Transition écologique
Des effets négatifs sur l’économie, à court terme
Selon les premières estimations de la mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition climatique, les efforts nécessaires pour faire face à ce défi auront un effet négatif dans les prochaines années, avant de produire leurs effets positifs à horizon de 20 à 30 ans.
En septembre dernier, la première ministre, Élisabeth Borne, a confié à l’économiste Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition climatique. Or, les premiers résultats de ce travail, réalisé avec Selma Mahfouz, inspectrice générale des finances, laissent présager des années difficiles. La transition écologique aura notamment un impact «sur l’inflation, l’emploi, la productivité, les finances publiques…», a expliqué Jean Pisani-Ferry, lors de la présentation à la presse d’un premier point d’étape, le 9 novembre dernier, avant la remise de ce rapport prévue au printemps 2023.
Cette transition va se traduire par «un choc négatif sur l’offre», a expliqué l’économiste. La première raison tient au fait que les investissements nécessaires pour remplacer les énergies fossiles – investissements dans les énergies renouvelables, le nucléaire, la rénovation thermique des bâtiments, les infrastructures de transport… – vont exiger un effort considérable à court terme. Ce dernier sera compensé par une baisse progressive des coûts d‘exploitation au fil du temps, et ne sera donc «rentable socialement» qu’à moyen terme.
Passer de l’innovation brune à l’innovation verte
La seconde raison qui explique ce choc négatif sur l’offre dans les années à venir est qu’il faut «réorienter le progrès technique», a poursuivi Jean Pisani-Ferry. L’effort de recherche, jusqu’à présent centré sur les technologies liées aux énergies fossiles, va être redirigé vers les alternatives aux fossiles et l’efficacité énergétique. Il va donc falloir faire de «l’innovation verte au lieu de l’innovation brune», ce qui représente un effort très important et très coûteux, dans un premier temps.
Du côté de la demande, la sobriété doit permettre de «modérer les usages et les consommations énergivores», ce qui entraînerait un choc positif. Mais cette idée de modération est «multiforme», et c’est pourquoi il est nécessaire de donner «une définition économique à la sobriété» et d’en étudier tous «les effets économiques». À ce stade, c’est donc «une réflexion qui doit être poursuivie».
Un impact négatif à 10 ans, et potentiellement positif à 20-30 ans
À horizon des dix prochaines années, les effets conjugués de ces grandes réorientations de l’économie vont entraîner «un choc négatif sur l’offre et donc sur le PIB potentiel», en raison de la mise au rebut du capital matériel (les équipements) et immatériel (les brevets) et de l’affaiblissement temporaire des gains de productivité, de la dévalorisation des compétences et des nouveaux besoins de main d’œuvre. Mais à l’horizon de 20 à 30 ans, la baisse des coûts d’exploitation consécutive à l’effort d’investissement (dans la production électrique, l’isolation des bâtiments, etc.) et la baisse des coûts induite par l’innovation verte auront «un impact potentiellement positif sur la productivité».
Selon l’économiste, les politiques publiques peuvent réduire substantiellement les coûts de transition. Pour ce faire, il faut tout d’abord se fixer des objectifs crédibles. «L’objectif de neutralité carbone en 2030 est très ambitieux et pose la question de sa crédibilité», a-t-il relevé, et «au fil des années, on risque de se rendre compte qu’on n’est pas sur la trajectoire». Aujourd’hui, «la France n’est pas sur la trajectoire, et les autres pays non plus, et l’écart est monstrueux». Il faut également construire «un consensus sur la stratégie» à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. Et il faut accompagner ces mutations avec, notamment, «une doctrine d’emploi des fonds publics pour aider les acteurs qui n’ont pas les moyens de faire les investissements nécessaires». Faut-il financer la transition par l’impôt ou par la dette ? «Le débat est à peine ouvert, pour l’instant». Enfin, il faut «articuler stratégie nationale et stratégie européenne».
«Ne pas se voiler la face sur les difficultés»
«L’objectif de neutralité climatique est très probablement à notre portée, mais la transition va exiger des efforts substantiels» et «il ne faut pas se voiler la face sur les difficultés», résume la note d’étape produite par la mission d’évaluation. «Prétendre, comme on l’a trop fait, que la transition sera macro-économiquement indolore n’est ni convaincant, ni mobilisateur. Par nature, elle va exiger des efforts, par nature, elle comporte des coûts. Ce défi n’est pas hors de portée. Mais il importe d’en prendre toute la mesure».