Prise illégale d’intérêts : l’autre risque pénal…

Aucun élu local n’ignore l’existence du délit d’octroi d’avantage injustifié, plus communément appelé “délit de favoritisme”. Comme on le sait, celui-ci sanctionne l’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. En regard, le délit de prise illégale d’intérêts semble, pour beaucoup, terra incognita. Mais il n’en expose pas moins l’élu local, a fortiori quand ce dernier est chef d’entreprise. Explications. Défini à l’article 432-12 du code pénal, le délit de prise illégale d’intérêts vise à une séparation nette entre la fonction de l’élu et ses intérêts privés. Deux conditions cumulatives président à son existence. En premier lieu, l’élu municipal, maire ou conseiller, doit avoir en charge, au moment de l’acte, la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de l’affaire dans laquelle il a pris intérêt. C’est le cas du maire, en toutes circonstances, et des adjoints et conseillers municipaux, au gré de leurs délégations respectives. La surveillance est interprétée très largement : simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d’autres (cass, crim, 27 juin 2012 – n°11-86920).

Pécuniaire, moral, politique… En second lieu, l’élu concerné doit avoir pris ou conservé un intérêt personnel distinct de celui de la généralité des habitants de la collectivité. L’intérêt personnel est très largement interprété : il peut être pécuniaire, moral, politique, affectif, important ou minime, direct ou indirect. La prise illégale d’intérêts s’applique à tous types d’actes engageant la collectivité publique : contrats, opérations matérielles, négociations, etc.
Pour être constitué, ce délit n’exige pas une intention frauduleuse, pas plus que la recherche d’un enrichissement personnel. A preuve, un tel délit est constitué dans le versement de subventions accordées par des élus aux associations qu’ils président (cass. crim. 22 octobre 2008 – n°08-82.068). Le délit de prise illégale d’intérêts se consomme donc par le seul abus, même formel, en connaissance de cause, de la fonction d’élu.

Trois dérogations. Heureusement, trois dérogations existent au profit des communes de moins de 3 500 habitants (art.432-12 al.2 à 5 du code pénal). D’abord, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire, peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services, comprenant l’exécution de menus travaux, dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 €. Ensuite, les mêmes peuvent acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement. Mais attention : ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal. Enfin, ces mêmes élus peuvent acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l’évaluation du service des Domaines et l’acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal. Ultimes mises en garde : dans tous le cas précités, l’adjoint, ou le conseiller municipal qui doit traiter avec la commune, doit impérativement s’abstenir de participer à la délibération du conseil relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat. En effet, le simple fait d’assister au vote, même sans y prendre part, génère un fort risque de prise illégale d’intérêts. En outre, cette délibération doit se dérouler publiquement, la possibilité d’un huis clos étant écartée afin d’éviter toute manoeuvre suspecte et de permettre, par la transparence de l’opération, une information exacte des administrés. Enfin, lorsque le bénéficiaire du système dérogatoire est le maire lui-même, le conseil municipal désigne l’un de ses membres pour représenter la commune dans l’acte à intervenir.

Renforcement de la peine d’amende. Qu’on se le dise : tout conflit d’intérêt entre affaires publiques et affaires privées est regardé comme une atteinte à la probité de l’élu local. C’est tout le sens de l’article 432-12 du code pénal. L’usage, semble-t-il, modéré qu’en fait le juge répressif ne saurait égarer. Le renforcement récent de la peine d’amende à laquelle s’expose l’auteur de ce délit incite, au contraire, à une vigilance accrue : 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction (loi n°2013- 1117 du 6 décembre 2013, art. 6) au lieu des 75 000 € qui prévalaient jusqu’alors !

Etienne COLSON,
avocat au barreau de Lille (contact@colson-avocat.fr)