Plus qu’une cession, une métamorphose !

Créée en 1948 à Roubaix, Crouzet agencement avait besoin d’être reprise. Un Centralien lillois n’attendait que cela pour transformer cette vénérable et réputée entreprise en un concept de création sophistiqué et… de son temps.

Jean-Maurice Morque a tout informatisé, même l’atelier bois.
Jean-Maurice Morque a tout informatisé, même l’atelier bois.
D.R.

Le cabinet Addic a dessiné cet agencement du bar face au Grand Stade Pierre Mauroy.

La Gazette. Jean-Maurice Morque, quels sont votre formation et votre parcours avant cette reprise ?

Jean-Maurice Morque. Je suis arrivé de ma Lorraine natale dans le Nord pour y faire mes études. Centralien lillois, j’ai effectué mon service militaire dans la marine qui m’a profondément marqué et formé. Puis j’ai débuté dans la banque, quatre ans très instructifs dans la finance qui m’ont tellement collé à la peau que je pense toujours «chiffres et bilans» avant toute autre considération… Ensuite dix ans dans un grand groupe exportateur de détecteurs de gaz dans des pays atypiques, dans les Balkans notamment. J’y ai appris non seulement à m’accoutumer à des langues différentes, mais la souplesse des contacts humains, l’attention à porter à une foule de choses sans lien apparent entre elles mais très significatives et utiles, une sorte de communication sensorielle avant tout. C’était juste à la chute du Mur et ces pays étaient un peu perdus face au capitalisme. La guerre de Yougoslavie, que j’ai vécue, a fait chuter mon CA de 65%, mais à la fin en 1999 je l’ai redressé. Cela m’a bien préparé à devenir chef d’entreprise plus tard. De retour en France en janvier 2000 je suis devenu directeur général d’une entreprise roubaisienne très performante d’équipements de cimenteries. Là j’ai appris à manager les hommes. Six ans après, à Croix, j’ai créé Baltimore 3P, société où je suis toujours, pour doper l’efficacité commerciale des entreprises par une meilleure utilisation des logiciels. En 2009, j’ai repris Crouzet qui appartenait à un de mes clients.

 Quel a été le facteur déclenchant votre volonté de reprendre une entreprise ?

J’avais déjà créé, et reprendre à 40 ans me semblait plus raisonnable et gérable que de créer à nouveau. D’autant qu’une affaire toute prête se présentait à moi et qu’il fallait faire vite. Je cherchais une société avec un métier identifié, pas forcément le mien, avec du savoir-faire, de la notoriété, une grande qualité de service et des indicateurs de possible développement. Crouzet rassemblait tous ces paramètres. J’ai besoin de défis pour vivre, de réussir, de me battre face à des objectifs précis et ambitieux. J’aime aussi croiser une foule de savoirs et de connaissances éclectiques mais qui toutes vont me servir un jour. La reprise, avec un personnel bien en place et une activité qui n’a pas eu à ralentir pendant la cession, collait à cette quête.

 Quels ont été les facteurs prépondérants dans le choix de cette entreprise ?

Depuis 1948, plus encore en 2004 quand le cédant avait repris la société, elle travaillait sur une multitude de niches de qualité : le sur-mesure et une haute ingénierie dans le meuble pour professionnels. Cela va du bar sophistiqué et ultra-fonctionnel, esthétique qui plus est, aux armoires, tables pour le bijoutier… Bref l’agencement, mais très spécialisé et avec accompagnement du client. Je connaissais Crouzet qui était client chez moi et je savais qu’elle avait des marges de progression. Or, le cédant connaissait des difficultés financières croissantes. D’une certaine façon je sauvais la société en la reprenant. Et le deal était passionnant sur le plan humain, il y avait là un chantier de transformation tous azimuts pour cette entreprise qui me tentait beaucoup. Il s’agit de la productivité commerciale et administrative, domaine que je privilégie et développe quand j’en ai l’occasion.

D.R.

Un autre bar, cette fois au FC Saint-Amand-les-Eaux.

 Combien de temps a pris la transmission ?

