Quelles perspectives pour le secteur culturel ?
À l'arrêt depuis plus d'un an, le monde culturel s'inquiète des conditions de la reprise. Les échéances demeurent floues, alors que l'organisation d'un festival prend plusieurs mois.
Le 4 mars, le Sénat organisait une table-ronde : "Quelles sont les perspectives pour les salles de spectacles et de cinéma ?". Plusieurs professionnels du secteur y ont exprimé leur désarroi, témoigné des effets désastreux des confinements successifs sur leur activité et de leurs inquiétudes face à une reprise qui demeure floue.
Pour tous, l'année 2020 a été catastrophique. C'est notamment le cas du secteur du spectacle musical, composé à 90% de TPE et PME et dont l'essentiel des revenus proviennent de la billetterie. En temps normal, il accueille 30 millions de visiteurs. En 2020, «les pertes sont importantes», explique Malika Séguineau, directrice générale du Prodiss, Syndicat national du spectacle musical et de variété. Estimation de la perte : 84% du chiffre d'affaires annuel, soit 1,8 milliard d'euros. «À terme, une entreprise sur deux est menacée de faillite», prévient-elle.
Les théâtres privés ne sont pas mieux lotis. Ils emploient 6 000 salariés et de nombreux intermittents du spectacle sur une très longue durée. Leur chiffre d'affaires annuel s'élève à 250 millions d'euros. D'après leur syndicat national, l'impact du premier confinement, par exemple, a induit une perte de recettes de 60 millions d'euros. Et la reprise partielle, en septembre, s'est faite dans une situation dégradée, avec des jauges limitées et des surcoûts liés aux contraintes sanitaires. Pire, «ce dispositif a trouvé sa limite avec le couvre feu (…). Il a rendu impossible de programmer plus de quatre spectacles par semaine, contre six à sept nécessaires pour amortir les coûts», explique Isabelle Gentilhomme, déléguée générale du Syndicat national du théâtre privé (SNDTP).
Au total, «le stop and go est dramatique pour les entreprises», ajoute-t-elle. Et enfin, le secteur public du spectacle vivant (qui regroupe opéras, scènes nationales...) a subi, au premier confinement, l'annulation de 19 000 représentations, soit une perte de 90 millions d'euros de recettes.
Une nécessaire anticipation de la reprise d'activité
Au bout d'une année de crise, le secteur de la culture est dans un état critique, s'inquiètent ses représentants. «Hors PGE [Prêt garanti par l’Etat], les entreprises ont quasiment toutes une trésorerie négative. Elles ne pourront pas rembourser le PGE», témoigne, par exemple, Isabelle Gentilhomme. Ces professionnels reconnaissent l'importance des aides mises en place par l’État, qu'elles soient transverses ou spécifiques à leur secteur. Mais dans un contexte où l'activité tarde à reprendre, ils s'inquiètent et demandent la pérennisation et le renforcement de ces dispositifs. A l'image de celui concernant l'activité partielle, prévu jusqu'au 30 juin.
Toutefois, au delà de ces difficultés, le sujet majeur d'inquiétude, c'est le retour à l'activité. «La situation est particulièrement difficile car nous n'avons pas de perspective de reprise», pointe Malika Séguineau. Or, les professionnels le rappellent, il existe des délais «incompressibles» pour remettre en route un spectacle. «Les entreprises doivent reprendre leur activité bien en amont. Il est nécessaire de connaître les dates trois à cinq semaines avant l'échéance», explique Isabelle Gentilhomme.
Certains festivals devaient démarrer dès le mois de mai, à l'image du Printemps de Bourges. «Il nous faut de l'anticipation et de la visibilité, c'est pourquoi nous demandons un calendrier de reprise», insiste Malika Séguineau. Et le mécontentement est général, face au ministère de la Culture. Par exemple, le 18 février, Roselyne Bachelot avait annoncé aux professionnels des festivals que ceux-ci pourraient se tenir en version assise, en plein-air et accueillir 5 000 spectateurs maximum. «Il ne s'agit pas d'une vraie date de reprise», estime Malika Séguineau. Et Bruno Lobé, directeur du Manège de Reims et vice-président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), de renchérir : «Il est vraiment urgent que le plan de réouverture progressive s'applique».
Ouvrir, c'est possible sur le plan sanitaire
Les impératifs sanitaires s'y opposent-ils ? Il n'y a pas de fatalité à garder les lieux culturels fermés, estime Antoine Flahault, médecin en santé publique et épidémiologiste à l'Université de Genève. Il est vrai, reconnaît-il que «les grands rassemblements, comme des répétitions ou des spectacles peuvent être à l'origine de clusters. Y en a-t-il eu ? La réponse est oui, dans le monde, et même en France», explique le spécialiste. Par ailleurs, «les lieux de contamination ne sont pas seulement dans la salle. Cela peut aussi être les vestiaires ou le bar», ajoute Antoine Flahault. Toutefois, «il existe des mesures de prévention, afin de réduire les risques», qui rendent la tenue des spectacles possible, poursuit le médecin.
L'Espagne donne l'exemple : depuis septembre dernier, elle a fait preuve d'un «fort volontarisme politique» pour préserver la vie culturelle. Une batterie de mesures a été mise en place, qui, pour beaucoup, rappellent celles déployées en France à l'automne : jauge réduite, port du masque obligatoire pour tous les spectateurs, écart entre les groupes, vestiaires et bars fermés. Mais aussi, «elle a investi sur l'aération et la ventilation», ajoute Antoine Flahault.
Pour l’épidémiologiste, ce facteur fait des avions ou des TGV «les endroits les plus sûrs, parmi les endroits clos». Les contaminations constatées y sont extrêmement rares, car l'air est régénéré toutes les trois à cinq minutes. «C'est irréalisable dans les locaux des salles de spectacles, mais on peut grandement améliorer la ventilation», précise Antoine Flahault. Et la durée du spectacle peut être ajustée en fonction de la qualité de la ventilation. D'autres outils peuvent être déployés : un traçage – potentiellement obligatoire – des spectateurs avec un QR code, afin de détecter d'éventuels clusters. Et aussi, la vaccination, ou, du moins, le testing régulier des troupes d'artistes. Au total, juge Antoine Flahault, «les mesures de prévention sont possibles. On peut être ambitieux pour la culture».