Taxe et projet en débat
C'est un dossier bien difficile que celui des transports collectifs dans le Calaisis ; empétrée dans le polémique de la taxe Transport (+ 60 % au 1er juillet dernier) que paient les entreprises d'un territoire au profit des salariés qui les empruntent, la collectivité peine à définir un projet global et anticipe les difficultés financières qui se montrent à l'horizon de l'agglomération actuelle et prochainement agrandie aux communes rurales alentours. Enquête sur une taxe bien malencontreuse…
Le début de l’histoire commence peu avant la réunion du SITAC (Syndicat intercommunal des transports à vocation collective) du 3 février dernier. A son ordre du jour, le rendu d’un audit sur le VT (versement transport) pour le compte du SITAC. Un document à «usage confidentiel», rappelle Maryline Bessone, de MBC (Maryline Bessone conseil), le cabinet qui l’a réalisé. Dans la présentation des principaux résultats de cette mission, on trouve un état des lieux très concis de la situation du Calaisis en termes de transport collectif. Dans un périmètre comprenant la communauté d’agglomération du Calaisis et la commune de Guînes, le syndicat mixte dédié aux transports œuvre sur un territoire de 103 000 habitants. Onze lignes régulières et quelques offres périodiques et alternatives forment l’offre globale du SITAC. Ce dernier a passé, il y a six ans, une délégation de service public (DSP) avec la STCE, filiale du groupe Transdev. Cette société exploite les lignes et entretient les 42 bus et équipements afférents, tels le centre de bus du Fort-Nieulay et les deux locaux commerciaux en ville que met à sa disposition le SITAC. L’aspect fiscal abordé par l’audit montre plusieurs choses. Ainsi, sont assujettis à la taxe tous les établissements privés et publics employant plus de 9 salariés. L’audit affine les cibles redevables (et potentiellement redevables) dès les premières pages : «Le cabinet MBC a examiné/contrôlé 8 915 établissements du secteur privé et public : 619 établissements sont des payeurs potentiel du VT. (…) 316 établissements sont proches du seuil d’assujettissement. (…) Certains établissements de moins de 10 salariés peuvent être assujettis.» De l’optimisation fiscale appliquée par un syndicat mixte… Avec un déficit 2014 de près d’un million d’euros et «93,1% des établissements du SITAC (qui) ont moins de 9 salariés», le levier est mince, mais les élus ont décidé de l’actionner. De 1,25%, le VT est passé à 2% (cf. nos précédentes éditions). Mais le cabinet MBC et le SITAC vont plus loin ! «MBC a adressé via le SITAC une liste de 181 établissements a priori redevables du VT à l’URSSAF Nord-Pas-de-Calais. (…) Des établissements qui n’apparaissent pas sur le fichier des entreprises qui cotisent au VT : 17 établissements publics et 164 établissements privés», selon l’audit. MBC parle «d’anomalies» et se dit «en attente d’une réponse de l’URSSAF»…
Affinage fiscal et cibles potentielles… Le ciblage de la ressource fiscale se poursuit au fil de l’audit. Les 619 établissements assujettis présentent des risques : 13,2% ont entre 9 et 20 salariés ; 38,2% tournent autour de 200 salariés et 23,6% en emploient plus de 500. Pour les plus petites, le risque (pour le SITAC) est de descendre sous la barre des 9 et de sortir de la liste des contributeurs. Pour les plus grosses, MBC souligne «un risque de fuite» du territoire. La présentation de l’audit met en exergue d’autres données intéressantes : en effectifs, en nombre d’établissements et en produits du VT, le privé contribue toujours à près des deux tiers. Le secteur tertiaire est défini comme «le plus gros contributeur potentiel» avec 73% des effectifs et «70% du potentiel VT». Armatis, qui a doublé les activités de ses centres d’appels dans le Calaisis ces cinq dernières années, en sera pour ses frais. Industrie (13,6% du VT), transport (12% du VT) et construction (4,3% du VT) contribuent moins au budget du SITAC. Ce dernier voit son activité croître : la barre des 4 millions de personnes transportées a été franchie en 2013 (+2,32% par rapport à 2012). La ligne, traversant l’agglomération en longeant la côte, représente à elle seule près d’un tiers du trafic. Parallèment aux lignes traditionnelles, le SITAC, poussé par la sénatrice-maire de Calais, Natacha Bouchart, a mis en service dans le centre-ville de Calais un mini-bus gratuit, la Ballad’In, qui rencontre un franc succès avec plus de 12% des personnes transportées (plus d’un demi-million). En revanche, le lancement d’un navette fluviale sur le canal de Calais, qui va jusque Guînes, ne pèse qu’1% du trafic (40 000 personnes en 2013)… Mis en place en juin 2013, celle-ci plombe visiblement les comptes du SITAC.
