Une réponse politique à une décision politique

Les brasseurs du Nord se sont réunis le 16 octobre à Marcq-en-Baroeul pour alerter le gouvernement qui veut taxer la bière à +2,6%, soit + 6 centimes le demi de 25 cl . Une riposte politique interrégionale s’organise mais certains brasseurs ont déjà anticipé à leur façon, marché faiblissant oblige.

Alexis Lambelain se tourne vers le vin, sans délaisser la bière.
Alexis Lambelain se tourne vers le vin, sans délaisser la bière.
D.R.

Alexis Lambelain se tourne vers le vin, sans délaisser la bière.

La bière mise sous scellés ! Ce n’est pas la décision de la commission des Affaires sociales prise le 17 octobre qui va calmer nos brasseurs, sans oublier les cafetiers, distributeurs, bref la filière entière. Elle exonère de la nouvelle taxe les petites brasseries indépendantes, c’est-à-dire celles qui produisent chaque année 10 000 hectolitres ou moins. Ce mini-cadeau fiscal signé Gérard Bapt, rapporteur du budget de la Sécurité sociale, ne masquera pas le coup très dur porté à une activité économique ancestrale, patrimoniale même, qui est à un moment délicat de son histoire puisqu’elle est en train de muter pour s’adapter à une nouvelle conjoncture. Ce n’était donc pas le meilleur moment pour nos gouvernants de songer à récupérer de cette façon, via la loi d’accise, 480 M€ qui iront renflouer les caisses de la Sécurité sociale.

Funeste ironie qui veut qu’au même moment, on s’aperçoit que la bière n’est pas un produit «maudit» puisque considérée par le pouvoir comme taillable et corvéable à merci et condamnée à disparaître des étals. La bière est bien vivante et source de richesses si l’on en croit les 5 Mds€ que le groupe Heineken, présent à Marcq-en-Barœul, investit depuis le printemps pour racheter le groupe asiatique APB et sa fameuse “Tiger Beer”. La France met au contraire sa bière sous scellés alors que la profession tente depuis un bon moment de trouver des solutions, pertinentes parfois,  à une crise constante de consommation et de distribution via la disparition des cafés et brasseries de quartier.

Le secteur brassicole en danger. «C’est être bien mal récompensé» dit-on dans la profession. De fait, c’est cet aspect sociologique, et économique a fortiori, que 49 députés du Nord (et de l’Est) de tous bords ont immédiatement dénoncé, demandant au gouvernement de renoncer à son projet. «Consternés» (sic) ils ont écrit aux ministres Marisol Touraine (Santé) et Jérôme Cahuzac (Budget) eu égard aux conséquences. La loi  augmente de + 150% les droits d’accise1. Côté emploi, 71 000 sont menacés en France directement ou non, la filière menacée partant de la malterie, enfin de ce qu’il en reste puisque nombre d’entre elles ont déjà fermé pour se tourner vers le plantureux marché asiatique qui multiplie sa consommation de bière par quatre chaque année. Le cultivateur d’orge brassicole est lui aussi dans la ligne de mire de Bercy comme les milliers de distributeurs (les CHR). 

PU.

A Douai, les emballages sont dorénavant allégés.

Dans le Nord-Pas de Calais, seconde région brassicole après l’Alsace, le député Jean-Pierre Decool  est accompagné par Marc Dolez, Marc-Philippe Daubresse, Sébastien Huyghe, Michel Lefait, Gérald Darmanin et Daniel Fesquelle  pour mener la contre-attaque. Les emplois brassicoles  en danger dans la région sont 3 000 en direct et 65 000 en indirect, le CA de la filière étant, lui, de 2 Mds€ en 2011, dans un contexte de baisse régulière mais lente depuis 30 ans (à peine 1% par an) mais sous la pression de la concurrence étrangère qui prend des parts de marché françaises. Ils invoquent aussi les répercussions sur le pouvoir d’achat des ménages qui ont toujours fait de la bière un produit éminemment populaire car peu cher. Et de signaler que les brasseurs, grands consommateurs d’eau, viennent de subir une augmentation du précieux liquide et des matières premières (orge, blé, malt). L’Association nationale des industries alimentaires a opportunément calculé que cette augmentation du droit d’accise coûterait en fait 800 M€ au secteur brassicole.

 

1. Il s’agit des taxes sur le volume d’un produit. Pour l’instant (la loi n’étant applicable qu’en 2013), pour 100 litres, les droits sont de 1,38 € et de 2,75 € selon le degré d’alcool et… la taille de la brasserie. Pour information, la taxe est de 160 € par hectolitre d’alcool pur.