Trois mois : premier contact avec le cédant le 3 juillet 2009, lettre d’intention le 15 juillet et signature le 9 septembre 2009.

Les discussions se sont faites en direct, de lui à moi. Je voulais l’aider à se sortir de ce mauvais pas et sauver l’entreprise, j’ai donc payé les dettes. Je connaissais le personnel qui n’a été informé de la cession qu’au tout dernier moment, et il me connaissait aussi. J’ai d’ailleurs beaucoup plus repris une équipe qu’une société, un savoir-faire que des murs.

 Quels ont été vos partenaires durant cette reprise ?

Un comptable commun, le Crédit du Nord pour la trésorerie, la Caisse d’épargne et la BPN − mais j’ai pratiquement tout autofinancé −, puis le Réseau Entreprendre Nord, Oséo et le groupe Total.

 D.R.

Une armoire de rangement sobre et esthétique.

Sur quels critères avez-vous estimé la valorisation de l’entreprise ?

Sur l’endettement, j’ai repris la dette.

 Au final, comment avez-vous trouvé l’entreprise, avez-vous été surpris par certains points ?

Aucune surprise particulière. Je connaissais les problèmes financiers et j’ai constaté que Crouzet avait besoin d’une réorganisation complète, surtout d’une modernisation informatique à généraliser. Et d’une stratégie ! On y perdait beaucoup de temps en raison d’une foultitude de gestes mal calculés, pas rationnels, la communication était inexistante, le personnel mal impliqué, un CA très moyen de 1,2 M€ en résultait car la clientèle était faite de 300 références, dont de grosses structures qui pouvaient partir à la concurrence, et trop d’intermédiaires entre le client et le directeur. Cela faisait fouillis, il n’y avait pas d’idée centrale alors que la notoriété était encore là, sur un marché grand Nord, un peu de Paris et de Belgique.

 Y a-t-il eu des moments heureux ou difficiles durant la reprise ?

Non, le cédant n’a pas fait de difficultés, il était demandeur, tout s’est déroulé paisiblement et dans la totale clarté. On n’a pas négocié et il n’a pas fait d’accompagnement.

 Quels ont été vos axes de travail une fois Crouzet reprise ?

L’aspect commercial et l’implication du personnel. Pour le premier , j’ai multiplié par 10 le nombre de contacts clients qui est passé à 5 000, en maintenant l’équipe de commerciaux en place. Cette rationalisation a été rendue possible par une informatisation qui a touché toutes nos activités, j’ai supprimé le papier et donc rentabilisé les heures payées. Internet est devenu un poumon supplémentaire qui nous permet depuis 2009 d’être particulièrement réactifs dans des domaines délicats. Ce que les autres refusent, nous le faisons, et plus vite que ceux qui s’y risquent… L’autre exigence, c’est la qualité omniprésente du process et de l’objet conçu par notre BE. J’ai investi massivement dans l’informatisation et j’ai mené moi-même les formations. Une autre idée phare, c’est connaître de A à Z le client et ses besoins. Enfin, instaurer ici un climat de convivialité qui accompagne le professionnalisme et que les chefs de service s’investissent eux-mêmes directement dans les projets de la société. Cela peut prendre plusieurs formes. Moi, par exemple, je fais très attention à ma santé. Un chef d’entreprise doit être en forme !

 Trois conseils à donner à un candidat repreneur ?

Avoir dès le départ sa stratégie. Moi c’est le délai de livraison et le risque, plus que le produit lui-même. Ensuite se doter d’un coach. J’en ai deux, ils ne me conseillent pas au sens propre du mot, on échange et je me décide ensuite. Je suis au Club e6, j’en ai un besoin permanent pour échanger, confronter, accumuler un tas d’informations. Je ne prends jamais de décision abrupte. Donc, le réseau d’entrepreneurs est indispensable. Il faut une ouverture vers le monde. L’isolement et le manque de curiosité sont une plaie dans le monde entrepreneurial. 

D.R.

Jean-Maurice Morque a tout informatisé, même l’atelier bois.