Quelles observations ? Est-ce le bon moment d’agir ?
À l’image de notre économie, le marché des cessions transmissions d’entreprises familiales est en pleine mutation. Quelles remarques générales sur les opérations ? Quels profils des repreneurs et des cédants ? Quelles tendances pour les financements ?
Beaucoup de dirigeants d’entreprise, qui devraient passer la main, n’osent pas s’engager dans le processus de cession et de recherche d’un repreneur. La démarche de transmission les oblige à s’interroger, à se remettre en question, à accepter des concessions et à admettre une perte de pouvoir… La tentative est grande, face au changement et à l’inconnu, de se replier sur soi-même et de remettre à plus tard ce sujet qu’on ne peut pas maîtriser tout seul. À cela s’ajoute le problème de la valorisation de l’entreprise. Le cédant vend rarement au bon moment. Le prix de son entreprise est souvent une projection de son ego. La transmission d’une entreprise est parfois davantage une affaire de psychologie que de chiffres.
Un marché attentiste
Le marché des transmissions de PME et PMI familiales est marqué par un climat d’attentisme dans les régions de l’Est. La typologie sectorielle des entreprises vendues ne change pas beaucoup. Les entreprises à reprendre interviennent majoritairement dans les secteurs traditionnels d’activités de l’industrie, des services, du tertiaire et du BTP second œuvre. Cette situation va évoluer car il y a aujourd’hui de nombreuses créations de sociétés à fort potentiel (notamment dans l’innovation numérique) qui ont dans leurs gênes un cycle plus court avec un business model prévoyant une revente à un horizon de quelques années seulement.
La loi Hamon est un frein à la cession des entreprises
La mise en place de la loi Hamon instituant le droit d’information des salariés depuis le 1er novembre 2014 s’avère être un frein à la cession des entreprises. Elle complique et fragilise les entreprises à vendre avec la diffusion prématurée d’une intention confidentielle de cession qui peut être exploitée de façon malveillante. La règle de base de discrétion et confidentialité, qui est une condition essentielle pour la réussite des négociations, ne peut plus être respectée. Les salariés intéressés par la reprise de leur société ont toujours pu se positionner naturellement sur cette opération avec le regard bienveillant du dirigeant qui sait parfaitement s’ils sont capables d’assurer la continuité de son entreprise (et si le financement de cette opération est à leur portée). Les professionnels de la transmission d’entreprises, qui se sont beaucoup mobilisés contre cette loi, constatent malheureusement que ses effets négatifs leur donnent raison. Le gouvernement a pris conscience des modalités d’information lourdes et disproportionnées de ce dispositif et les députés viennent d’amender la loi Hamon, en supprimant aussi la sanction très excessive de nullité de la cession. Le bon sens finit par s’imposer mais le vote de cette loi contre l’avis de nombreuses personnes connaissant bien ce sujet, a beaucoup déçu. Cette affaire a été un révélateur de la connaissance insuffisante par la puissance publique du monde des petites entreprises et de la réalité de la soi-disant simplification administrative.
Les cessions d’entreprises en externe en augmentation
Les cessions d’entreprises à des repreneurs extérieurs (entreprises ou personnes physiques) sont plus fréquentes que les transmissions intra-familiales ou aux salariés des entreprises concernées. Selon l’observatoire des transmissions d’entreprises réalisées par les professionnels des fusions acquisitions, 2/3 des TPE et PME sont cédées en externe et 1/3 sont vendues en interne. La raison principale est l’absence d’un repreneur dans la famille. On observe aussi que les parents ont moins envie de transmettre leur société à leurs enfants et ces derniers revendiquent aujourd’hui un mode de vie professionnelle moins contraignant que celui du modèle parental.
