Vers un été troublé...

Après une montée d'angoisse due au Brexit, les acteurs économiques et politiques de la grande région mesurent à froid les conséquences et se posent des questions à long terme, notamment sur les effets de la sortie britannique de l'UE au niveau de la Côte d'Opale. D'autre part, la problématique migratoire demeure..

« Passage d'un camion au port de Calais ».
« Passage d'un camion au port de Calais ».
CAPresse 2016

Installations de protection du tunnel à Coquelles.

 

La crise est peut-être encore loin, mais la crainte est présente. Le vote britannique sur la sortie du pays de l’Union européenne n’a pas chamboulé l’économie du territoire français le plus proche du Royaume-Uni. Sur la Côte d’Opale, l’inquiétude est palpable chez les acteurs économiques, mais le Brexit a aussi fait émerger une opportunité, rapidement saisie par les politiques de la région. Ainsi, Natacha Bouchart, maire de Calais, réclame une renégociation des accords du Touquet. Xavier Bertrand, président du Conseil régional, y met tout son poids. Les deux édiles poussent à la création d’un camp d’accueil des migrants dans le sud de l’Angleterre. Mais repousser la frontière n’est pas simple et dépend de la présidence de la République, du gouvernement britannique et du nouveau Premier ministre Theresa May, ex-ministre de l’Intérieur de David Cameron qui était venue à Calais, l’an dernier, visiter les installations relatives à la sécurisation du tunnel, payées par son gouvernement. Société de droit européen et franco-britannique dans son actionnariat, Groupe EuroTunnel (GET) symbolise à merveille le lien entre la France et la Grande-Bretagne. Fruit d’une volonté politique et résultat économique florissant depuis la présidence Gounon, l’entreprise est au cœur des échanges entre le Continent et la Grande-Bretagne. Le jour des résultats du référendum, l’affolement était d’ailleurs perceptible : le cours de l’action EuroTunnel dévissait fortement (-34%, soit 2,2 milliards de perte de valeur…), entraînant un communiqué se voulant “rassurant” alors que le titre restait “incotable” vu le nombre d’ordres de vente qui s’emmagasinait chez les courtiers… Le 23 juin, la perte se stabilisait autour de 14% de la valeur du titre. “L’issue du référendum ne devrait pas affecter les activités de la concession du tunnel sous la Manche et GET maintient par conséquent ses objectifs“, affirmait pourtant Jacques Gounon, avant même le début des cotations de la journée : cela n’aura pas suffi. Le Brexit souligne, s’il en était besoin, la dépendance du transporteur ferroviaire envers le Royaume. La chute du cours du titre s’est doublée d’une chute de 10% de la livre sterling, au plus bas depuis plus de 30 ans. La hausse consécutive des prix devrait dissuader nombre de Britanniques de prendre le tunnel, déjà plus cher que les navires qui tournent sur le Détroit. Plus globalement, une Grande-Bretagne qui commerce moins avec l’Europe signifie aussi moins de fret pour EuroTunnel (idem pour les deux compagnies qui assurent la liaison maritime).

CAPresse 2016

Scanner d'un camion au port de Calais.

EuroTunnel dans l’ornière ? Le PDG du groupe franco-britannique table cependant sur un tout autre scénario, rassurant : “Le tunnel sous la Manche est exclusivement régi par un traité binational de deux Etats souverains, le Royaume-Uni et la France, signé il y a 30 ans. Le Royaume-Uni n’ayant jamais été dans l’espace Schengen, les biens et personnes transitant par le tunnel sous la Manche resteraient soumis aux mêmes procédures qu’actuellement (UK Border Force, Police aux frontières, Douane).” Économiquement, Eurotunnel veut même croire en certains effets bénéfiques du Brexit : “Une baisse de la livre sterling ferait baisser le montant de la dette du Groupe dans cette monnaie, augmenterait les coûts des concurrents maritimes et pourrait soutenir les exportations britanniques, ce qui compenserait les éventuels effets négatifs.” Mieux, selon le Groupe, le Brexit n’a pas d’incidence négative immédiate, pour preuve la décision de réaliser un parking dédié au poids lourds de 3 600 places (pour 250 millions de livres sterling), à proximité de la M20 qui traverse le Kent…

La pêche restreinte ? Dans le Boulonnais, une véritable crainte, doublée d’une certaine colère, habite les esprits des professionnels de la pêche. Dernièrement réunies à Calais pour des assises, les entreprises boulonnaises n’ont pas pris de gants pour exprimer leur exaspération. “Les pêcheurs du littoral vont perdre 60% de leur zone de pêche. Les trois quarts de ce que nous pêchons se trouvent dans la zone économique exclusive britannique“, argumentait, devant les édiles régionaux, Olivier Leprêtre, président du Comité national des pêches. Le droit dit que chaque pays dispose de 200 miles depuis son littoral (en termes d’exploitation), mais cette distance est bien moindre entre les deux rives du Détroit… “Cela signifie qu’on n’aura même pas 10 km de large depuis le Gris-Nez” s’enflamme-t-il : “Après les parcs marins (gelés), les éoliennes (qui iront en Manche et non en mer du Nord), voilà le Brexit !” L’incidence sur la disponibilité de la ressource et la réglementation européenne devant protéger son renouvellement inquiètent au plus haut point les professionnels. Ces derniers n’ont pas oublié les promesses du Fonds d’aide européen pour les métiers de la pêche (FAEMP) qui doit amener, via le Conseil régional, 14 millions d’euros. “On attend depuis deux ans“, se désolent les acteurs du premier port de pêche de France.

CAPresse 2016

Passage d'un camion au port de Calais.

Les migrants au cœur de la problématique. Le Brexit n’y est pour rien, mais la décision de l’opérateur VIIA (filiale de Vinci) d’arrêter sa liaison de fret ferroviaire Le Boulou-Calais a mis en émoi tout le territoire. Les incursions récurrentes des migrants sur la voie portuaire auront eu raison de cette ligne inaugurée il y a quelques mois. L’exaspération est telle qu’une opération escargot des salariés portuaires a paralysé l’A16 le 12 juillet dernier. “Nous avons rencontré tout le monde plusieurs fois, la sous-préfecture, la Région, la Ville… Et ça ne bouge pas, résume Aurélien Delcloy, de la branche CGT du port. Alors on passe la vitesse supérieure. On interpelle de manière plus claire l’État.” En cause, la demande de la plupart des acteurs économiques et politiques du territoire de démanteler ce qui reste du camp de la Lande, aux abord du port. En travaux d’agrandissement, les infrastructures portuaires sont la plupart des nuits assaillies par les réfugiés, dont certains cherchent à gagner les navires des compagnies dans les bassins mêmes du port… Six migrants sont morts depuis le début de l’année sur la rocade portuaire. Le démantèlement de ce camp, réclamé de manière récurrente par les édiles, pourrait intervenir dans les prochaines semaines selon Natacha Bouchart, au sortir d’un rendez-vous avec Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Comme l’an dernier, l’été promet d’être très agité sur la Côte d’Opale… Brexit ou pas.