Relever le défi de manager dans un milieu d'hommes
Laurence Verstaen dirige l’agence dunkerquoise d’Entrepose échafaudages depuis 2008. 27 salariés, un environnement très masculin, des postes de travail à risque, des donneurs d’ordre exigeants… l’apprentissage du métier a été compliqué. Dix ans après, Laurence Verstaen est fière de ce parcours où elle a dû faire preuve de caractère pour réussir à s’imposer.
En cet après-midi de juillet, Laurence Verstaen rentre d’une réunion de travail à Calais. La porte de l’agence dunkerquoise d’Entrepose échafaudages à peine ouverte, la voici qui se fait interpeller par ses collègues, sur un devis, une facture ou encore un souci technique. Tutoiement de rigueur entre la responsable et ses collègues de bureau, qu’ils soient secrétaires ou cadres. Laurence Verstaen est adepte du «sans chichi» dans son management. Ce qui ne signifie pas sans une certaine forme d’autorité. Pour preuve, refermant la porte de son bureau, la dirigeante nous promet «que nous ne serons pas dérangés tout le temps de l’entretien». Ce qui se confirmera.
Une carrière «sur le terrain»
Laurence Verstaen, la quarantaine, a fait toute sa carrière chez Entrepose échafaudages, un groupe spécialisé dans la location, la vente, la fabrication et le montage d’échafaudages pour l’industrie et le BTP. Dès son plus jeune âge, elle veut travailler «sur le terrain» et dans un milieu masculin, «peut-être parce que je suis fille d’agriculteurs, élevée au grand air», suggère-t-elle. Cette envie la conduit à préparer un CAP-BEP construction-topographie, puis un bac F4 (génie civil) et enfin un BTS travaux publics où déjà les filles sont rares. Embauchée en 1995 sur un poste de secrétaire à l’agence de Lille, Laurence Verstaen est finalement envoyée sur le terrain à peine un mois plus tard en tant que technico-commerciale. «Je ne connaissais alors rien du tout au monde de l’échafaudage. Il m’a fallu apprendre sur le tas. Et surtout convaincre que j’étais capable alors que j’étais toute jeune et que j’évoluais dans un milieu exclusivement masculin. Je faisais du suivi de chantier, mais j’étais en lien également avec mes clients industriels et du BTP pour toute la partie commerciale. Il y avait aussi une grosse partie prévention des risques sur laquelle je me montrais intraitable, même si imposer des règles strictes à des hommes quand on est une femme n’était pas si évident à l’époque. Cela a été difficile, je le reconnais. Mais avec du recul, je pense que ce fut aussi une excellente école qui m’a beaucoup servie quand j’ai pris mes fonctions de cadre dirigeante», apprécie Laurence Verstaen.
Forte d’une solide expérience au sein de l’entreprise, Laurence Verstaen est, en effet, choisie en 2008 par le groupe pour prendre la direction de l’agence de Dunkerque, «à sa plus grande surprise», précise-t-elle, «puisque je n’avais rien demandé». Il s’agit, au début, de pallier simplement le départ du directeur d’agence qui a pris une année sabbatique pour effectuer un tour du monde. «Cette nomination a aussi été une grande surprise pour les salariés de l’agence», sourit-elle. «Et une grande interrogation. Tous me connaissaient, bien-sûr, avec mes qualités et mes défauts. Mais, à ce moment-là, ils n’ont surtout retenu que mes défauts. Et m’ont bien fait comprendre que je n’avais aucune légitimité pour ce poste», reconnaît-elle sans acrimonie.
«J’ai compris qu’ils attendaient que je fasse mes preuves, en tant que femme, pour diriger une équipe d’hommes.»
Rétablir la confiance
Laurence Verstaen n’a aucune expérience du management, mais d’instinct elle comprend qu’il lui faut commencer par rétablir la confiance. «Mettre en place un management très directif n’aurait pas été concluant», analyse-t-elle aujourd’hui. «Bien au contraire, je suis allée voir mes gars et je les ai d’abord écoutés. C’était le point de départ indispensable si je voulais qu’ils me respectent parce que, pour eux, être dirigés par une femme n’était pas aisé à intégrer, je l’ai compris tout de suite. Et puis j’ai passé beaucoup de temps à leur expliquer que je n’étais pas là pour tout remettre en question mais pour continuer ce qu’avait fait mon prédécesseur. On formait une équipe, eux avaient besoin de moi, mais moi j’avais besoin d’eux tout autant. Au bout de quelques mois très éprouvants, la confiance est revenue parce qu’ils ont vu que j’étais à la hauteur. J’ai compris qu’ils attendaient que je fasse mes preuves, en tant que femme, pour diriger une équipe d’hommes.» En 2009, Laurence Verstaen est maintenue à son poste et ce qui devait n’être que provisoire devient définitif à sa plus grande satisfaction : «Malgré toutes les difficultés, j’avais vraiment pris goût à mon nouveau métier. Il me passionnait même, dans toute sa complexité, confie-t-elle. Être tous les jours au cœur de l’humain, savoir prendre en compte les difficultés personnelles qui peuvent survenir, soutenir, écouter, conseiller, être dans la compassion, mais aussi prendre des sanctions parfois, c’est à la fois passionnant et extrêmement difficile.»
«Je laisse beaucoup de latitude aux salariés. C’est indispensable à un management réussi.»
Donner de la liberté à ses collaborateurs
Dix ans après, c’est toujours la même passion qui anime la directrice d’agence, une passion qu’elle essaie de transmettre à ses collaborateurs en les poussant à évoluer, à se dépasser, sans pour autant les mettre dans l’embarras. «C’est à moi de trouver les limites pour qu’ils se sentent au mieux à leur poste et aient envie de donner le maximum», est convaincue Laurence Verstaen, qui se dit prête à sortir les griffes pour défendre sa «boîte» ou un collaborateur injustement traité. «Je laisse beaucoup de latitude aux salariés, je leur fais confiance. C’est indispensable à un management réussi. Mais je sais prendre aussi mes responsabilités quand il faut trancher. Cela fait partie du métier !» Sur le bureau de Laurence Verstaen, un joli bouquet estival rose, blanc et vert, commence à perdre un peu son allant. Il lui a été offert il y a quelques jours par une collaboratrice. «Elle voulait me remercier d’avoir mis tout en œuvre pour qu’elle puisse garder un temps partiel un peu plus longtemps après la naissance de son bébé», raconte Laurence Verstaen. «N’est-il pas la preuve d’un management réussi ?», s’exclame-t-elle dans un grand éclat de rire.