Un projet en site propre à 30 millions d’euros. Au SITAC, Calais et Coquelles ont voté l’augmentation au taux maximum de 2% du VT : ces communes pèsent respectivement 78,5 et 14,4% de la masse salariale des établissements établis sur leur sol respectif. L’augmentation est justifiée par un projet de transport collectif en site propre. L’agglomération réaliserait un couloir dédié au bus sur une distance de 8,7 km, avec des intervalles où la ligne serait à double sens (10 bus cadencés sur 15 minutes). Pour ce faire, le SITAC table sur un budget global de 30 millions d’euros, un volet de requalification urbaine important (la gare routière du Théâtre serait transférée près de celle de la SNCF). Pour desservir le nouvel hôpital, la voie pourrait être souterraine. Le calendrier du SITAC donne 2020 comme point d’horizon, avec deux ans de travaux. Côté patronal, on se pose des questions sur la pertinence de ce projet en pointant le taux très faible des salariés du privé qui empruntent les transports collectifs. Au Medef Côte d’Opale, on plaide pour une augmentation plus raisonnable du VT et une durée transitoire vu les difficultés actuelles des entreprises. Chez l’un des «plus gros contributeurs de VT du territoire», on se pose une autre question concernant un ramassage privé qui pourrait les exclure du champ fiscal : «ça se chiffre», lâche un de ses cadres. A Marck, le nouveau maire UMP, Pierre-Henri Dumont, travaille pour obtenir une Ballad’In gratuite, comme pour le centre de Calais. Ce qui fait écho à la volonté de Dunkerque d’instaurer la gratuité de tous les transports en commun à terme. Une expérimentation partielle commence à la rentrée. Entre financement du transport collectif et la répartition de son financement, le juste milieu reste un objectif…
A suivre : l’étude de faisabilité du transport collectif en site propre et les suites de l’affaire du versement transport.
Une taxe répulsive
La taxe dite «versement transport» s’appuie sur la masse salariale des entreprises et des établissements publics du périmètre du SITAC qui emploient plus de 9 salariés. Parmi les gros contributeurs, les administrations publiques comme l’université du Littoral et de la Côte d’Opale (1 200 emplois) qui voit la douloureuse s’apprécier de 20 000 euros de plus cette année. Même échelle pour l’hôpital de Calais. Pour Eurotunnel (1 000 emplois), ce sera l’équivalent d’un poste à temps complet au Smic par tranche de 50 salariés… Calais, Marck, Coquelles, Sangatte-Blériot, Coulogne et Guînes seront les communes où les entreprises seront les plus taxées de toute la Côte d’Opale. A Dunkerque, le taux est de 1,55% et devrait augmenter en 2016. A Boulogne-sur-Mer, il est de 1,25% quand, à Saint-Omer, il atteint à peine 0,35%. A Montreuil-sur-Mer, il n’existe pas… Autant d’écarts qui sont une perte d’attractivité pour le Calaisis.
Déséquilibre budgétaire
Le budget du SITAC est mis à mal. Autofinancé depuis 15 ans, son déficit en 2014 a atteint 900 000 euros. Dont «plus de 500 000 euros» dus à la prise de compétence sur le transport scolaire héritée du Département, selon Philippe Mignonet, président du SITAC, vice-président à la CAC et adjoint à l’environnement à la Ville de Calais. «Ce transfert de compétence s’est accompagné d’une compensation financière dégressive sur quatre ans, pour se limiter depuis 2008/2009 à l’unique dotation de l’Etat», plaide l’édile. Le VT constitue près de 10 millions des recettes et pèse pour près de 70% des ressources du syndicat mixte. Le second poste de recette réside dans la tarification des services pour près de 2% du budget annuel. Enfin, le reste vient de subventions diverses.