Les repreneurs sont plus jeunes, plus aguerris et ont plus de capacité financière
Les repreneurs sont majoritairement des managers avec formation supérieure en reconversion professionnelle issus de grandes entreprises. Ils ne sont pas familiarisés avec la culture de la PME ou TPE familiale. Ils s’intéressent à la reprise d’entreprise de plus en plus jeunes. On voit apparaître des repreneurs dans la tranche des 30 à 40 ans alors que l’âge moyen traditionnel de la reprise se situe à 45 ans. Ces jeunes repreneurs ne veulent plus se plier aux exigences d’un marché de travail saturé. Ils saisissent l’opportunité des ruptures conventionnelles pour se lancer dans l’aventure de la reprise avec un apport personnel dopé. La contribution financière des repreneurs tend aussi à augmenter avec l’aide plus fréquente de partenaires financiers et de love money (financement des réseaux familiaux et personnels). On observe aussi que les comportements de cette nouvelle génération de repreneurs sont très différents de ceux de leurs aînés. Ces dirigeants quadragénaires sont plus intuitifs, moins sentimentaux, plus opportunistes, capables de bousculer la hiérarchie, totalement décomplexés sur le sujet des acquisitions et cessions d’entreprises.
Des cédants qui n’attendent pas la retraite pour vendre
La durée du cycle moyen de la transmission d’une société (une quinzaine d’années) tend à se raccourcir. Plus du tiers des cessions d’entreprises sont motivées par une volonté de changement d’activité du dirigeant. Une part croissante des cessions intervient avant 55 ans. Elle concerne une nouvelle génération de cédants qui n’attendent pas le moment de la retraite pour vendre. Ces dirigeants sont plus attachés à l’esprit entrepreneurial qu’à entreprise elle-même. Ils s’adaptent facilement aux circonstances et envisagent la cession de leur société comme une opportunité de réaliser de nouveaux projets personnels.
Le délai pour la cession de l’entreprise s’allonge
Le délai moyen de 10 à 12 mois pour trouver le repreneur et vendre la société augmente et se situe plutôt aujourd’hui entre 18 et 24 mois. devient rare aujourd’hui qu’une opération de cession soit bouclée en moins d’un an. Cette situation s’explique moins par le temps nécessaire à la recherche de repreneurs que par la complexité des montages financiers et juridiques dont l’instruction prend en moyenne 7 à 9 mois. Les professionnels (conseils en cession, avocats, experts comptables…) doivent redoubler d’efforts d’explications et être plus que jamais force de proposition dans les négociations pour trouver les solutions intelligentes de compromis.
Les banques plus réceptives
Les banques sont plus réceptives aux financements des acquisitions d’entreprises par LBO (Leverage Buy-Out – rachat avec effet de levier). Mais il ne faut pas perdre de vue que l’instruction des dossiers prend du temps et que ces opérations présentent plus de risques pour elles que les financements traditionnels. On sollicite davantage les capital-risqueurs et investisseurs. Le crédit principal d’acquisition ou dette senior est souvent partagé entre deux établissements. Bpifrance est systématiquement sollicitée en contre-garantie mais cela n’empêche pas les banques de demander des garanties personnelles aux repreneurs (caution personnelle), au moins pour une quote-part du crédit sollicité. La tendance est que les cédants doivent parfois s’impliquer dans le financement de l’opération de leur repreneur en acceptant de faire le complément du financement du banquier avec un crédit vendeur. En pratique, le crédit vendeur se situe dans une fourchette de 10 à 30 % de la valeur de l’entreprise avec un remboursement sur une durée de 2 à 4 ans.
Temps d’opportunités pour les cédants et les repreneurs
La confiance revient chez les professionnels des transmissions d’entreprises. Avec la reprise économique qui s’affirme petit à petit, les temps à venir seront des temps d’opportunités aussi bien pour les cédants que pour les acquéreurs. Les vendeurs vont retrouver des marges de manœuvre et pourront mieux valoriser leur entreprise. Les acquéreurs auront la chance de reprendre en cycle bas dans une conjoncture en amélioration.
jean-yves.lestrade
conseil et rapprochement d’entreprises