Pierre Duponchel : «Il n’y a pas qu’un seul discours économique»

Pierre Duponchel : «Il n’y a pas qu’un seul discours économique»

Le président directeur général du Relais, Pierre Duponchel, était invité dans le cadre des débats du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) Lille Métropole, que préside Etienne Demouy, le 25 janvier à la Cité des entreprises. Le fondateur du Relais a tenté de répondre à la question «Comment la recherche de la performance sociale peut-elle générer un développement économique ?».

Ces déjeuners-débats sont organisés en partenariat avec la Caisse d’épargne Nord France Europe, KPMG, La Gazette Nord-Pas de Calais, ainsi que La Flandre, société d’audit et de courtage d’assurances.

 

 Fils de petits commerçants du Nord de la France, ingénieur Arts et Métiers et promis à une brillante carrière de cadre dirigeant dans l’industrie, Pierre Duponchel abandonne cette voie toute tracée en 1984 pour créer l’association Le Relais. Avec une idée : remettre au travail, par la collecte, le tri et le recyclage du textile usagé, des personnes qui étaient en marge et leur redonner ainsi une place dans la société.

Il a été élu “Entrepreneur social de l’année” en 2009 par la fondation Schwab et le Boston Consulting Group.

 D.R.

 C’est une distorsion entre ce que je vivais en tant que salarié d’un côté et comme bénévole de l’autre côté qui m’a fait prendre le chemin de la performance sociale par l’emploi et la lutte contre l’exclusion. L’ingénieur ICAM que j’étais dans les années quatre-vingt a travaillé six ans sur des produits qui demandaient un investissement avec un temps de retour rapide, qui avait pour conséquence de supprimer des emplois. Parallèlement, j’étais bénévole dans une communauté Emmaüs, d’abord à Cambrai, puis à Bruay-La Buissière. A l’époque, au début des années 1980, il n’y avait pas d’autre choix qu’Emmaüs pour être logé et nourri, moyennant un travail gratuit et une vie en communauté, pour les personnes en fin de droits. J’avais sous les yeux l’ensemble du processus économique et du parcours de ces gens : de l’usine à Emmaüs. J’ai eu envie de voir les choses autrement. Parmi les différents courants de pensée chez Emmaüs, celui du père Léon à Bruay m’a paru particulièrement intéressant. «Il faut laisser les gens vivre leur folie», disait-il en refusant la fatalité. Il prônait une nouvelle forme de travail pour éviter aux gens de se retrouver sans rien après leur fin de droits. Pour moi, ce fut un déclic. J’ai décidé de l’aider à trouver des emplois, pour les plus jeunes notamment : c’est l’origine du Relais, au sein d’Emmaüs, avec la reprise d’une fabrique de peinture. Les jeunes s’y formaient et pouvaient ensuite retrouver le secteur marchand. Nous nous étions laissé deux ans pour monter ce projet et voir ce qu’il donnait. En 1984, lors d’un congrès Emmaüs à Namur, nous avons rencontré l’association belge Terre qui, depuis quatre ans, collectait bénévolement des vêtements et finançait des projets dans le tiers-monde avec leur revente. Nous avons décidé d’appliquer cette idée en France pour ces jeunes au chômage dont nous nous occupions, et de les faire passer du statut de bénévole à celui de salarié. La première collecte du Relais a eu lieu à Arras en 1985, avec un camion racheté à la casse et des camions prêtés par l’association belge. Les 5 à 10 personnes du début sont vite montées à 80 salariés les années suivantes. C’était facile : nous collections et revendions. Les comptes d’exploitation étaient à l’équilibre.

 

Une adaptation vitale aux aléas du marché. Mais à la fin des années quatre-vingt, le prix de revente du kilo de textile s’est effondré, passant de 2 francs à 0,50 franc/kg. Il a donc fallu ouvrir le sac pour tirer et valoriser les vêtements nous-mêmes. Avec pour résultats un nombre d’embauches doublé  et une valeur ajoutée multipliée par le tri. Ce premier cap de changement s’est donc soldé par plus d’emploi et l’apprentissage d’un nouveau métier de fripier. Quelques années plus tard, nous revendions sur des marchés à l’export.

