Réunions, e-mails, visioconférences... la fatigue informationnelle, nouvelle forme de pénibilité au travail
Un quart des actifs français, soit 7,5 millions de personnes, se disent affectés par la fatigue informationnelle, due à la surcharge cognitive provoquée par l’abondance de données à traiter. L’enquête dédiée menée par la Fondation Jean-Jaurès avec l’ObSoCo et Arte explore l’émergence de cette nouvelle forme de pénibilité au travail.
Un actif sur quatre souffre de fatigue informationnelle au travail (FIT). De manière « intense » ou « très intense » (13 %), le phénomène concernerait près de 7,5 millions de Français. « Cette fatigue se manifeste par des difficultés à trier les informations, à prendre des décisions, et par une concentration perturbée par les notifications et interruptions numériques », relèvent les auteurs de l’étude Sébastien Boulonne, Guénaëlle Gault et David Médiani. Pour qualifier la FIT, cinq indicateurs ont été retenus : le débordement informationnel –33% indiquent être débordés par la quantité d’informations à traiter chaque jour –; la difficulté décisionnelle –27 % pointent les difficultés à prendre de bonnes décisions au milieu de toutes les informations qu’ils reçoivent– ; la confusion des priorités –22 % peinent à distinguer ce qui est urgent de ce qui ne l’est pas – ; la diminution de la concentration –du fait d’interruptions fréquentes par des mails ou des notifications (30%) –; et enfin le temps excessif consacré au tri d’informations reçues quotidiennement (33 %).
Les outils numériques dans le viseur
Le profil-type des actifs souffrant de FIT ? Les cadres supérieurs et/ou managers, urbains, jeunes, diplômés du supérieur. Les cadres et professions intellectuelles se trouvent les plus touchés (42 % d’entre eux) et davantage les managers (38 %) que les employés (21 %). « Ces catégories professionnelles sont souvent les plus exposées à un flux constant d’informations en raison de leurs responsabilités organisationnelles et de leur utilisation intensive des outils numériques », peut-on lire dans l’étude. « Les e-mails et les réunions virtuelles, bien qu’utiles, amplifient ces symptômes en saturant les environnements professionnels ». La proportion d’actifs impactés par cette nouvelle forme de surcharge cognitive augmente à mesure de l’utilisation des outils numériques dans son travail. Elle passe de 13 % chez les ceux qui n’utilisent pas de boîte mail, ni de messagerie instantanée, d’outils de visioconférence, à 39 % chez ceux qui adoptent tous ces outils, soit dans les postes à responsabilité et parmi les cadres et professions intellectuelles.
Autre point noir, l’abondance des e-mails, des notifications et de réunions. La quantité d’informations à traiter correspond à environ un septième de leur temps, chaque jour. Une tâche qui s’avère chronophage, alors qu’un courriel sur deux ne les concernerait pas directement : un quart affirment que seuls 20 % des courriels reçus leur seraient en réalité adressés. Résultat, la fragmentation du travail peut entraîner des conséquences négatives : interruptions fréquentes, morcellement des tâches, rythme de travail dicté par les TIC, et difficulté à planifier sa charge de travail, sentiment d’urgence permanent, difficulté de concentration... Et finalement, elle peut conduire à une perte d’efficacité, car le temps de « reconcentration » nécessaire pour se replonger dans une tâche après une interruption est souvent sous-estimé (au total sur une journée, il serait de l’ordre d’une heure 30mn ).
Parallèlement, le temps passé en réunions, notamment virtuelles, vient s’additionner à celui dédié à traiter mails et notifications. En moyenne, les actifs en emploi participent ainsi à environ trois réunions par semaine, pour un total cumulé de 66 minutes chaque semaine (3 heures 25mn pour les cadres et professions intellectuelles). En outre, 28 % jugent ces réunions trop nombreuses et 15 % les considèrent inutiles.
Baisse de motivation et incertitudes
Cette confusion face à l’accumulation d’informations devient une source de frustration et de désorganisation. La fatigue informationnelle a des répercussions majeures sur la qualité de vie au travail (QVT). Les actifs touchés se sentent souvent débordés, moins performants et plus stressés. Les individus soumis à une forme de FIT ont tendance à évaluer leur QVT avec un regard plus critique que leurs collègues : 36 % déclarent être insatisfaits par leur QVT, pour 28 % des actifs qui ne ressentent pas de FIT. La surcharge cognitive accélérerait ainsi leur mal-être au travail.
Et la dégradation de leurs conditions de travail se répercute sur leur capacité à rester motivé : les personnes souffrant d’une forme de FIT ont souvent une perception plus négative de leur métier : 46 % disent être insatisfaits de l’activité professionnelle qu’ils exercent (10 points de plus que le reste des travailleurs). Ce phénomène contribue à un désengagement progressif : 35 % ne se sentent pas investis dans leur travail et leurs missions et 28 % n’ont pas le sentiment de faire du bon travail. Bien que « la majorité des actifs se sent globalement efficace et alignée avec leurs responsabilités, une proportion significative est confrontée à des niveaux élevés de stress, de pression et à une surcharge constante ».
Afflictions psychologiques et burn-out
Autre méfait des outils numériques : la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle devient de plus en plus poreuse, accentuée par la potentielle disponibilité constante des employés. 47 % des actifs en emploi ressentent ainsi la pression d’être en permanence connectés et disponibles, même en dehors de leurs heures de travail. Ils vivent ce que la professeure des universités en sciences de l’information et de la communication Valérie Carayol et ses collègues qualifient de « laisse électronique ». La frontière vie personnelle / vie professionnelle semble s’être érodée dans les deux sens : si 45 % des actifs déclarent répondre à des sollicitations professionnelles en dehors des horaires officiels de travail, dans le même temps, 62 % reconnaissent aussi répondre à des sollicitations personnelles, au travail. De fait, un actif sur cinq déclare avoir du mal à dissocier vie privée et vie professionnelle, alors même que la gestion de la frontière entre les deux semble être déterminante dans le fait de souffrir ou non de FIT.
La FIT a également des impacts significatifs sur leur santé mentale et physique. Les actifs touchés seraient davantage sujets aux afflictions psychologiques – 69 % déclarent ressentir du stress, contre 56 % de l’ensemble des actifs et 52 % de la population globale. De même, 55 % souffrent d’anxiété et 43 % de déprime, des taux là encore nettement supérieurs à ceux observés dans la population générale. Enfin, cette surcharge cognitive peut aussi conduire à une situation de burn-out professionnel : 28 % des personnes en état de fatigue informationnelle ont connu un épisode de burn-out, vs 19 % de la population active globale.
Charlotte DE SAINTIGNON