Quand un entrepreneur invente un futur local et écologique
Son entreprise est devenue l'un des symboles d'une résurgence possible du Made in France : Thomas Huriez, fondateur de la marque 1083, producteur de jeans, déploie un modèle économique qui s'inspire des circuits des années 1950, mâtiné d'une forte dose d'innovation sociétale.
Sa trajectoire a de quoi faire rêver les entrepreneurs… pas forcément les startupeurs. En 2013, Thomas Huriez a fondé 1083, fabricant de jeans Made in France. Aujourd’hui, la société propose aussi d’autres vêtements, des chaussures… Elle affiche un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, grâce à un modèle de développement qui s’inspire des années 1950 et préfigure ces entreprises à objet social élargi du XXIe siècle… A Paris, Thomas Huriez, 38 ans, témoignait récemment de son parcours, lors d’une matinée organisée par Origine France Garantie, label lancé par Yves Jego et Arnaud Montebourg, sur le thème de «la reconstruction du tissu industriel français».
Le début ressemble à tout, sauf à une success story. «Je m’ennuyais au boulot», se souvient Thomas Huriez, qui, au cap de la trentaine, quitte son poste d’informaticien et retourne vivre à Romans-sur-Isère chez sa grand-mère, afin d’ouvrir une boutique de mode éthique. C’est parce que ses fournisseurs font faillite qu’il crée sa propre marque, «avec un produit qui parle de proximité, parce que j’ai besoin de sens dans mon boulot», précise Thomas Huriez, qui est allé jusqu’à baptiser son entreprise du nombre maximal de kilomètres séparant les deux villes les plus éloignées de l’Hexagone.
Jugeant le modèle économique actuel absurde, l’entrepreneur a innové : «J’ai mis le modèle économique de H &M sur le marché de Levi’s», résume-t-il. Concrètement, il s’est rendu compte qu’en partant d’un prix de vente de 100 euros pour un jean, il était en mesure de le produire en France avec un modèle économique viable, à condition de raccourcir le circuit de distribution. «La priorité est de travailler sur les circuits courts, qui n’ont rien d’innovant. C’était le modèle des trente glorieuses. Le fabricant était la marque et il revendait à des commerçants. Aujourd’hui, c’est le modèle qu’ont repris H & M ou Décathlon. Ces marques, qui étaient devenues des intermédiaires, achètent à présent directement aux producteurs», explique Thomas Huriez. Pour lui, tout a basculé dans les années 1980, lorsque des repreneurs ont racheté les marques et se sont débarrassés des ateliers, une dissociation qui a «triplé» le coût de distribution et généré des entreprises axées sur le court terme.
Un jean en consigne pour 20 euros
Thomas Huriez, lui, s’efforce plutôt de bâtir un écosystème, toujours en mouvement, qui fonctionne dans une démarche collaborative avec l’ensemble des parties prenantes, clients, salariés, revendeurs… Et sans oublier la dimension écologique. Les bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise. «Nous sommes très raisonnables dans la gestion et nous nous rémunérons peu. Nous avons très peu de frais de communication», ajoute l’entrepreneur. Il évalue ces derniers à 1% du chiffre d’affaires de l’entreprise et compte sur les consommateurs pour devenir «ambassadeurs» d’une marque qui revendique un comportement très cohérent et une grande transparence. Pas de soldes sur les jeans, par exemple, affiche l’entreprise : la saisonnalité du produit ne le justifie pas, et cela rogne par trop les marges des revendeurs…
Autre principe, l’attention portée à la revalorisation des métiers. «On galère pour trouver des couturières. ( …) Il faut réinventer ces métiers et aménager les ateliers avec autant de soin qu’on aménage des bureaux», explique Thomas Huriez, qui assure soigner la décoration des ateliers. Et surtout, il s’emploie à remplacer le modèle originel industriel du travail à la chaîne, source d’insatisfaction et de rigidité. «Nous responsabilisons les couturières. Elles sont responsables de A à Z de la vie du jeans. La qualité de leur travail se voit directement», explique-t-il. La démarche passe par la formation des salariés, recrutés sur la base d’un test d’habilité.
Depuis l’an dernier, l’aventure a pris une autre dimension encore : Valrupt Industries, spécialiste du tissage, fournisseur historique de 1083 – et l’un des quatre derniers restant en France-, s’est retrouvé en redressement judiciaire. En 2018, la société de Thomas Huriez a repris l’activité de filature. Le pari est loin d’être gagné. «Il faut mettre en place un nouveau modèle économique, trouver de nouveaux clients, diversifier», explique le dirigeant. Déjà, il explore les possibilités de l’économie circulaire. Une nouvelle ligne de jeans fabriqués en tissu 100% en polyester plastique, qui seront commercialisés avec une consigne de 20 euros, est au point. L’entreprise a aussi conçu un dispositif pour fabriquer des jeans à partir d’anciens. Reste à compléter le financement du projet, de l’ordre de 2 millions d’euros, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) assurant 40% du montage.