En 1992, une émission d’Envoyé spécial sur les dispositifs d’insertion a été entièrement tournée dans le Pas-de-Calais. Elle montrait l’impasse des parcours de formation proposés dans les quartiers difficiles, qui n’aboutissaient pas à un emploi. Sauf au Relais, où les gens étaient visiblement heureux de travailler. Suite à la diffusion de ce reportage, beaucoup de collectivités territoriales et de porteurs de projet nous ont sollicités pour reproduire l’expérience. Nous n’y étions pas préparés mais avons accepté la coopération, à certaines conditions. Le portrait du futur responsable était le suivant : il fallait trouver quelqu’un qui accepte de travailler 60 heures par semaine, qui soit capable de gérer des problèmes RH avec des personnes dont personne ne veut, qui soit d’accord pour avoir un salaire diminué par deux et qui fasse d’abord un stage de six mois à Bruay ! Sans oublier d’assumer les risques financiers du démarrage. Bref, il fallait des cinglés ! Des cinglés qui aient l’amour des gens et envie de se défoncer. Dix personnes se sont présentées après l’émission. Quatre seulement sont restées jusqu’au bout, permettant d’ouvrir de nouveaux Relais à Chanteloup-les-Vignes, à Mulhouse, à Saint-Herblain et à Favières. A chaque fois, c’était une réponse à une sollicitation sociale.

Quelques années plus tard, le prix du kilo de fripes est repassé à 2 francs/kg. De nouveaux concurrents se sont donc lancés sur le marché, en plaçant des conteneurs de récupération de vêtements. Nous en étions restés à la collecte des sacs déposés en porte-à-porte. Il nous fallait faire la même chose que les concurrents pour ne pas disparaître. Pour ne pas avoir de conséquences négatives sur l’emploi, il a donc fallu placer beaucoup de conteneurs.

Mais en 2005, nouvel écueil : la levée des quotas sur les importations asiatiques a vu l’arrivée massive de vêtements neufs à très bas prix. Notre récupération de vieux textiles perdait d’un coup toute sa valeur. A côté des vêtements réutilisables, quand même sources d’un petit gain, restaient des textiles inutilisables en tant que tels, mais sources de fibres. Pour augmenter les gains apportés par la revente de fibres – alors très bas à l’époque –, nous avons eu l’idée d’appliquer au textile ce qui existait déjà pour financer la fin de vie des appareils ménagers : contribution financière au recyclage. Elle avait vocation à soutenir la filière car, sinon, sa disparition aurait entraîné une mise en décharge du textile et son incinération pour un coût de l’ordre de 100 euros la tonne, soit beaucoup plus que celui du recyclage. Une contribution de 69 euros a donc été mise en place depuis six ans.

 

Un moteur d’innovations et de nouveaux débouchés. Aujourd’hui, il existe en France 28 centres Relais, tous avec le statut de Scop, dont 14 pour le tri, 70 magasins Ding Fring et 2 200 salariés. Le but est toujours identique : lutter contre l’exclusion par l’emploi. C’est le choix de l’emploi, avec une rentabilité au plus juste qui ne rapporte pas… sauf des emplois ! Le meilleur du tri reste en France et le reste part en Afrique, en suivant les circuits commerciaux habituels. Sauf que nous avons décidé d’être aussi utiles en Afrique et d’y créer des emplois en délocalisant une partie du tri sur place. Les excédents liés à cette activité sont réinvestis pour développer des projets adaptés. Au Burkina-Faso en 2003, c’est une activité d’apiculture qui a vu le jour, devenant la plus grosse du pays en rassemblant plus de 1 000 apiculteurs produisant 100 tonnes de miel par an. Au Sénégal en 2006, le Relais local  a développé une activité de cultures maraîchères. A Madagascar en 2008, deux projets sont devenus réalité : une usine de décorticage de riz à l’abandon a été remise en activité tout en réintroduisant les méthodes de culture du riz par le repiquage SRI, et une usine de fabrication de voitures malgaches a été elle aussi remise en état pour refabriquer des voitures à partir des pièces détachées restantes. Un nouveau prototype est même en train de naître. Aujourd’hui, c’est 360 personnes qui travaillent pour Le Relais en Afrique.

En France, à Billy-Berclau, afin de valoriser les fibres de coton qui nous restent et au lieu de les revendre, nous avons lancé en mars 2012 une nouvelle usine qui fabrique un écomatériau que nous avions développé en 2007, formidable isolant et protecteur acoustique pour le bâtiment : le Métisse®. Les logements que nous rénovons via nos activités de logement social (Les Toits de l’espoir) utilisent notamment ce matériau. Nous avons aussi lancé une gamme de peintures à base de matières premières d’origine recyclée, Nérée.

