Loi Climat et résilience
Les élus du littoral sont impatients
Le préfet de la Somme, Rollon Mouchel-Blaisot a convié les élus à une présentation de la démarche « résilience Littorale ». Pour répondre au défi de l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique, la loi Climat et résilience prévoit dès aujourd’hui la mise en place d’une stratégie locale de gestion de la bande côtière.
L’ambition de la loi climat et résilience est de proposer une dynamique partenariale d’accompagnement des collectivités territoriales, de faciliter l’articulation entre court, moyen et long termes, intégrant les démarches existantes et le changement climatique et de mobiliser au mieux les moyens et acteurs institutionnels du littoral. Divers outils, résumés en grande majorité sur des fiches très pédagogiques, sont apportés : moyens techniques, financiers (région, État, Feder, banque des territoires,…), administratifs via notamment la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement ou les équipes du réseau d’observation du littoral Normandie-Hauts-de-France, qui disposent d’appuis cartographiques extrêmement précis. La loi Climat et résilience réaffirme l’objectif de gestion intégrée du trait de côte. Elle incite les territoires littoraux à adapter leurs politiques d’aménagement à sa mobilité et à faire face à une érosion amplifiée par le changement climatique. « C’est un sujet très important, a signifié en préambule le préfet de la Somme. Permettez-moi de partager une conviction sur mon expérience. J’ai grandi dans le nord du Cotentin. J’ai vécu des changements climatiques depuis que je suis petit, ils s’accélèrent et je ne pensais pas que cette accélération serait aussi rapide. »
Avec la hausse des températures, le mois de mars a d’ailleurs été le plus chaud jamais enregistré sur dix mois consécutifs. Il en est de même sur la côte picarde, de Fort-Mahon à Mers-les-Bains, qui présente un littoral complexe et diversifié. D’ici 2100, plus de 8 700 biens seraient menacés rien que par l’érosion du trait de côte selon un rapport du Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l’aménagement). Tempêtes, vents violents, pluie, augmentation du niveau de la mer... fragilisent les cordons de galets qui doivent être rechargés comme à Mers-les-Bains ou à Cayeux-sur-Mer, les dunes, les falaises à Ault, et même les plages. Il faut remettre du sable sur celles de Quend, de Fort-Mahon… La dernière tempête Pierrick de début avril a notamment fait des dégâts à Cayeux-sur-Mer…
L’érosion côtière, une priorité
« C’est un phénomène de Shadokisation, a ironisé Rollon Mouchel-Blaisot. L’érosion côtière est une priorité du gouvernement. Elle concerne 20% du littoral français. Au total, 500 communes devront s’adapter rapidement... c’est une course contre la montre. Des projets ne pourront pas se faire, il faut donc agir dès aujourd’hui. Nous sommes dans une démarche d’adaptation. Il va falloir apprendre à reculer et se développer ailleurs. Il faut sortir de nos zones de confort intellectuelles et nous avons besoin d’une très forte ingénierie. Elle est colossale », prévient le préfet de la Somme.
L’adaptation devra se faire au compte goute car des travaux réalisés à un endroit auront des impacts à un autre : « Il va falloir réfléchir à la dépoldérisation, donner à la mer des endroits où elle pourra s’étaler », a pointé le préfet, alors que le projet de la ferme Caroline au Hourdel semble au point mort pour des raisons d’études et de compensations environnementales, dans le cadre du Papi (Programme d’actions de prévention des inondations). Une pression va s’exercer sur les terres agricoles alors que des espaces seront rendus à la mer pour réduire une possible submersion des bas champs et freiner les vagues afin de moins solliciter les digues.
