Un petit pas de croissance pour 2015
Les conjoncturistes de l’Insee prévoient une croissance modérée pour le premier semestre de la nouvelle année. A la tête de l’Etat, il n’en faut pas davantage pour manifester son optimisme. Même si le chômage, pour l’instant, ne devrait pas reculer.
L ’optimisme se nourrit de peu. Commentant, avant Noël, les prévisions de croissance de l’Insee publiées le 18 décembre, François Hollande s’est réjoui de la concordance entre les travaux des conjoncturistes et les espoirs du gouvernement. Selon l’institut de statistiques, la croissance française pourrait atteindre 0,7 % fin juin, soit, comme l’observe le président de la République, “les deux tiers du chemin” à parcourir pour atteindre 1%, seuil fixé par Bercy pour 2015. En revanche, l’accélération de l’économie permettra seulement, selon l’Insee, d’ “atténuer le recul de l’emploi marchand”. En clair, le chômage continuera d’augmenter. L’institut prévoit un taux à 10,6 % à la fin du premier semestre.
Une stricte observation de la conjoncture internationale, ainsi que certains signes recensés dans l’Hexagone, fournissent aux économistes le titre de leur note trimestrielle : “Les freins se desserrent un peu”. Tout d’abord, la reprise se confirme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, où les dépenses des ménages demeurent “vigoureuses”, note Vincent Alhenc-Gelas, en charge de l’environnement de la zone Euro à l’Insee. Cette tendance devrait se poursuivre solidement aux Etats-Unis, avec un peu moins d’entrain outre-manche. Le commerce mondial a en outre retrouvé une certaine vigueur au troisième trimestre de 2014, une tendance qui devrait se poursuivre dans les mois suivants.
La baisse du prix du pétrole constitue communément, pour les économistes, une “bonne nouvelle”, car le carburant bon marché dope le pouvoir d’achat. “Selon le FMI, une baisse de 20 % du prix du pétrole provoque une hausse de la croissance de 0,4 %”, corrobore Dominique Barbet, économiste senior chez BNP Paribas. Le Brent, coté à 82 euros en juin dernier, ne valait plus que 51 euros juste avant les fêtes de fin d’année. L’Insee attribue cette descente spectaculaire à plusieurs facteurs. La demande, affectée par le ralentissement économique global, faiblit au moment précis où l’offre devient plus abondante. Les situations tendues rencontrées, pour des raisons différentes, dans divers pays producteurs, – Libye, Russie ou Irak – ont en outre tendance à se normaliser.
Risques émergents.
Si les pays riches rebondissent modérément, les économies des pays émergents tournent en revanche “au ralenti”, signale l’Insee. Ainsi, “la production industrielle chinoise reste morose”, indique Vincent Alhenc-Gelas. La conjoncture n’est pas meilleure au Brésil, en Inde, en Turquie ou en Indonésie. “Cela rappelle la situation qui prévalait avant la crise asiatique, en 1997”, remarque l’économiste. “Les Etats sont mieux armés que naguère. Mais si les risques se concrétisaient, cela pourrait entraîner des conséquences plus graves qu’à l’époque, puisque ces pays sont davantage intégrés à l’économie mondiale”, précise Vladimir Passeron, chef du département de la conjoncture à l’Insee.
La Russie, touchée par une forte dépréciation du rouble, suscite une préoccupation particulière. “Oui, le pays est dans la tourmente”, note le conjoncturiste. Les effets de la crise et des sanctions occidentales, au-delà des considérations géopolitiques, pourraient coûter au pays de Vladimir Poutine “trois points de PIB”, ce qui affecterait les entreprises européennes implantées sur le marché russe. “L’Allemagne perdrait 0,3 % de croissance et la France, 0,1 %”, a calculé l’Insee. “Un épiphénomène”, tranche pourtant Dominique Barbet, chez BNP Paribas. Dans la zone Euro, les pays les plus dynamiques, ou plutôt les moins encalminés, sont désormais l’Espagne et… la France. En Allemagne, la croissance marque le pas, avec une progression de seulement 0,1 % au troisième trimestre de 2014, trois fois moins que de ce côté-ci du Rhin et cinq fois moins qu’au sud des Pyrénées. L’instauration d’un salaire minimum outre-rhin, promesse des sociaux-démocrates alliés à Angela Merkel, devrait toutefois profiter à la croissance, estime l’Insee. Quant à l’Italie, elle affichait au troisième trimestre une croissance négative : – 0,1 %.
Pause fiscale.
D’autres éléments consolident l’optimisme modéré que l’Insee nourrit à l’égard de la France. Le climat des affaires, qui s’était dégradé au cours du troisième trimestre 2014, regagne trois points. Cette embellie concerne tous les secteurs d’activité, notamment le bâtiment, où le pessimisme est de mise depuis le milieu de l’année 2011. Conjuguée à la baisse du pétrole, la dépréciation de l’euro redonnerait par ailleurs du souffle aux exportations. Enfin, les conjoncturistes saluent les effets attendus de la “pause fiscale” annoncée par François Hollande, ainsi que les bienfaits, pour les entreprises, du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de Jean- Marc Ayrault et du Pacte de responsabilité de Manuel Valls. Il n’en fallait pas tant pour contenter le président de la République, résolument optimiste. Tous les économistes n’affichent toutefois pas autant d’enthousiasme. Pour Dominique Barbet, chez BNP Paribas, “on a une économie en stagnation, en dépit de la progression de 0,3 point au troisième trimestre 2014”. De plus, “quand on décompose cette évolution, elle résulte surtout d’une contribution des stocks et de la progression de la demande du public”, ajoute le banquier. Autrement dit, les entreprises n’investissent pas, mais elles écoulent leurs stocks. Pour l’heure, le principal frein à l’investissement “ne résulte pas de l’absence de financements, mais du manque de perspectives”, ajoute-t-il. La dépression, réelle ou imaginaire, dont souffre la France, n’est donc pas terminée. Comme le confirme le taux de chômage toujours à la hausse, une amélioration légère de l’économie ne bénéficie pas à tous, en tout cas pas à court terme. L’Insee publiait, un mois avant sa note de conjoncture, un “portrait social” passablement déprimant, dans lequel on apprenait notamment que 4,5 millions de personnes sont allocataires du revenu de solidarité active (RSA).
Le risque de déflation décrypté.
Les prix reculent, l’inflation également. La menace de déflation fait partie, selon certains observateurs, des “risques pour 2015”. Si le phénomène devait se confirmer, il pourrait peser sur l’activité. “L’inflation, on sait la faire baisser, mais face à la déflation, c’est plus difficile ; l’arme monétaire ne suffit pas”, dit Dominique Barbet, chez BNP Paribas. L’Insee refuse un excessif pessimisme. “Le risque d’inflation négative est réel, mais cela ne signifie pas pour autant la déflation, qui s’auto-entretient, et implique donc un effet sur l’économie réelle”, estime Vladimir Passeron. On serait loin de ce scénario, estime le conjoncturiste, qui avance “la rigidité salariale” prévalant en France. L’inertie des salaires, souvent présentée comme un inconvénient, se révèlerait cette fois-ci protectrice.