UE : le mur de la dette
Les conséquences de la crise sanitaire vont peser sur l’endettement total, privé et public, des différents pays de l’Union européenne (UE), alors même que des niveaux extrêmement élevés ont déjà été atteints…
Il ne fait aucun doute que les conséquences de la crise sanitaire vont conduire à une augmentation substantielle des taux d’endettement de la plupart des agents économiques : les entreprises, pour compenser la perte de chiffre d’affaires, les ménages, pour compenser la perte de revenu, et le secteur public pour financer les abyssaux déficits publics mis en place pour répondre à la crise. Mais, en tout état de cause, il faut se garder de penser que la hausse de l’endettement total serait uniquement liée à la Covid-19 : en vérité, la dynamique haussière est enclenchée depuis trois décennies !
L’économie sous perfusion de dettes
Au tournant des années 1980, le capitalisme dit néolibéral s’est fixé comme objectifs principaux l’accroissement de la profitabilité des entreprises et la maximisation de la valeur actionnariale. De là découle, dans presque tous les pays de la zone euro et même de l’OCDE, un partage des revenus structurellement défavorable aux salariés, qui immanquablement a anémié la demande globale. Pour y remédier, les agents économiques privés ont été incités à s’endetter, ce qui aura permis d’assurer, cahin-caha, une fragile croissance économique…Mais ce modèle économique s’est écrasé sur le mur des subprimes en 2008 ! Dès lors, face au risque d’une crise systémique, ce sont les États qui ont pris le relais, d’où une hausse de l’endettement publique très rapide, depuis dix ans. Et depuis peu, ce sont les Banques centrales qui créent de la monnaie pour s’assurer que l’ensemble du système ne périclite pas. Il est vrai qu’en 2019, l’endettement total (public et privé) dépassait 200 % du PIB dans la zone euro, 230 % en France, 150 % en Allemagne, 240 % en Italie, 250 % aux États-Unis et 360 % au Japon…
Les ménages dans la spirale de l’endettement
Pris en étau entre des salaires qui augmentent moins vite que la productivité et une société de consommation qui pousse à la dépense, les ménages ont eu de plus en plus recours à l’endettement. En France, par exemple, la dette totale des ménages exprimée en pourcentage de leur revenu disponible net s’est envolée de 68,6 % en 1995 à plus de 120 % en 2019. En Allemagne, ce taux d’endettement est passé de 98,4 % en 1995 à 96 % en 2019, après un pic à 118 % en 2000. Et au Danemark, souvent présenté comme un modèle économique, ce taux atteignait 280 %, l’an dernier ! Quant aux ménages de la plupart des pays du sud de la zone euro, ils ont fait un énorme effort (forcé) de désendettement depuis la dernière crise de 2007. Mais l’envolée du chômage pourrait fort bien déboucher sur une crise sociale dans de nombreux pays, doublée d’une crise bancaire lorsque les impayés augmenteront.
Dette des entreprises : la bombe à retardement
Comme pour les ménages, la hausse de l’endettement des entreprises est une tendance générale au sein de l’UE, qui date de bien avant la crise sanitaire. Face au risque réel d’effondrement économique, les États sont venus en aide aux entreprises avec divers plans de soutien sectoriel. En France, l’État a ainsi annoncé qu’il garantirait 300 milliards d’euros de prêts aux entreprises, afin de soulager leur trésorerie impactée par l’épidémie. Résultat des courses : un soutien bienvenu, mais qui a alourdi le bilan des entreprises françaises de plus de 152 milliards d’euros de prêts, dont 120 milliards de prêts garantis par l’État (PGE). Or, au mois de mars, le taux d’endettement des sociétés non financières en France représentait 75,9 % du PIB, contre 42,6 % en Allemagne, 62,3 % en Espagne et 64,8 % en Italie…
La monétisation des dettes publiques
Disons-le clairement : le monde croulait déjà sous les dettes publiques bien avant la crise sanitaire ! En 2019, le taux d’endettement public — mesuré par le volume de dette publique rapporté au PIB — s’élevait ainsi à 109 % aux États-Unis, 84 % au sein de la zone euro, 60 % en Allemagne, 85 % au Royaume-Uni, 98 % en France, 135 % en Italie… et 237% au Japon. Dans ces conditions, l’annonce de plans massifs de soutien à l’économie augmentera le taux d’endettement public de 15 à 20 % en moyenne, selon les estimations. Si ces taux d’endettement restent soutenables, c’est avant tout en raison de la monétisation des dettes publiques par les Banques centrales, ce qui signifie que le déficit public lié à la crise est in fine financé par la création monétaire. Le danger est alors que toutes ces liquidités forment des bulles sur les actifs financiers et immobiliers, à moins qu’il ne faille redouter une perte de confiance dans la monnaie légale au profit des actifs refuges (or, cryptomonnaie…).
Face à tant de dettes, si le pari sur le retour de la croissance n’est pas payant, on s’acheminera, hélas, vers des politiques d’austérité drastiques…
Raphaël DIDIER