 

Encadré1

 

La bonne santé  des bières régionales due aux bières «spéciales» essentiellement

 

L’annonce de cette augmentation de taxe a été d’autant plus durement ressentie en Nord-Pas-de-Calais que la profession y a déjà consenti nombre d’investissements au titre de la diversification et de la conquête de marché. Il fallait bien trouver une solution au grignotage de la concurrence étrangère. Les micro-brasseries se vendent bien à l’international et les bières dites «spéciales» sont sur les tables des restaurants ; elles ont pris place dans les paniers de produits régionaux, largement diffusés sur les points tourisme ; elles  animent à nouveau la vie des localités où elles sont nées voilà largement plus d’un siècle ; et des projets de réhabilitation d’anciennes brasseries naissent un peu partout pour y brasser à nouveau la bière du coin. Certes, tout cela porte sur de faibles volumes qui ne sont d’ailleurs pas visés par la taxe réévaluée, mais cette activité crée des emplois indirects et fait parler de la bière en général, avec son retour sur les tables régionales. 

Cet engouement se traduit par des reprises de brasseries, notamment suivies de mises aux normes environnementales. Ainsi, celle qu’a menée en 2010 l’emblématique  André Pecqueur (propriétaire de la Brasserie de Saint-Omer) vers celle de Douai-Gayant visait ni plus ni moins qu’à racheter une affaire saine, de taille modeste, mais brassant quelques bières “4 étoiles” dont la fameuse Goudale, devenue une vraie bière de référence. Le marché des CHR était ciblé, large distribution rimant pour une fois avec qualité. Opération parfaitement réussie puisque Les Brasseurs de Gayant − qui, quoique repris, ont conservé leur nom − ont franchi une étape dans leur retour au premier plan régional en 2010, en prenant une série de mesures «développement durable», une mise aux normes les plus actuelles, toujours signe de confiance en l’avenir et de volonté d’être de son temps.

Réduction de l’empreinte carbone donc, et, avec le concours d’Eco-emballage, optimisation de l’ensemble de la chaîne de production, ce qui lui vaut d’être la première entreprise mise au catalogue  de mai 2012 des «bonnes pratiques» de cette structure nationale qui aide les entreprises à réduire leurs emballages à la source en recyclant. 

Les Brasseurs de Gayant ont ainsi agi sur la réduction de l’épaisseur de métal des bouchons et des capsules, sur le poids des bouteilles et des packs, sur des films de suremballage plus fins et la réduction de la hauteur des barquettes de suremballage. Côté transport, même effort portant cette fois sur le remplacement du bois des palettes par le plastique et choix de fournisseurs plus proches de Douai.

 

Encadré 2

 

Lambelain combat la taxe par la diversification vers le vin

 

Brasseurs de Templeuve sur un marché métropolitain élargi, les Lambelain se sont tournés depuis 1970 vers la distribution de bières locales tout d’abord, puis belges, et enfin régionales, sans plus jamais brasser. Alexis Lambelain a surtout déménagé la société familiale voilà deux mois à Faches-Thumesnil, sur la friche Geslot. Il y a construit  un premier bâtiment de 5 000 m2 pour y ancrer son siège, s’est rapproché de ses clients et de ceux qu’il va bientôt prospecter. Il va surtout monter en puissance en communication et diversification de la distribution de ces bières mais aussi d’autres produits. 

Fort d’un CA de 15 M€ et d’un gain d’audience régulier, il vise les nouvelles pratiques de consommation en boissons alcoolisées ou non. Les restaurants, les surfaces telles que les Buffalo Grills par exemple, mais aussi les plaines de jeux : rien n’est délaissé…  «Tout évolue en ce moment, dit-il. Il faut avoir beaucoup d’imagination et surtout être à l’écoute des souhaits du client et des tendances. Cela ne se fait pas en restant à son bureau ! Il faut suivre mais aussi savoir susciter le besoin nouveau.»  Et il va plus loin encore… Le grand virage de Lambelain, c’est la distribution du vin sur laquelle il table pour augmenter son CA de + 10% chaque année pendant trois ans. La raison ? «Eh bien, sourit-il, on ne va pas rester les bras ballants devant cette taxe qui va modifier une donne brassicole déjà peu réjouissante. Je ne suis pas naïf, il y aura augmentation des taxes, mais là le gouvernement y est allé très fort. Il faut réagir. Le problème est fiscal mais devient structurel car il y a un monde entre les taxes sur le vin et la bière qui, elle, était déjà très attaquée. Comme je ne sais satisfaire que 15% des besoins en vin sur la Métropole, il reste de la marge et je compte fermement devenir leader de ce marché de distribution, d’autant que  je m’appuie sur le fort réseau national de distributeurs C10 qui me fournit tous les outils nécessaires.»