L’aventure du Relais montre que si on veut entreprendre pour la recherche exclusive du profit pour seul moteur, la casse humaine est très importante. Nous avons pris le problème à l’envers, en cherchant une réponse à l’exclusion et en la trouvant dans la création d’emploi adaptés, sans chercher les profits. Et ça marche ! L’image d’une association caritative qui est aussi une force économique et industrielle étonne toujours. Donnons aux entreprises solidaires le droit d’exercer, comme toute autre entreprise. Il n’y en a pas de bonnes ou de mauvaises. Toutes peuvent travailler ensemble. Il n’y a pas qu’un seul discours économique.

 

D.R.

Pierre Duponchel a vanté les mérites de la nouvelle fibre écosourcée en coton, le Métisse®.

A l’issue de sa présentation, Pierre Duponchel a répondu aux questions du public. Florilège.

 

A combien s’élève le montant des subventions que vous  recevez ?

Je n’appelle pas ça des subventions. Sur 100 salariés chez nous, 70 sont en CDI, après avoir bénéficié des 9 800 euros versés par l’Etat par personne et par an, pendant les deux ans d’insertion préalable. Ces CDI font la différence avec les entreprises d’insertion classiques qui touchent ces montants pendant deux ans mais ne pérennisent pas les emplois au bout de cette période. Cette aide de l’Etat pendant deux ans représente pour nous 2 à 3% de notre chiffre d’affaires, alors qu’il monte à 40% pour les entreprises d’insertion classique. Je précise aussi que le turn-over est en moyenne de 5 ans chez nous, certains étant là depuis 30 ans.

 

Quels sont les objectifs de rentabilité pour financer le développement ?

Comme dans toutes les entreprises, notre objectif est de nous développer et d’arriver au moins à nous autofinancer. Notre statut de Scop est particulier parce qu’il demande le respect des exigences suivantes : rendre les salariés (de plus de 5 ans) sociétaires et détenteurs de 51% du capital, élire un président pour 5 ans. Mais ces sociétaires ne touchent aucun dividende puisque tout est réinvesti. Ce statut donne du pouvoir, mais pas d’argent.

 

Quelle est l’échelle de salaires ?

Elle est de 1 à 5 dans les statuts, mais en pratique, elle va de 1 à 3.

 

Procédez-vous à des licenciements ?

Oui. Avec des procédures identiques qui peuvent aller jusqu’aux prud’hommes. Mais pour en arriver là, nous sommes arrivés au bout du bout, après avoir tout tenté sur le terrain, dans un esprit de transparence. Les décisions sont expliquées et validées dans le dialogue. Le dirigeant ne fait que les entériner.

 

Y a-t-il une gestion de carrière, avec un accompagnement de vos salariés ?

Notre but c’est l’être humain. Chacun doit grandir individuellement pour faire à son tour grandir l’entreprise. Nous avons un plan de formation qui représente 2% de la masse salariale. Mais il faut savoir que ces personnes en insertion sont gavées de formation quand elles arrivent. C’est quand elles arrivent en CDI, et en moyenne au bout de 5 ans, qu’elles acceptent mieux un nouveau parcours de formation, cette fois choisi et pas imposé.

Notre agence d’intérim d’insertion de Bruay (Interinser) peut également accompagner nos salariés dans leur nouveau projet professionnel.

 

 Quel sera le relais du Relais après l’équipe fondatrice ?

Il existe aujourd’hui 28 centres qui fonctionnent sans Pierre Duponchel ! Même en Afrique ! L’essentiel est d’avoir des personnes qui partagent et qui incarnent notre démarche. Mais il nous aussi de nouvelles compétences car nous sommes en train de vivre un virage important en ce moment. Avec nos 2 200 salariés et nos entreprises, nous sommes en train de créer une union de Scop Le Relais France, dont la mission est de préparer l’avenir et de se mettre au service des différentes structures pour gérer les financements, la communication, les questions juridiques, etc.

 

Combien de conteneurs  avez-vous en France ?

Entre 15 000 et 16 000. Le chiffre n’est pas encore à jour pour 2012. Nous en avons posé 3 000 l’année dernière, et ce chiffre est en augmentation. Tout comme le vandalisme  d’ailleurs.

 

Comment faire pour aider Le Relais ?

En faisant poser de nouveaux conteneurs et en nous aidant dans nos démarches auprès des collectivités : 500 nouveaux conteneurs entraînent la création de 50 nouveaux emplois. Nous avons fait cette demande à LMCU et attendons toujours la réponse.

 D.R.