Sur l’île de Ré, la piste d'un charnier anglais du XVIIe siècle

Les corps de soldats anglais décimés par les troupes de Louis XIII et Richelieu, pour avoir prêté main forte à la rébellion huguenote, gisent-ils depuis quatre siècles dans...

Des cylcistes sur l'île de Ré, non loin du site de la bataille du “Pont du Feneau”, le 29 avril 2024 © Philippe LOPEZ
Des cylcistes sur l'île de Ré, non loin du site de la bataille du “Pont du Feneau”, le 29 avril 2024 © Philippe LOPEZ

Les corps de soldats anglais décimés par les troupes de Louis XIII et Richelieu, pour avoir prêté main forte à la rébellion huguenote, gisent-ils depuis quatre siècles dans des marais de l'île de Ré?

Près d'une piste cyclable prisée des vacanciers à La Couarde-sur-Mer (Charente-Maritime), les membres de l'association "Île de Ré Patrimoine", confortés par des chercheurs, sont convaincus d'avoir localisé un site historique, celui de la bataille "du Pont du Feneau" - que la mémoire locale situait jusque-là sur un pont éponyme.

Ultime confrontation entre Français catholiques et Anglais protestants, avant le siège meurtrier du bastion huguenot de La Rochelle, elle fit entre 1.000 et 4.000 morts, essentiellement côté anglais, le 8 novembre 1627.

Guerres de religion

Selon l'association, composée de journalistes, d'écrivains et d'historiens, les restes de soldats anglais, tués en pleine débandade, reposeraient dans les marais qui bordent cette piste goudronnée. 

Cette année-là, plusieurs milliers soldats conduits par le duc de Buckingham débarquent sur l'île de Ré pour tenter d'en faire un "avant-poste" de la rébellion protestante en France, tout près de La Rochelle, et "un point d'ancrage sur les routes maritimes", explique Benjamin Deruelle, historien de la guerre à l'Université du Québec et membre du conseil scientifique de l'association.

Mais après plusieurs échecs, les troupes de Buckingham battent en retraite dans la panique, tentant de rejoindre leurs navires via une étroite digue de terre construite des semaines durant. La plupart y sont achevés, "passés au fil de l'épée", par les soldats de Louis XIII.

Privée de renforts, La Rochelle, et ses milliers de civils affamés à mort, capitulera un an après.

Selon l'historien extérieur au projet David Van Der Linden, expert des conflits religieux en France, l'épisode "clôt définitivement les guerres de religion sur le plan politique et militaire" en "amputant" l'Edit de Nantes (1598) des places fortes accordées jusqu'ici aux protestants.

Côté anglais, cette "immense défaite" après une "expédition très coûteuse" va renforcer "les critiques des opposants" au roi Charles Ier et marque "une étape" vers la révolution anglaise qui renversa temporairement la monarchie deux décennies plus tard, raconte le spécialiste de l'Université d'Oxford Peter Wilson.

Chemin des Anglais

En croisant récits et sources iconographiques d'époque, dont un majestueux tableau, signé Laurent de la Hyre et exposé au Musée des Armées, montrant une poignée de bâtisses encore présentes aujourd'hui, l'association affirme avoir retrouvé la trace de cette digue appelée "chemin des Anglais", aujourd'hui recouverte de moutardes sauvages et ceinturée de marais salants.

Une découverte "spectaculaire" car "il n'y a pas en Europe d'autre lieu témoin des guerres de religion encore intact quatre siècles après", assure l'un des fondateurs de l'association, Indalecio Alvarez, résident de l'île et journaliste de l'AFP.

Le projet est "suivi de près, avec intérêt" par le Département de Charente-Maritime et l'association soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine, séduite par son potentiel "patrimonial et touristique" en exhumant "un moment tragique" de l'Histoire, selon son président Alain Rousset.

De premières prospections sont attendues en 2025, avant de potentielles fouilles.

Les chercheurs espèrent y retrouver des corps de soldats, "préservés" des vols d'habits, bottes et fusils - courants à l'époque - en tombant dans la vase, pour mieux connaître leurs "conditions de vie et d'hygiène". 

Les sites archéologiques militaires de l'époque moderne "se comptent sur les doigts d'une main" en Europe, d'après M. Deruelle, qui cite les corps de victimes de la retraite de Russie (1812), exhumés à Vilnius en 2002, ou le navire Vasa (1628) à Stockholm devenu musée.

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