Transition alimentaire : la consommation responsable survit aux crises
En dépit de l'inflation, un nombre limité mais croissant de consommateurs tiennent à donner une dimension éthique à leurs achats alimentaires. En particulier, ils se soucient d'une juste rémunération des agriculteurs, selon le baromètre 2024 de la consommation responsable.
L'homme n'est pas seulement un « homo œconomicus ». Le 5 novembre, lors d'une visioconférence de presse, Max Havelaar, ONG qui gère un label de commerce équitable, a rendu publics les résultats du baromètre 2024 de la consommation responsable . Depuis 2019, date à laquelle l'étude (circonscrite aux produits alimentaires) a démarré, ce mode de consommation n'a cessé de croître en dépit de toutes les crises successives. Et pourtant, « le prix qui a toujours constitué un critère prioritaire pour les consommateurs, l'est devenu encore plus avec l'inflation », commente Éléonore Quarré, responsable des études société- pôle opinion chez OpinionWay qui a réalisé l'étude.
Aujourd'hui, 68% des Français citent le prix comme premier critère d'achat, loin devant les qualités gustatives du produit (43%) et sa composition (38%) . Néanmoins, « les Français accordent une importance toujours plus nette au fait de consommer de manière responsable », ajoute Éléonore Quarré. Ils sont 91% à déclarer acheter un produit alimentaire responsable une fois par mois ( +2 points, par rapport à la dernière édition du baromètre) , et 70% à déclarer un rythme d'achat hebdomadaire (+ 4 points). Mais la pratique demeure limitée : 23% seulement achètent quatre types de produits différents chaque semaine. Toutefois, près d'un Français sur deux expriment le désir d'en faire plus.
Les pratiques de cette consommation responsable sont polymorphes. Elles concernent avant tout le Made in France ( 81%) et l'achat de produits locaux (70%). Mais la catégorie progressant le plus est l'achat de produits qui limitent ou excluent les emballages (vrac) qui concerne 60% des sondés (+4%). Viennent ensuite les produits issus du commerce équitable (bio et non), cités par 45% des interrogés pour chacune des sous-catégories.
Autre constat de l'étude, les Français retiennent plusieurs motivations (proposées par le sondage) à passer à une consommation responsable. En tête : « soutenir l'agriculture, permettre que les agriculteurs puissent vivre de leur travail », explique Éléonore Quarré. Aujourd'hui, 58% des sondés avancent cette motivation, soit trois points de plus qu'en 2019. Deuxième motivation, la santé pour 55% des interrogés ( + 2 points). Suivent la réduction du gaspillage (46%) et le fait d'agir pour la planète ( 45%), tous deux en baisse (- 2 et -4 points) .
Délicate équation entre pouvoir d'achat et revenu digne pour les producteurs
A contrarier ces motivations, l'étude pointe plusieurs freins à la consommation responsable. Le prix constitue le premier d'entre eux : 77% des Français le citent comme étant un obstacle. « Il y a un double enjeu de justice sociale », analyse Éléonore Quarré. Concrètement, le prix doit parvenir à assurer une rémunération suffisante aux agriculteurs, mais aussi être accessible pour les consommateurs au pouvoir d'achat bousculé ! « Les consommateurs ne souhaitent pas choisir », commente l’experte. Invités à décrire une consommation « idéale », c'est exactement la même proportion de sondés (41%) qui attendent, d'une part, un prix raisonnable pour le consommateur et d'autre part, un prix qui permettent de rémunérer justement les producteurs... Corollaire de cette attention portée au prix, les Français interrogés indiquent redouter la concurrence déloyale de pays dont l'agriculture est à bas prix, un manque d'efforts de la part de l'industrie agroalimentaire et un retour de l'inflation. Et ils sont 43% à préconiser l'adoption de prix minimums qui assurent un revenu digne aux agriculteurs. « La survie de la filière en dépend. Aujourd'hui, la déprise laitière est une réalité », confirme Jacques Klimczak, directeur commercial des Maîtres Laitiers du Cotentin, coopérative dont certains produits sont labellisés Max Havelaar, venu commenter les résultats de l'étude. Lui explique « veiller à rester toujours dans le premier tiers des payeurs de lait au niveau national ». Mais il admet que le prix plancher demeure un sujet « complexe », un « équilibre subtil à trouver ».
En fait, cette notion de prix minimum qui permet aux producteurs de vivre dignement est tout simplement la base du commerce équitable, un « marqueur éthique », rappelle Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar dont le label concerne des produits vendus pour un chiffre d'affaires de 1,3 milliard d’euros en France. « Sous sa forme volontaire, adossé à un label, cela fonctionne. Faut-il le rendre obligatoire ? Cela appartient aux pouvoirs publics », avance Blaise Desbordes . Selon l'étude, les consommateurs estiment que chacun des acteurs de la société – consommateurs, producteurs, distributeurs, pouvoirs publics – ont un rôle à jouer dans le développement de la consommation responsable.