Salles des ventes
Le marché des enchères se porte bien, mais les observateurs s’inquiètent : l’internationalisation et la dématérialisation bouleversent la donne, et les maisons françaises ne sont pas les mieux placées.
Enchères : bilan 2013 en demi-teinte
“Record absolu” ou “tendance au ralentissement” ? Les deux. Le montant des ventes aux enchères n’a jamais été aussi élevé qu’en 2013, constate le Conseil des ventes volontaires (CVV), l’autorité de régulation du secteur. Mais la faible progression (0,6%) s’inscrit dans la lignée de la croissance modérée que l’on observe depuis une petite dizaine d’années. Les opérateurs de ventes volontaires, qu’il s’agisse d’anciens commissaires-priseurs ou de sociétés créées depuis l’ouverture du marché en 2000, font la moue. Leur nombre, aujourd’hui 414, continue de progresser légèrement, mais ils emploient ensemble moins de salariés qu’à la fin de l’an dernier, 2 413 contre 2 565.
Si l’on s’en tient à la masse salariale du secteur, les ventes aux enchères demeurent toutefois une activité extrêmement rentable. Le chiffre d’affaires de 2013 – un record donc – atteint 2,44 milliards d’euros, qui se répartissent de manière disparate. Le champ d’action du Conseil des ventes recouvre trois activités distinctes : les arts et objets de collection auxquels on associe le plus souvent les salles des ventes, commissaires-priseurs et marteaux en bois, les chevaux – un marché beaucoup plus petit mais très porteur – et les véhicules d’occasion qui, avec le matériel industriel, ont connu une forte hausse depuis dix ans. Il ne s’agit pas, dans les trois cas, de ventes consécutives à des faillites, mais, comme l’indique le nom de l’autorité de régulation, de ventes volontaires.
Les trois spécialités ne connaissent pas la même trajectoire. Les ventes de chevaux atteignent leur record en 2013 (130 millions d’euros), ce qui correspond à une progression de 18% par rapport à 2012. Les riches ressortissants émiratis, saoudiens ou qataris apprécient toujours autant les adjudications de yearlings, ces jeunes pur-sang, organisées sur la côte normande. Il est arrivé au mois d’août qu’une pouliche soit vendue 1,5 million d’euros. Le leader du secteur, Arqana, qui siège comme ses concurrents à Deauville, réalise à lui seul 91% du chiffre d’affaires. Retournement dans l’automobile. Les ventes de voitures et de matériel industriel connaissent en revanche, pour la première fois depuis la crise financière de 2008, un repli assez net, établi à 4,4%. En 2008, la baisse n’avait atteint que 3,3% et avait été compensée, les années suivantes, par de fortes hausses. “Le secteur subit de plein fouet la crise économique”, tranche Catherine Chadelat, membre du Conseil d’Etat et présidente du CVV. Les ventes aux enchères de voitures d’occasion émanent des loueurs, qui se débarrassent des véhicules avant qu’ils n’aient trop roulé, et des constructeurs, qui régulent ainsi leurs stocks. Pour la première fois, le secteur de l’occasion subit les conséquences de l’effondrement de l’industrie automobile. “Les stocks peinent à s’écouler, les périodes de leasing sont plus longues”, souligne Pierre Taugourdeau, secrétaire général adjoint du CVV.
Dans l’automobile, le recul des ventes aux enchères constitue peut-être un tournant. Depuis quelques années, on avait constaté le désintérêt de la majorité des consommateurs pour les véhicules neufs. On s’était habitué à ce que les acheteurs se tournent vers les occasions. D’immenses enseignes, telles que Guignard à Lorient, Toulouse enchères automobiles, ou Mercier automobiles dans le Nord-Pas-de-Calais avaient émergé, surfant sur cette vague. Cette année encore, malgré le repli, les deux principaux opérateurs de vente sont BC autos (183 millions d’euros de chiffre d’affaires) et Guignard (182 millions), devant Sotheby’s France (157 millions), filiale française de la célèbre salle des ventes new-yorkaise, spécialisée dans l’art. Mais en 2013, la machine s’est grippée.
Drouot dégringole. Ce sont donc les arts et objets de collection (1,27 milliard en 2013) qui tirent le secteur. La progression atteint 3,3%, après une baisse de 1,8% en 2012. Le résultat n’apparaît toutefois pas si satisfaisant qu’il n’y paraît. “Il n’y a pas eu en 2013 de belles collections, simplement de très très beaux objets”, souligne Catherine Chadelat. En outre, depuis une dizaine d’années le marché a basculé. Aujourd’hui, la clientèle internationale représente 75% des acheteurs et 56% des objets sont importés. Trois acteurs, établis à Paris, dominent le marché : Sotheby’s France, Christie’s France, filiale du leader londonien, et Artcurial, qui regroupe plusieurs noms connus du secteur. Ce dernier acteur a su mener avec bonheur une diversification porteuse, par exemple dans le domaine des voitures de collection. En revanche, au-delà des performances des trois premiers, “il n’y a pas de quoi se réjouir”, note Catherine Chadelat. Des maisons connues telles que Claude Aguttes ou Cornette de Saint-Cyr régressent. La présidente du CVV regrette aussi la contre-performance de Drouot, les salles parisiennes réunies dans cet hôtel des ventes proche des grands boulevards, à Paris. Le chiffre d’affaires est tombé en 2013 à 331 millions d’euros, le résultat le plus bas depuis 2005. Drouot concentrait alors 59% des ventes parisiennes et n’en regroupe plus que 38% aujourd’hui. “Le problème de Drouot, tout le monde le sait, c’est que 75 sociétés y sont regroupées. J’ai fait un rapport là-dessus ; il n’y a pas eu de suite”, constate, amère, la présidente du CVV, coauteur, en 2010, d’un portrait accablant de l’hôtel des ventes. A l’échelle de la planète, Christie’s et Sotheby’s continuent de dominer le marché, avec respectivement 4 milliards et 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Parmi les dix premières maisons mondiales, quatre sont chinoises, et Artcurial, la première société française, n’arrive qu’en 14e position. “On paie l’absence d’art contemporain en France”, tranche Catherine Chadelat.
La spécialiste ne se montre pas très optimiste pour le secteur d’activité. “Je n’ai jamais vu une accélération aussi historique que celle que nous vivons”, assuret- elle, commentant la part croissance des ventes en ligne et de l’internationalisation. En 2013, en France, 484 millions d’euros ont été adjugés en ligne, soit 30% de plus qu’en 2012. Et une part non négligeable des ventes se fait désormais en dehors du circuit traditionnel des sociétés spécialisées, sans garanties, mais aussi sans frais.