 500 à 1 000 collaborateurs.

Des nouvelles pistes de progrès. Des changements importants sont à l’oeuvre en ce moment dans le commerce moderne pour des raisons sociétales, technologiques et économiques.
Le premier point est celui du développement des centres commerciaux en périphérie des villes. Reconnu anarchique et défigurant, il a besoin d’être structuré dans le cadre d’un plan d’aménagement global. Une nouvelle politique d’urbanisme est en train de voir le jour, à laquelle nous participons, comme par exemple la requalification urbaine, où Citania, filiale d’Immochan, intervient dans des programmes mixtes commercelogements- bureaux.
Un autre point, lié au précédent, est celui du développement durable et du bilan carbone. C’est une préoccupation partagée par nos collaborateurs et par nos clients. Je note d’ailleurs que le bilan carbone d’un article acheté dans un centre commercial en périphérie, lorsqu’on rapporte ce bilan au déplacement en voiture, est plus faible qu’en commerce de proximité puisque le coût carbone se répartit sur plus d’articles. C’est le même raisonnement pour les produits livrés, en plus grandes quantités, par des camions qui, finalement, ont un bilan carbone moindre que les petites camionnettes de livraison !
En ces temps de crise, le consommateur souhaite plus encore être considéré pour ce qu’il est, et non pas seulement comme un élément d’une segmentation large. Nous avons le souci de créer une communauté, avec des relations, non pas de masse mais individualisées, au plus proche de la personne. Le rapport au temps a évolué vers plus de loisirs et plus de temps à soi. Cela signifie, pour les centres de consommation, qu’ils doivent devenir des centres de vie, de loisirs et d’éducation, c’est-àdire être multifonctionnels. Mais la mutation commerciale la plus importante de ces dernières années est le commerce électronique. Le “pure player” et les nouvelles technologies appliquées à la relation client sont un véritable enjeu. Nous devons innover tous les jours ! Nous faisons aussi confiance à nos collaborateurs qui montrent de fortes envies d’innover à la suite d’une démarche de créativité lancée en interne cette année. Nous avons eu des remontées exceptionnelles. Nos talents, ce sont vraiment nos hommes.
Voici donc en quelques mots et dans le temps imparti, quelques éléments qui permettent d’aff irmer que le commerce est l’une des clés du développement économique et des territoires. Nous sommes des partenaires durables dans la cité et des facteurs de vie. Rendre les produits accessibles à tous est une mission formidable. La problématique du pouvoir d’achat est notre métier. C’est un combat de tous les jours où rien n’est acquis. Dans le contexte actuel, la compétitivité du commerce moderne est un atout de notre pays qui doit être valorisé.