Supprimer les barrières à l’emploi des jeunes et des seniors
Malgré une bonne santé de l’emploi en France, avec 54% d’offres en plus par rapport à l’avant Covid, le pays affiche un chômage des jeunes plus élevé que la moyenne européenne et un taux d’activité des 55-64 ans anormalement bas. Alors que les entreprises peinent à recruter, il s’avère indispensable pour elles de miser sur les jeunes et les seniors. Le webinaire organisé par RH Matin et Indeed «Trop jeune, trop vieux : repenser la notion d’âge dans la gestion des talents» s’est interrogé sur les attentes et le rapport au travail des dirigeants et salariés.
«Les
discriminations à l’embauche, qu’elles soient conscientes ou
inconscientes, sont nombreuses»,
explique Éric Gras. L’expert du marché du travail Indeed France a
souhaité faire un focus sur les deux populations les plus touchées
par le chômage, à savoir les jeunes de moins de 25 ans et les
seniors. Ainsi, le taux d’emploi des jeunes de 15 à 19 ans est de
10% en France, contre 25% au sein de l’OCDE et quasiment 30% en
Allemagne. Quant à celui des seniors (55-64 ans), il est de 53% au
sein de l’Hexagone. «Un
taux anormalement bas»,
commente Éric Gras, comparativement à l’Union européenne où le
taux atteint 61,4%.
Si les seniors sont de plus en plus nombreux à travailler, réforme des retraites oblige, Eric Gras pointe le fait que les seniors, et notamment les femmes, seraient en outre davantage touchés par du chômage de longue durée. «Ainsi, plus on est senior, plus la durée du chômage est longue», avec une moyenne de 713 jours pour les plus de 55 ans, contre 315 jours pour l’ensemble des demandeurs d’emploi. Dans le même temps, la demande des entreprises en termes de ressources humaines va croissante et 63%* des dirigeants redoutent le manque de main d’œuvre dans leur secteur dans les années à venir, du fait du vieillissement de la population.
Ainsi, en 2050, avec moins de jeunes
arrivant sur le marché du travail, mécaniquement la population
active sera «vieillissante».
Et la demande n’est pas prête de faiblir puisque «même
avec une croissance à 0%, il y aura un million de création d’offres
d’emploi d’ici 2030, due au vieillissement de la population»,
avance Eric Gras.
Un
tournant après 45 ans
Mais à quoi correspond réellement le terme de senior ? «Si la notion est différente selon le métier exercé et l’entreprise», dirigeants comme salariés se considèrent seniors à compter de «54 ans». A partir de 60 ans, les dirigeants estiment que les personnes sont «trop âgées pour une embauche pertinente». Les salariés mettent quant à eux le curseur à 59 ans. Mais les craintes de «ne plus être employable» à partir de 45-50 ans sont largement partagées.
Ainsi
63% des salariés redoutent de ne jamais retrouver de travail en cas
de chômage à partir de ces âges. «Il y a un vrai gap
après 45 ans des gens qui sont plus frileux à changer
d’entreprise», commente Eric Gras : 45% disent ne
pas oser changer, ce, même si une opportunité se présente. Et 60%
des salariés pensent indispensables à partir de 45-50 ans d’établir
un plan pour rester dans la même entreprise jusqu’à leur
retraite. «La baisse de la mobilité professionnelle vient
des craintes mentionnées et non d’un manque de motivation ou
d’ambition», estime
l’expert.
Parmi
les freins jugés importants par les RH pour recruter des salariés
seniors, la santé et la fatigue, les problématiques liées à la
rémunération et des difficultés avec le numérique. Ces freins
sont partagés sensiblement dans les mêmes proportions par les
dirigeants et les salariés eux-mêmes. Autre frein, «une
vision dépassée du métier» ou «une résistance
au changement» pour 30% des chefs d’entreprise et 32%
des salariés. «Cela montre un manque d’accompagnement à
l’interne ou à l’externe de cette population». De
manière générale, «les stéréotypes liés à l’âge
ont la vie dure», avec des seniors jugés «trop
qualifiés», «trop vieux», «trop
chers», «trop dépassés par les outils
numériques», «trop résistants au changement».
«Or, ce n’est pas parce que l’on est senior que l’on
n’est pas à l’aise avec les outils numériques. Tout dépend de
la curiosité de la personne et de sa formation», juge
pour sa part, Eric Gras.
Des
carrières non linéaires pour les jeunes
De
leur côté, les jeunes seraient «trop désengagés»,
«trop volatiles», «trop zappeurs», «trop inexpérimentés».
Les études constatent la fin du modèle «linéaire à
trois étapes», soit la formation, le travail et la
retraite, vers des carrières plus fragmentées, comprenant des
pauses, des reconversions, des passages vers l’entrepreneuriat, du
bénévolat, du slashing, de la formation continue et de l’alternance
entre des périodes de salariat à temps plein ou à temps partiel.
«Le modèle a volé en éclats car il ne répondait plus au
défi de la longévité», relève Eric Gras.
Aux
recruteurs d’intégrer ce nouveau modèle qui concerne toutes les
catégories d’âge. Les jeunes générations «envisagent
une carrière mouvante entre salariat, indépendance et pause
professionnelle», avec 91% qui pourraient envisager une
pause dans leur carrière, plus de la moitié d’entre eux qui
souhaitent un jour se mettre à leur compte et 44% «pouvoir
passer à mi-temps, afin de consacrer plus de temps à leurs projets
personnels ou à leurs proches». La notion de «se
projeter au-delà de dix ans» aujourd’hui pour les
jeunes générations paraît peu envisageable. Interrogés sur ce qui
serait «has been» en entreprise, 28% affirment
que ce serait d’«exercer
pendant dix ans le même métier»,
ou de «rester dans
la même entreprise» et
27% d’«avoir
un chef à qui rendre des comptes».
Opportunités
pour recruter jeunes talents et aînés
Pour
toutes les générations, la culture d’entreprise, son ADN, ses
valeurs, et la politique de diversité et d’inclusion, sont des
socles indispensables. «Ce sont des attentes
multigénérationnelles, et encore plus de la jeune génération.
L’ambiance générale est, par exemple, un facteur-clé pour toutes
les générations confondues».
En
termes d’évolution de carrière, l’expérience employé doit
être personnalisée, avec notamment des besoins de formation et de
la mobilité à tous âges (verticale
pour les jeunes, et horizontale pour les seniors), à
réévaluer au fil du temps. Autre élément central, la politique
salariale. Là encore, les entreprises doivent personnaliser
l’expérience employé : «un accès aux
participations de l’entreprise davantage pour les 45-60 ans»
et «des bonus liés
à la performance peu attractifs pour les jeunes qui préfèrent
négocier leur salaire».
Dernier socle, l’équilibre vie pro/vie perso et la flexibilité, via un aménagement des horaires, du télétravail, de l’autonomie, la semaine de 4 jours, des jours de congés supplémentaires.
Parmi
les outils à disposition des entreprises, les avantages famille
(congés parentaux, garde d’enfants,
congés proches aidants…). «Il faut adapter
l’expérience collaborateur aux attentes et aux besoins de chacun.
Chaque collaborateur doit être perçu comme un individu différent
de ses collaborateurs, avec sa personnalité et ses talents»,
conclut Eric Gras. Ainsi, 57% des DRH pensent que la personnalisation
va devenir une question centrale, selon le Boston Consulting Group.
* Enquête Opinionway réalisée pour Indeed en août 2022, auprès de 1 003 salariés et 406 dirigeants d’entreprises de plus de 20 salariés.