Pour avancer vraiment, il a prôné pour la mise en place d’un comité de pilotage afin de faire des points précis d’étapes dans un esprit de solidarité entre les territoires. Le premier devrait se dérouler à l’automne, Florence Clermont-Brouillet, directrice adjointe de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) des Hauts-de-France a aussi évoqué une démarche collégiale et un besoin d’anticiper les conséquences de l’érosion du littoral. François Filior, du service eau nature et pôle risques naturels, a quant à lui projeté des photos de l’évolution du front de mer d’Ault depuis 1902 jusqu’à 2008. Elles montrent des maisons et des rues disparues et prouvent à quel point l’homme semble bien petit face aux éléments.
« Pourquoi on n'avance pas plus vite ? »
Loin de ces discours, les maires, qui sont en première ligne pour observer ces changements climatiques, se montrent inquiets sur le devenir de leurs communes. D’autant que depuis 2018, la GEMAPI, qui regroupe les actions de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, est confiée à trois intercommunalités. Les travaux étant réalisés par le syndicat mixte baie de Somme Grand littoral picard.
Malgré les promesses de l’État, ils attendent des actions. Plusieurs d’entre eux, comme Marc Volant, le maire de Quend, ont quasiment posé la même question : « Pourquoi on n'avance pas plus vite ? Si on ne fait rien, on va être rattrapés. Le conservatoire du littoral fait beaucoup d’acquisitions mais le syndicat mixte baie de Somme grand littoral picard n’entretient pas car il n’y a pas d’argent. Nous avons besoin de moyens financiers et juridiques pour faire des travaux d’urgence et éviter une catastrophe. »
Emmanuel Maquet, député, a regretté les difficultés à mettre en œuvre le Papi : « Il faudrait un geste de solidarité pour le comité national du trait de côte par exemple augmenter les droits de mutation mais ils sont déjà plus élevés en France qu’ailleurs ou une majoration sur la consommation d’eau potable. Mers-les-Bains, Cayeux-sur-Mer et Fort-Mahon ont augmenté les taxes des casinos. Quid des relocalisations ? On a beaucoup trop de contraintes réglementaires sur le littoral. » Car dans le même temps, les élus devront faire face à la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) : « C’est d’une complexité rare, a avoué le préfet. Il y a besoin d’une cellule d’appui mobilisable au niveau régional. »
Trois communes en ligne de mire
Ault et Saint-Quentin-en-Tourmont figurent sur une liste de communes dont l’action, en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydro-sédimentaires entraînant l’érosion du littoral. Elles devront réaliser une cartographie d'évolution du trait de côte à court (0-30 ans) et long (30-100 ans) termes, et intégrer les zonages correspondants dans leurs documents d’urbanisme, ceci étant finançable à 80% par l’État.
Elles pourront bénéficier de nouveaux outils et dispositifs comme : le BRAEC (bail réel d’adaptation à l’érosion côtière), le droit de préemption spécifique, une méthode d’évaluation des biens, des fonds Vert ou des dérogations sous conditions à la « loi littorale ». Dans ce sens, le maire d’Ault, Marcel Le Moigne, qui partage l’impatience des autres maires présents, a prôné notamment pour un achat par l’établissement public foncier de l’hôtel restaurant Le Cise qui trône en haut de la falaise dans le bois de Cise.
À noter que Mers-Les-Bains va rejoindre cette liste mais pas Cayeux-sur-Mer, protégé par 104 épis : « C’est trop restrictif, a estimé son maire Jean-Paul Lecomte, inquiet pour l’avenir de sa commune. Nous sommes à 85% en dessous du niveau de la mer, donc en très grande majorité en zone rouge donc on ne peut pas construire. Nous voudrions pouvoir faire des expérimentations comme par exemple être autorisés à construire sur pilotis…». « On est sur brèche, a estimé aussi Daniel Chareyron, maire de Saint-Valery-sur-Somme. Nous pouvons être le laboratoire de l’État qui peut faire évoluer les interdits de la loi littoral. Par exemple, une dent creuse devrait pouvoir accueillir une nouvelle construction. ». « Votre impatience prouve que vous voulez agir. Nous allons charger de braquet. Des études vont être complétées. On va avancer ensemble », leur a promis le préfet de la Somme.