Une claire volonté commune mais des équilibres à respecter !

Le récent forum Emploi Eurométropole est l’une des pierres d’un édifice encore en chantier : comment Nordistes, Flamands et Wallons peuvent-ils s’entendre sur l’emploi transfrontalier ? Malgré des habitudes à la peau bien dure, il semblerait qu’on avance cette fois avec réalisme.

Les acteurs français et belges de cdette coopération transfrontalière ont donné de nombreux exemples encopurageants
Les acteurs français et belges de cdette coopération transfrontalière ont donné de nombreux exemples encopurageants

La 6e édition du forum Emploi Eurométropole (Jobbeurs Eurometropool) a, fin novembre, démontré que l’idée d’une coopération tripartite, mais active et à long terme cette fois, avait déjà fortement avancé. Quand les intentions sont suivies d’actes, elles n’en sont que plus crédibles et cette fois, à Lille Grand-Palais, 98 entreprises flamandes, wallonnes et nordistes (et une québécoise) ont ouvert 111  stands et accueilli les demandeurs, les élus et les acteurs de cette filière naissante (contact : www.job-eurometropole ou www.job-eurometropool.com). Ce forum fait partie d’une stratégie tripartite comme tout ce qui a trait à ce qui concerne l’emploi dans le triangle Lille-Courtrai-Tournai. Exemple : lorsqu’une entreprise veut recruter, elle adresse pendant un an son offre aux trois pôles que sont pour le Nord-Pas-de-Calais Pôle emploi, pour la Wallonie le Forem, et pour la Flandre le VDAB (et Unizo). Les territoires concernés sont plus larges que ce triangle-là ; on les retrouve parmi les partenaires du forum mais aussi de l’ensemble de cette construction : la Wallonie picarde et les West Vlaanderen sont présentes, sans oublier Lille Métropole, Tournai et Courtrai. Mais le cadre est encore plus large si l’on considère que les zones éligibles à cet Interreg IV France-Wallonie-Vlaanderen1 déborde sur l’Aisne, les Ardennes et que sont sensibilisés le Pas-de-Calais, la Somme, l’Oise et la Champagne, puis les régions autour de Gand, Ostende, Roeselaere, Soignies, Charleroi et Namur, Marche-en-Famenne et Bastogne. Plus de dix millions d’habitants sur un territoire de 62 000 km2, voilà la cible d’une  taille évidemment bien supérieure à cet Eurodistrict Lille-Tournai-Courtrai qui joue pour l’instant le rôle de laboratoire .

 

Vouloir c’est pouvoir… Où en est-on aujourd’hui, à quelles expériences se livre-t-on dans ce triangle déjà bien accoutumé à la dynamique du tripartisme ? Bruno Maurer (Pôle emploi), Eric Hellendorf (Forem), Braem Lerdeman (VDAB) et Axel Ronse (Unizo, organisation patronale flamande groupant les entrepreneurs et mettant sur pied des formations, séminaires et banques de données) : tous sont aux commandes de cette tentative d’harmonisation et de dynamisation du marché de l’emploi frontalier. Ils ont tous la même vision de ce qu’il faut faire mais les particularismes locaux et régionaux sont à contourner ou gommer par la création de nouvelles synergies comme, par exemple, la compatibilité des systèmes et procédures informatiques par-delà les frontières. Pour démontrer que tout est possible à condition de le vouloir, Eric Hellendorf explique que quelques simulations précédentes entre informaticiens des deux pays ont montré qu’une simple concertation technique suffisait à pour s’accorder et travailler ensemble, à condition de se donner la peine de comprendre comment l’autre travaille…

Cela dit, c’est à l’aune de quelques chiffres que l’on mesure l’ampleur de la tâche : 27 000 transfrontaliers, dont 6 000 Belges en Flandre, sont sur ce marché. Le chômage touche 4,3% de Flamands pour 13,1 % côté français. Dans l’espace décrit plus haut, 18 360 projets de recrutement sont recensés, dont 14 000 en Flandre. Mais 51% d’entre eux rencontrent des difficultés d’exécution (en général en raison de difficultés linguistiques, de mobilité ou de compétences), 30% en Wallonie et 34% en Nord-Pas-de-Calais, région qui compte 31% de jeunes dont 19% sont au chômage. Le changement de statut fiscal  des nouveaux travailleurs frontaliers français, voté en 2009 et appliqué dès janvier 2012 avec régime transitoire jusqu’en 2033, stipule (nous résumons) qu’ils sont assujettis  aux impôts et cotisations belges. «Malgré cela, explique Axel Ronse, d’Unizo, un Français célibataire sans enfant touchera en moyenne un salaire annuel de 23 000 € net contre 14 000 en France. L’avantage à la Belgique est en moyenne constante de + 4 000 €. Avec deux enfants on passe à 25 000 en Belgique contre 14 000 en France. Avec trois enfants l’écart se creuse à + 6 000, et la Belgique a toujours sa longueur d’avance. Donc, arrêtons ces préjugés sur les effets négatifs de cette nouvelle fiscalisation.»

