Retour sur le Salon de l’Agriculture
Face au surendettement, des alternatives existent
Certains secteurs du monde agricole souffrent tragiquement. La plupart du temps, le surendettement est en cause. Les investissements sont-ils si considérables et imprévisibles ? Comment s’en sortir et pourquoi ne pas se reconvertir dans l’agro-écologie de demain ?
Impossible de visiter le Salon de l’Agriculture sans être ébloui, sinon intrigué par toutes ces machines, engins et inventions - certaines paraissant tout droit sorties d’un album de science-fiction. Ainsi en est-il de ce concept de culture hors sol, de Futura Gaia, né à Nîmes et constitué d’un empilement de cylindres de 2 mètres de diamètre par 2,6 m de longueur sur trois ou quatre niveaux, soit 9 mètres de hauteur. A l’intérieur sont alignés, baignés d’un éclairage LED et arrosés au goutte à goutte, des plants de salades, de basilic ou d’herbes aromatiques, médicinales comme l’arnica montana (testé avec succès). Sont-ils destinés à nourrir des cosmonautes sur la planète Mars ? Non. C’est un très sérieux programme de fermes en entrepôt ou hangar fermé, a priori couvert de panneaux voltaïques (mais à peine suffisants pour couvrir 30% des besoins en énergie !). Le premier projet, bientôt finalisé à Tarascon (Paca), regroupe 400 cylindres et représente un investissement de 11 millions d’euros, incluant un terreau original, spécifique à chaque culture. Selon ses concepteurs, l’amortissement financier de ces serres futuristes serait possible en six ans (avec 10 à 18 récoltes l’an).
Mais quel agriculteur se lancerait dans une telle aventure ? Les créateurs de ce système proposent du « clés en main » - installation et gestion. Est-ce là l’agro-industrie de demain, possiblement bio ? Un éleveur ou un céréalier va sans doute préférer investir plus classiquement dans la mécanisation et le numérique. Mais qui sait, s’il venait à disposer d’une infrastructure adéquate et à trouver les financements ? Pas exclu mais pas certain, car la plupart des agriculteurs sont endettés, voire surendettés. De source ministère de l’Agriculture/Agreste, l’endettement des agriculteurs est en forte hausse ces dernières années et dépasse, en moyenne, les 200 000 euros. Avec de fortes disparités : pour 30% d’entre eux, on est en dessous de 50 000 euros et, pour 20%, à plus de 300 000 euros. En outre, les moins de 40 ans sont deux fois plus endettés (270 000 € ) que les plus de 60 ans. Les élevages de porc sont quatre à cinq fois plus endettés que ceux des ovins-caprins, mais amortissent plus vite.
Des immobilisations très coûteuses
Beaucoup préfèrent investir dans des aménagements de bâtiments et des matériels classiques, mais souvent innovants : tracteur de 300 CV avec motorisation au gaz naturel (avec, pourquoi pas, sa propre installation de méthanisation). Il en coûte 1 000 euros par cheval de puissance (soit, ici, 300 000 euros). Une moissonneuse batteuse peut atteindre voire dépasser les 400 000 euros. Chez les producteurs de lait, un robot de traite coûte 100 000 euros. Il existe aussi des risques de dérapage : acheter des solutions ‘hype’, géolocalisées (GPS), coûteuses, qui relèvent parfois du gadget…
Sauf à raisonner subventions et optimisation fiscale, beaucoup achètent des matériels d’occasion ou en leasing. Une tendance à suivre : mutualiser les achats en copropriété, par exemple, via une Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole).
Certains producteurs, comme les maraîchers, tardent à s’équiper, surtout s’ils ne ressentent pas - ou pas encore - la pression de produire ‘bio’. Ils l’avouent : ils continuent d’utiliser engrais peu recommandés, pesticides et herbicides (cf. le glyphosate), à défaut d’investir dans un scalpeur-désherbeur…
Changer de pratiques
En cas de difficultés financières, les organisations professionnelles, au vu des nombreux cas de suicides, recommandent fortement de ne pas rester isolé. Ainsi, le réseau associatif Solidarité Paysans se donne pour mission « d’accompagner les changements des pratiques agricoles », en préconisant « l’agro-écologie, véritable levier de redressement pour les exploitations fragilisées ». Il faut toujours envisager diverses solutions, renégocier les dossiers de financement en se tournant vers des aides diverses (cf. BEI / Crédit Agricole, MSA/AFSE, Aide financière simplifiée pour les exploitants, Pass’Agri Filières, etc.), mais souvent le foncier est exclu et la constitution d’une garantie est exigée...
Le bien-être animal ? Non monnayable…
Certains éleveurs reconnaissent aussi devoir, légalement et éthiquement, investir pour le bien-être animal. Là encore, les solutions ‘hype’ abondent : tapis drainant, auto-nettoyant avec chauffage ( !), « logettes » individuelles avec marche pour l’alimentation, robots-brosses, etc. « Nous avons bien conscience qu’il faut investir là aussi », nous confie l’un d’eux. « Mais c’est sans retour sur investissement. ». Comprenons : des investissements « cadeaux » qui ne rapportent rien… En revanche, pour des raisons de confort, les robots pour la traite, malgré un coût élevé, séduisent les jeunes éleveurs – y compris pour les cheptels caprins. Mais, confirmation nous a été donnée : le marché est trop de « niche » :
6 000 éleveurs de chèvres seulement en France, cela ne justifie pas (pas encore ?) qu’un industriel comme DeLaval adapte ses robots pour vaches laitières aux chèvres. Raté !
La manne du captage de CO2 revient-elle ?
Enfin, lors de cette 60ème édition du Salon de la Porte de Versailles, une statistique a fait mouche : d’ici à 2026, 50% des petites exploitations devraient voir leur patron partir en retraite. Les instances professionnelles se réveillent : c’est une occasion historique d’accélérer la transition écologique.
Précisément, le Salon a fait étalage, notamment sur l’espace des start-up « Ferme digitale », d’une moisson de technologies et de prestations de décarbonation. Citons Carbon Farmers (Paris, Station F) qui propose de structurer des filières en valorisant la tonne de C02 ; ou MyEasy Farm (Reims), experte en cartographie de rendement et de modulation à partir de photo-réflectance ou photo-thermie, permettant d’ajuster les dosages (engrais, irrigation…) à 10 mètres près. Ajoutons l’outil de surveillance des silos (prévenant la germination des grains) développé par Javelot (Lille-Wasquehal, Felix Bonduelle et Vindicien Delcourt) ; et la start-up nantaise Weenat qui a conçu une IA pour le suivi de température, la pluviométrie, les maladies des plantes, etc.. Enfin, à Rouen, SysFarm délivre des crédits CO2, avec une valorisation globale des exploitations s’échelonnant entre 40 et 100 euros, par hectare, par an (sur la base du prix « standard » actuel de 45€ la tonne de CO2).
Alors, outre la production d’énergie photovoltaïque et la méthanisation, pourquoi ne pas tenter d’arrondir les fins de mois, vertueusement.