Philippe Descamps : « Il faut savoir se mettre en déséquilibre avant »

Philippe Descamps, directeur de l’usine Renault Georges-Besse à Douai était invité le 5 mars à la Cité des Entreprises dans le cadre des débats du CJD (Centre des jeunes dirigeants) Lille Métropole que préside Etienne Demouy. Il a tenté de répondre à la question : « Comment se mettre en capacité de rebondir face à la crise ? ».

Philippe Descamps : « Il faut savoir se mettre en déséquilibre avant »


D.R.

Philippe Descamps : "Le vrai problème était de croire que nous étions les meilleurs"

 

Après trois années passées à la direction de l’usine de Renault-Douai, Philippe Descamps, 60 ans, se voit attribuer début avril un poste à l’échelon européen à Paris. Ce Nordiste formé aux ressources humaines a travaillé quinze ans dans la sidérurgie en France et en Belgique avant de rentrer dans l’automobile chez Renault en 1995 en intégrant l’une des filiales (MCA), puis en occupant le poste de directeur général délégué de STA (Société de Transmissions Automatiques) autre filiale commune à Renault et PSA, sise à Ruitz (62). Son successeur à Douai, Franck Naro, 44 ans,  prend ses fonctions au 1er avril.

Avant de quitter l’usine douaisienne, Philippe Descamps explique les solutions qu’il a mises en place pour rebondir face à la crise qui secoue l’automobile depuis plusieurs années :

Je suis arrivé à l’usine de Douai en 2009. La crise avait commencé un an avant. C’était la fin du renouvellement de Scénic, de Grand Scenic et le démarrage du Coupé Cabriolet  Megane. Malgré ça, l’usine était en difficulté au niveau de sa performance physique : de 470 000 voitures en 2004, 2 300 véhicules produits par jour, elle était  passée à 190 000 en 2009. Malgré cette baisse drastique, la mentalité du personnel  mais aussi de nos partenaires sociaux-économiques était toujours que nous étions les meilleurs sur le marché ! Dans cette situation de crise où les enjeux économique sont  très importants, il convenait d’être méthodique pour trouver des solutions au problème. En commençant par l’expliquer !

Ce préalable a été le plus décisif pour rebondir. Cela a été le premier étage de la fusée du changement. Ce n’était pas en se regardant le nombril, en restant sur un focus franco-douaisien que les choses allaient avancer.  Le vrai problème était de croire que nous étions les meilleurs et que l’Etat et la Région Nord-Pas-de-Calais étaient les seuls par lesquels pouvait venir le salut, comme un dû ! Au contraire, c’est en se comparant aux meilleurs que l’on peut avoir des perspectives. Il fallait expliquer la réalité des choses, sur le terrain, en interne, mais aussi en externe : il y a 20% de surcapacité en Europe… et chez nous aussi ! Mais ce n’est pas une fatalité.

Avec l’équipe de direction, nous avons donc passé de longues semaines à faire de la pédagogie, à voir et à communiquer avec les 5 500 personnes, car elles sont toutes acteurs du projet. Il s’agissait de donner des messages clairs, de donner des indicateurs précis, de faire admettre à tous qu’il y avait des points forts, certes, mais aussi des points à développer. Il fallait présenter l’usine de demain. Ce fut un travail de longue haleine, mais nous avons réussi à faire basculer les mentalités pour les rendre prêtes à affronter les défis de l’avenir.

En 2011, l’annonce de Renault d’investir 420 millions d’euros dans notre usine de Douai est arrivée trop tôt à mon avis. Les gens étaient contents. Mais le changement culturel n’était pas encore assez ancré. La remise en cause, aussi bien collective qu’individuelle, n’avait pas été assez profonde. Il fallait absolument maintenir la pression sur l’évolution culturelle. Parmi les actions, nous avons continué à emmener l’ensemble du personnel, de l’opérateur au chef d’équipe, par petits groupes de 20 personnes par semaine, chez les concessionnaires : pour qu’ils soient devant la réalité du client et qu’ils puissent intégrer les changements par eux-mêmes en fonction des témoignages reçus. A côté de ces visites et de ces réunions, nous avons mis au point une communication adaptée en organisant par exemple des rencontres du personnel, une fois par an, par amphi de 700 personnes : pour dire les choses de manière directe sur la réalité factuelle du changement et répondre aux questions.

Nous avons saisi toutes les opportunités pour montrer nos capacités et renforcer l’image positive du site. Par exemple pour les 40 ans de l’usine, nous avons organisé des portes ouvertes et en une journée et demie nous avons accueilli plus de 15 000 visiteurs. Nous avons montré un site en mouvement et résolu à rebondir malgré la conjoncture.

La conduite du changement passe donc par la mise en déséquilibre avant du système. Le « Challenge Douai 2016 » fixe clairement  les enjeux pour faire de Douai une usine haut de gamme, performante, qui sera capable de faire 300 000 voitures en trois équipes sur un monoflux comme les meilleurs références internationales. A ce niveau, il n’est plus question de se poser la question de « quoi faire » mais de « comment faire ». Et Douai est la première usine du groupe productive en idées ! Quand on sait leur faire confiance, les acteurs de l’usine s’expriment  facilement.

Aujourd’hui, nous sommes au milieu du gué, et l’usine est en plein travaux.  Notre activité est à un niveau bas, c’est difficile, c’était annoncé, sauf que la crise est plus profonde que prévue. Renault résiste mieux car on fabrique et on vend à l’international. Nous allons bientôt signer l’accord de compétitivité, inspiré par celui de Sevelnord. Il va nous permettre de réduire l’écart avec nos concurrents internes à l’Alliance Renault/Nissan et de gagner de nouveaux marchés.

En conclusion, je dirais que les voies du changement passent par la communication, personnalisée auprès de chaque salarié, et par le partage du projet. Un combat n’est jamais gagné ! Il faut toujours savoir se remettre en question, car la stabilité et les certitudes ont failli nous tuer. C’est le déséquilibre avant dont je parlais tout à l’heure qui est gagnant : c’est lui qui permet d’avancer.

A l’issue de sa présentation, Philippe Descamps a répondu aux questions du public. Nous en avons sélectionné trois.

La concurrence internationale doit-elle passer par la délocalisation ?

Philippe Descamps : La délocalisation n’existe pas ! On fabrique des voitures là où le marché se développe. C’est le cas au Maroc : l’usine de Tanger n’est pas une fuite, mais une réponse à une demande. C’est la même chose avec le Duster fabriqué en Russie et en Inde.

Qui sont vos concurrents aujourd’hui ?

Philippe Descamps : Ce n’est plus WW ! Les Chinois et Hyundai sont et seront les concurrents n°1 dans le monde, pour tous les constructeurs automobiles. La lutte est possible, avec des produits à forte valeur ajoutée y compris au niveau des moteurs et des boîtes de vitesse.

Dans le cadre du développement durable, est-il encore nécessaire de changer de voitures tous les cinq ans ?

Philippe Descamps : Nous allons vers une vraie mutation. La voiture électrique va s’imposer, avec plus d’autonomie dans les prochaines années. On peut imaginer des offres différentes : un achat de kilomètres pour les trajets du quotidien, puisque 80% des Français ne dépassent pas les 60 km par jour. Et pour les plus longs trajets (les vacances, par exemple), l’offre serait différente. Il faudra aussi compter sur des véhicules autonomes dans leur conduite avec de l’informatique embarquée de haut niveau. Nous sommes en mutation permanente et nous devrons toujours anticiper et nous adapter.

D.R.

"Il n’est plus question de se poser la question de « quoi faire » mais de « comment faire».