RSE : la filière cuir contre-attaque
Mode végan, vidéos virales dénonçant la maltraitance animale, pression sur les entreprises qui polluent... La filière cuir prend le contre-pied en affichant sa démarche RSE.
La meilleure défense, c'est l'attaque. Le 21 juin dernier, lors d'une conférence de presse à Paris et en ligne, Frank Boehly, président du Conseil national du cuir, présentait le «livre blanc RSE» (responsabilité sociétale des entreprises) de la filière du cuir. Celle-ci est constituée de 12 800 entreprises, dont 80% de PME et TPE qui regroupent 133 000 salariés exerçant une centaine de métiers. Sur le plan économique, la filière réalise 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an, dont plus de 13 milliards à l'export. Objectif du livre blanc ? «Inciter les entreprises et les accompagner dans la démarche» RSE, mais aussi «faire face à des idées reçues dans le public», explique Frank Boehly.
De
fait, à travers certaines thématiques abordées, se lisent en
creux les évolutions sociétales qui bousculent aujourd'hui ce
secteur au savoir-faire ancestral : une sensibilité accrue au
bien-être animal, l'intolérance face aux industries qui polluent
ainsi que l'engouement pour la mode végan. En réponse, une partie
du livre blanc est consacrée à l'objectif du dialogue avec les
consommateurs. «Avoir
une démarche responsable, c'est accepter d'être transparent et
d'écouter le consommateur, qui, de plus en plus, cherche de
l'information. Mais on constate sur les réseaux sociaux (...) que
l'abondance d'informations tue un peu l'info. N'émerge que ce qui
fait le ‘buzz’, parfois au détriment de l'info concrète»,
estime Frank Boehly. D'où l'importance de la «pédagogie»,
en particulier sur un sujet précis : celui des limites de
l'appellation cuir, fixées aux matières d'origine animale par le
décret de janvier 2010. «Aujourd'hui,
on voit fleurir des appellations pour des matières d'origine
végétale (…). Ce que nous revendiquons, c'est une
communication claire sur ces matières et leur composition»,
pointe Frank Boehly. Des études menées par COTANCE (Confédération
des associations nationales de tanneurs
et
mégissiers de la Communauté européenne) et par le
CTC (Centre
de recherche dans les métiers du cuir) aboutissent à une série de
conclusions :
les qualités physico-mécaniques de ces matières ne les rendraient
pas assez résistantes pour réaliser des chaussures. De plus, elles
contiendraient des substances d'origine synthétique et pas
seulement naturelles...
Champion
de l'économie circulaire
Dans son livre blanc, la filière du cuir prend le contre-pied en se présentant comme un «modèle d'économie circulaire», promue par la loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie circulaire) de 2020. «Le cuir est un sous-produit ou un coproduit de l'industrie agroalimentaire. On élève des animaux pour le lait et la viande, et la filière cuir récupère le ‘5e quartier', tout ce qui n'est pas de la viande : sabots, cornes, boyaux, os, peau, qui pourraient devenir des déchets s'ils n'étaient pas valorisés et réutilisés», argumente Franck Boehly. Plusieurs initiatives sont là pour convaincre les consommateurs du caractère vertueux de la démarche de la filière. C'est le cas d'Innoshoe, une charte qui garantit l'innocuité des produits et leur faible impact environnemental. Autre initiative, le CTC a mis en place un dispositif de traçabilité des peaux, marquées au laser au sortir de l’abattoir et suivies jusqu'à la matière finie. A terme, la traçabilité devra se prolonger jusqu'au produit fini. Le dispositif existant est déjà opérationnel pour les peaux de veau.
Autre
sujet brûlant abordé par le livre blanc, celui de la maltraitance
animale, sur lequel la sensibilité de la société se fait toujours
plus vive. «Des
vidéos circulent pour montrer des conditions de stress des animaux, que nous condamnons», précise Frank
Boehly. Mais il rappelle que la filière est soumise aux
«réglementations
françaises et européennes, les plus avancées du monde»,
ainsi qu'à de nombreux contrôles vétérinaires. Par ailleurs, le
secteur s'engage aussi, notamment via des actions de sensibilisation
auprès des professionnels. D'autant qu'il existe un lien entre
bien-être animal et qualité de la peau.
Parmi
les thèmes abordés figure aussi celui du «capital
humain» :
il pointe l'enjeu crucial du recrutement, dans un pays qui valorise
les métiers intellectuels par rapport à ceux manuels : 10 000
emplois sont par
exemple
à pourvoir dans la mode et le luxe... A ce titre, la filière
s'efforce, notamment, d'encourager toutes les démarches de
valorisation de son savoir-faire. A l'image du label EPV, "Entreprise
du patrimoine vivant" : 110 entreprises du secteur le détiennent.
Des initiatives locales ont également vu le jour, dont la plus
célèbre est peut-être celle de Romans-sur-Isère (Drôme) :
la ville a vu naître une Cité
de la chaussure,
fruit des efforts d'un écosystème d'entreprises qui travaillent depuis
des années à faire renaître la tradition de l'ancienne
capitale de ce métier.