Transmission d’Entreprise : anticiper les négociations d’ada
Du point de vue social, la transmission d’entreprise peut prendre deux formes différentes. La première forme consiste en une opération sur le capital de l’entreprise. Dans cette hypothèse, les salariés restent employés par la même entreprise, seul son capital étant modifié. En l’absence de changement d’employeur, la procédure sociale se limite à un respect des obligations en matière d’information et de consultation des représentants du personnel. A l’inverse, la seconde variante de la transmission d’entreprise implique un changement d’employeur. Il s’agit de regrouper dans une même entreprise (dite entreprise d’accueil) plusieurs communautés de salariés. Ces salariés vont donc quitter leur(s) employeur(s) respectif(s), pour se retrouver sous la subordination d’un nouvel employeur unique. Pour autant, ce transfert ne signifie pas la perte des avantages sociaux de son entreprise d’origine. C’est pourquoi, l’employeur unique va “accueillir” de multiples avantages sociaux qui, le cas échéant, cohabiteront avec son propre statut interne.
Le “patchwork social” très souvent incohérent, voire même contradictoire, en résultant ne peut qu’être une situation temporaire. C’est en outre pour cela que l’article L. 2261-14 du Code du travail prévoit une obligation de négociations d’adaptation des statuts sociaux au sein de l’entreprise d’accueil. Ainsi, le nouvel employeur unique doit engager des négociations pour adapter le(s) statut(s) conventionnel(s) issus de(s) l’entreprise( s) d’origine(s) à son entreprise. Jusqu’à l’intervention de l’accord d’adaptation ou, à défaut, à l’issue du délai de 15 mois, les salariés transférés pourront se prévaloir d’un cumul de dispositions à leur bénéfice, c’està- dire, qu’ils pourront prétendre à l’applica-tion des dispositions qui leur sont les plus favorables entre celles appliquées par l’ancien employeur et celles appliquées par le nouvel employeur. En cas d’échec dans les négociations au bout de 15 mois à compter du transfert, seuls les avantages individuels effectivement acquis par les salariés transférés sont maintenus. Ils s’intégreront alors dans les contrats de travail de ces salariés. Si les négociations d’adaptation des statuts conventionnels bénéficient ainsi d’un cadre légal clair, elles suscitent beaucoup d’inquiétudes. Pour les salariés, il est légitime de se demander si ces négociations d’adaptation ne vont pas aboutir à des suppressions et/ou réductions d’avantages sociaux, voire à des suppressions de postes. Du côté des directions, il est également légitime de se demander si ces négociations vont impliquer un surcoût social, et à quel montant s’élèverait cet éventuel surcoût. Ce sont ces points clés qui feront que, sur le plan social, la transmission d’entreprise sera un succès ou un échec. Dès lors, il est fortement recommandé d’en anticiper la gestion en les préparant avant même que la transmission n’intervienne. Or, si la jurisprudence commence à consacrer ce principe d’anticipation, force est de constater qu’aucun texte ne vient en encadrer la pratique. Les acteurs de la transmission d’entreprise se retrouvant un peu démunis face à l’ampleur et à la complexité de la tâche. Le véritable mode d’emploi pratique de l’anticipation qui suit devrait contribuer à les guider dans ce labyrinthe de complexité !
Cette anticipation se décompose en 3 phases successives :
• Phase n°1 : cartographie sociale ;
• Phase n°2 : projet social d’accueil ;
• Phase n°3 : pré-négociations.
Phase n°1 : Cartographie sociale
Ce premier travail, un peu fastidieux mais indispensable, consiste à effectuer un recensement social. Il s’agit d’effectuer une comparaison avantage par avantage des statuts sociaux concernés par la transmission d’entreprise. Cette comparaison doit prendre en considération l’ensemble de la dimension sociale, à savoir : les avantages individuels, les avantages collectifs, mais également la situation des Institutions représentatives du personnel. Pour que ce travail de recensement soit exploitable par la suite, il sera présenté sous la forme d’un tableau comparatif reprenant a minima les points suivants :
Ce tableau est à décliner pour chaque entreprise concernée par l’opération. Cela permet d’identifier les distorsions sociales entre les différents statuts sociaux. Pour autant, seules les distorsions les plus significatives devront faire l’objet d’une démarche d’anticipation. Cette démarche passant par la construction d’un projet social d’accueil.
Phase n°2 : Projet social d’accueil
Le projet social d’accueil est une première “photographie” de la couverture sociale des salariés transférés. L’objectif, en l’espèce, est double : encadrer la maîtrise des coûts sociaux et préparer les discussions avec les partenaires sociaux.
Chaque projet de transmission d’entreprise étant unique, il n’existe pas de méthode type. Cependant, les quelques idées fortes suivantes sont à retenir :
• Le projet social d’accueil doit se construire à partir des principales distorsions sociales en ce qu’elles ont une importance financière et concernent un nombre significatif de bénéficiaires,
• L’adaptation ou la suppression d’un avantage social doit être également arbitrée en fonction de sa source juridique (il est plus difficile de modifier des contrats de travail que de dénoncer un usage d’entreprise)
, • Le projet social d’accueil ne doit pas générer de discriminations et doit prendre en compte le principe à travail égal, salaire égal,
• Le projet social d’accueil doit comporter des zones de négociations sociales possibles avec les partenaires sociaux,
• Le projet social d’accueil doit être chiffré et validé par les organes décisionnels de la société. Ce projet finalisé, il reste à le présenter et à le pré-négocier avec les partenaires sociaux.
Phase n°3 : Pré-négociations
La pratique de l’anticipation des négociations en matière de transmission d’entreprise se démocratisant, la Cour de cassation a fini par la consacrer. Dans un arrêt du 13 octobre 2010, il a été jugé que : “Il n’est pas interdit d’engager les négociations rendues nécessaires par la mise en cause d’un accord collectif avant que se réalise l’évènement entraînant cette mise en cause. L’employeur n’est tenu de reprendre la négociation après cet évènement que lorsque les organisations syndicales représentatives ne sont plus les mêmes dans la nouvelle entreprise.”
Si cette consécration juridique conforte l’option d’une anticipation, elle ne comporte aucune indication sur des modalités d’organisation. Il faut donc une fois encore se référer aux pratiques des entreprises.
En l’occurrence, les pré-négociations sont généralement menées tant avec les partenaires sociaux des salariés transférés, qu’avec ceux de l’entreprise d’accueil. Elles sont très souvent encadrées par un accord de méthode prévoyant la composition des délégations, les conditions de pré-négociations, le calendrier et les thèmes de discussions, ainsi que les modalités d’information et de communication. Après chaque réunion de négociation, il est dressé un relevé des conclusions permettant de formaliser les positions de chacune des parties sur le thème abordé.
En principe, une fois les pré-négociations achevées, les points de blocages sont levés et les risques de conflits sociaux maîtrisés. La transmission d’entreprise peut alors suivre son cours dans des conditions de sécurisation optimisée, sans oublier les étapes d’information/consultation et, le cas échéant, d’autorisation de transfert des salariés protégés.