Peut-on lutter contre les recours abusifs ?
Le plan d’urgence en faveur du bâtiment prévoit deux mesures destinées à endiguer les recours abusifs engagés contre les permis de construire. Si l’intention est louable, le problème s’avère plus complexe et des outils de lutte existent déjà.
Le 21 mars dernier, François Hollande a dévoilé le plan d’urgence du gouvernement en faveur du logement et du bâtiment, dont la «mesure n° 4» qui consiste à lutter contre les recours abusifs engagés contre les permis de construire. Sur demande des professionnels de l’immobilier, les gouvernements successifs ont tous essayé de lutter contre cette pratique qui retarde ou empêche les mises en chantiers et renchérit le coût des projets. Plusieurs lois ont été votées en ce sens, mais sans grand succès. Le problème est plus complexe qu’on ne le croit car la lutte contre les recours abusifs doit se concilier avec le droit de recours des tiers, indispensable dans un État de droit. En pratique, il est souvent très délicat de distinguer un recours légitime d’un recours abusif. La réponse varie substantiellement selon le point de vue : le maître d’ouvrage considère facilement comme abusifs les recours dirigés contre son projet, alors que les requérants estiment généralement leur combat parfaitement légitime. Dans ces conditions, comment faire le tri entre ces recours ? Certains proposent de pénaliser financièrement les parties perdantes, mais une telle solution ne semble pas pertinente car un recours qui échoue n’est pas nécessairement abusif. En outre, l’accès de tous à la Justice doit être préservé et il serait injuste que seuls les plus fortunés osent former des recours.
Hausse des amendes peu dissuasive
Pour sa part, le président de la République a annoncé deux mesures. La première consiste à alourdir le montant des amendes que le juge peut prononcer lorsqu’il estime le recours abusif, en le portant de 3 000 à 10 000 euros. Séduisante au premier abord, une telle mesure risque cependant d’être peu efficace. En effet, de telles amendes existent déjà et, si elles ne suffisent pas à endiguer les recours abusifs, ce n’est pas en raison de leur montant insuffisant, mais parce que très peu de recours peuvent être qualifiés d’abusifs. Pour qu’un recours soit jugé abusif il faut que le juge relève qu’il est exercé dans un but détourné (tentative de chantage financier, volonté de nuire au promoteur, combat politique, etc.) ou qu’il est dépourvu de tout argument suffisamment sérieux, ou encore que le requérant s’est obstiné inutilement. Peu de recours relèvent de ces catégories. Il est donc peu probable que l’augmentation des peines encourues parviennent à dissuader les requérants d’agir. D’ailleurs, un mécanisme bien plus dissuasif existe déjà puisque les maîtres d’ouvrage victimes d’un recours abusif peuvent poursuivre les requérants devant les juridictions civiles et leur réclamer de lourdes indemnités. Une récente décision vient, par exemple, de condamner l’auteur d’un recours abusif contre un projet de grande envergure, à verser plus de 300 000 euros d’indemnités au promoteur. Si les promoteurs décidaient plus souvent de mettre en oeuvre ce type de procédure, lorsque c’est possible, l’effet préventif et dissuasif serait bien plus efficace que les mesures envisagées par le gouvernement.
Durée excessive des procédures
Mais le vrai problème ne se situe pas là. En réalité, bien plus que les recours abusifs, le véritable fléau, ce sont les délais de jugement des recours. En dépit des efforts considérables consentis par les tribunaux administratifs pour juger vite, un recours contre un permis de construire devant un tribunal administratif dure encore environ 18 à 24 mois, auxquels peuvent s’ajouter la durée d’un éventuel appel et d’un pourvoi en Cassation. Ce qui rend les recours difficilement supportables pour les maîtres d’ouvrage, c’est cette durée excessive. Car durant ce temps, le porteur d’un projet ne peut généralement ni obtenir de financement bancaire, ni vendre à ses clients, en raison de l’aléa juridique qui pèse sur le projet et qui bloque à la fois la banque et le notaire. Les requérants le savent bien et en jouent. C’est précisément sur ce point que porte la seconde mesure annoncée par le président de la République : réduire la durée des procédures, avec pour ambition de la diviser par deux. On touche ici le véritable problème et cette annonce suscite donc un grand espoir. Mais dans le contexte budgétaire actuel, une telle ambition est-elle réaliste ? Car comment juger plus vite, si ce n’est en recrutant davantage de magistrats dans les tribunaux administratifs ?