 

Travailler à un échelon beaucoup plus large que le local. Ces  trois structures d’emploi et Unizo ont décidé que leurs actions devaient obéir à deux priorités : la simplicité par le réalisme et pérenniser les actions en les intégrant dans le fonctionnement des différents services d’emploi. Concrètement, il s’agit d’informer tout le monde − les demandeurs et les services des pôles d’emploi − de l’ensemble des offres, de renseigner tous les entrepreneurs recensés par ces services des possibilités d’embauches tripartites. Pour Eric Hellendorf, il faut «augmenter le rôle de l’Eurométropole, limiter les visites de courtoisie sans suites mais mentalement gommer des esprits cette frontière et regarder bien en face les réalités. Oui, il y a plus de possibilités en Flandre-Occidentale qu’en Wallonie ! Oui, il y a plus de flux de la France vers la Wallonie que le contraire. Alors organisons tout cela. Le ‘chacun chez soi’ semble la règle mais on veut trouver un cadre de coopération sans dépouiller les zones. C’est du win-win si on travaille dans  un cadre plus large que son petit coin.»

 

Une prospection qui s’organise. A Peruwelz-Bernissart (Belgique), collée à Condé-sur-l’Escaut, avec le Forem Tournai et Pôle emploi une action commune a démarré en mars : 10% de chômeurs français allaient en Belgique, aucun Belge ne venait en France en raison des taxes. Ce déséquilibre constaté, un groupe de dix Français et dix Belges travaillant de l’autre côté est à l’étude, avec un volet informatif vers les entrepreneurs des deux versants. Le bilan est fait fin 2012. L’opération vise notamment à convaincre les Belges de l’existence du marché français. Pour les Flamands du VDAB et d’Unizo, l’analyse est un peu différente. Braem Lerdeman  explique : «On a voulu nous aussi décloisonner depuis longtemps avec la France dans le cadre d’Eurotunnel. Il a fallu mieux structurer ensuite. On a monté un projet commun Halluin-Menen et on travaille dur sur deux axes : on cherche des offres adaptées aux Français et on sélectionne les candidats, les bons profils pour travailler en Flandre. La langue est importante mais pas si déterminante et d’ailleurs nous formons les patrons flamands à la culture du travailleur français. On a embauché  un délégué commercial sur la France, la Wallonie et l’international. Il faut tout le temps mieux se structurer.» 

Le Forem a lui aussi «prospecté» sur Wattrelos-Mouscron et La Louvière-Maubeuge. «Osez l’aventure de franchir la frontière !» : le slogan belge est lancé. Eric Hellendorf estime qu’il faut multiplier les initiatives. Bruno Maurer confirme : «Nous avons 18 000 postes à repérer. Avec Eurest Channel , Pôle emploi a mené une enquête sur les besoins élargis aux entreprises, leurs projets de recrutement et la nature des difficultés rencontrées sur un an. Mais tous les emplois sont pourvus et les emplois de frontaliers sont tous occupés par des Belges. N’essayons pas de collaborer sur tout, choisissons des pertinences et allons sur des enjeux critiques.» Pôle emploi travaille sur le versant Nord-Est et l’Armentiérois, détecte et organise des rendez-vous avec le VDAB à Menen. Puis il y a contact avec l’employeur, en particulier pour l’usage du néerlandais. 

 

Barrage linguistique ? L’écueil serait la langue ! Apparemment, moins qu’on ne le croit en France, même si Pôle emploi  a embauché  un bilingue. Le VDAB et Unizo ne font pas de fixation : souvent, si la mobilité est présente ainsi que le profil professionnel, la langue passe au second plan et le Français est régularisé via un numéro national qui facilite les formalités administratives. Finalement, grâce à de nombreux efforts de formation professionnelle adaptée au pays recruteur et à l’entreprise et ses particularités, grâce aussi à des recherches bien ciblées et la vérification stricte des compétences professionnelles, l’écran de la langue se dissipe. De plus, l’IBO, une prime en Flandre pour l’entreprise qui embauche quelqu’un sans expérience, peut compenser la méconnaissance temporaire de la langue. Nos spécialistes sont assez confiants, les méthodes s’affinent régulièrement. Et, mise à part la nécessaire adaptation des moyens de transport aux flux frontaliers, ferroviaires notamment côté belge, le pari peut être gagné si la crise se détend et si tous les acteurs continuent d’œuvrer dans le même sens sans esprit de clocher. Reste une question assez délicate : ne pas trop déséquilibrer certains bassins d’activité. Trop de Français ici ou trop de Belges là peut dans certaines circonstances poser des problèmes.  

Tous les contacts sur  www.interreg-fwvl.eu

D.R.

Les acteurs français et belges de cdette coopération transfrontalière ont donné de nombreux exemples encopurageants

1. L’Interreg IV veut favoriser l’intégration transfrontalière des territoires franco-belges. Il dispose d’un budget de 276 M€ financé à 50% par l’Union européenne (Feder) jusqu’en 2014. Celui-ci dispose chaque année de 1,4 M€ et a débuté en 2011.

(avec une photo Emploi transfrontalier 1)