Une méthode inédite pour une architecture originale

Edifié en 1929, le clocher a dû être abattu et reconstruit. Une expérience pour une entreprise régionale.

Le clocher de Rocquigny est une oeuvre tout à fait originale que l'on ne pouvait laisser disparaître.
Le clocher de Rocquigny est une oeuvre tout à fait originale que l'on ne pouvait laisser disparaître.

Après la guerre de 14-18, la ligne de front était un gigantesque champ de ruines. Rocquigny, à la limite de la Somme et du Pas-de-Calais, était dévastée et son église volatilisée. Quand il s’est agi de reconstruire, on fit appel à un architecte de renom, Jean-Louis Sourdeau, qui imagina un édifice à plan centré, surmonté d’un clocher très original : une élégante flèche ajourée en béton armé. Le chantier se déroula en 1929 et 1930.

Hélas, le béton utilisé n’était pas de bonne qualité et sa mise en œuvre peu soignée, les fers étant trop près du coffrage, montant au fur et à mesure de la coulée. Tant et si bien que le tout se ruina, plaçant la petite commune de 274 habitants dans une situation inextricable et le conseil municipal vota  la démolition en 1994.

La Direction régionale des affaires culturelles s’inquiéta de la disparition d’un édifice considéré comme élément majeur du patrimoine du XXe siècle et le classement fut décidé en 1999. L’Etat a  décidé de participer à hauteur de 2,2 M€, soit 77%, et de prendre la maîtrise d’ouvrage à la place de la commune, démarche tout à fait exceptionnelle. Le conseil général du Pas-de-Calais a complété de 20%, limitant la part de la commune à 2%. Le budget total de 3 M€ se décompose en 1,8 M€ pour la démolition-reconstruction du clocher et 1,2 M€ pour la restauration des façades, toitures, dalles de verre et vitraux.

 

Procédé inédit. Le chantier a été confié à Lionel Dubois, architecte en chef des Monuments historiques, qui a fait appel à deux entreprises régionales, Sotracem, de Cappelbrouck en Flandre-Maritime, pour le gros œuvre et Luc-Benoît Brouard, de Ronchin, pour les vitraux.

Pour éviter les déconvenues et s’approcher au plus près de l’aspect initial a été choisie une solution originale. La coulée par tronçons avait laissé des traces circulaires tous les mètres sur les piles du clocher et les sables, graviers et ciments de l’époque avaient une teinte particulière. Il a fallu de nombreuses recherches pour trouver les matériaux permettant d’approcher la couleur d’origine, et surtout une astuce pour signifier les strates.

Un béton produit par une centrale sur place eût été insatisfaisant. Sotracem a donc choisi de tout préfabriquer en atelier, avec un seul béton malaxé d’avance en quantité suffisante. Des modules d’un mètre furent coulés puis acheminés pour être enfilés sur des tores d’acier de toute la hauteur. Un joint d’une couleur idoine sépare les tronçons rendant l’illusion des coulées initiales.

Les rosaces, étant composées de dalles de verre insérées dans du béton, il a fallu tout déposer et tout calepiner. Une fois le clocher achevé, Luc-Benoît Brouard a réinséré les dalles nettoyées dans du béton fibré.

Et voilà comment un tout petit village a retrouvé un élément capital du patrimoine architectural du XXe siècle.

D.R.

Le clocher de Rocquigny est une oeuvre tout à fait originale que l'on ne pouvait laisser disparaître.