Patrick Masclet : «Le rôle des communes est fondamental dans la cohésion sociale du pays»

Les maires du Nord tiendront congrès à Douai le jeudi 6 octobre. On les sait très inquiets sur le devenir de leurs communes, notamment du fait de la baisse des dotations par l’État, mais pas que… Entretien avec le président de leur association, Patrick Masclet, sénateur et maire d'Arleux.

Patrick Masclet.
Patrick Masclet.
D.R.

Patrick Masclet.

 

La Gazette. L’esprit du 19 septembre, qui a vu quelque 400 maires et élus locaux du département répondre à votre appel à la mobilisation et manifester devant les grilles de la préfecture, est-il encore d’actualité à quelques jours du 61e congrès ? 

Patrick Masclet. J’ai dit à l’époque que les maires étaient entre colère et résignation. Ils sont encore dans le même état d’esprit. Certains de ceux que je rencontre se disent en colère quand d’autres baissent les bras, comme s’ils étaient touchés par la fatalité. La baisse des dotations est la raison essentielle de leur colère. Cette baisse des dotations, malgré l’annonce d’une réduction de moitié pour 2017, est toujours une réalité et l’annonce par Manuel Vals, le 5 septembre à Bourg-en-Bresse, d’un gel du fonds de péréquation intercommunal, dont une partie est obligatoirement réorientée vers les communes (sauf accord local), n’améliorera pas leurs recettes. Le sentiment des maires est qu’ils n’y gagnent rien au final.

Mais là où le ras-le-bol, est général, c’est sur le sentiment que l’État leur transfère un certain nombre de choses qui sont du domaine des compétences régaliennes, notamment en matière de sécurité. Au manque de marge de manœuvre financière, les maires ajoutent aujourd’hui l’absence de libre choix de l’usage des deniers publics. L’État les impose, via la loi pour l’accessibilité des lieux recevant du public, pour les nouvelles activités périscolaires (NAP), via les circulaires préfectorales pour la sécurité. Leur ressenti est que trop de dépenses communales sont dans les faits imposées par l’État. On peut certes considérer qu’il y a des vertus à la baisse des dotations, comme le considérable ralentissement de la masse salariale dont fait état la Cour des comptes et l’Association des maires de France, preuve que les maires se sont interrogés. Mais ce mieux n’a pas été conforté par les NAP. Les maires attendent de l’État davantage de souplesse normative et de liberté dans une organisation devenue un vrai système inégalitaire : selon votre lieu d’habitation, tantôt vous faites de l’escrime, tantôt vous enfilez des perles ! Je ne crois pas en cette République qui crée des différences comme celles-là ! Voilà ce qu’ils disent. Entre colère et résignation, cela n’a pas changé, hors pour ceux qui étaient en colère : ils ont durci leur colère car l’Etat continue d’en rajouter !

 

Lors du 99e congrès de l’Association des maires de France, François Hollande, avait annoncé une réduction de moitié, à 1 Md€, de la baisse des dotations au bloc communal et une augmentation à 1,2 Md€ (+200 M€) du fonds d’investissement exceptionnel des communes. Pour autant, l’Association a décidé d’organiser en mars 2017 un «rassemblement exceptionnel» des élus. Qu’est-ce à dire ? 

C’est une bonne nouvelle pour les communes, sauf que les Départements et les Régions n’ont rien eu et, pour autant, ils continuent de contribuer à aider les communes. Cela devient compliqué pour eux aussi. Quant au fonds d’investissement exceptionnel des communes, s’il s’est ouvert aux communes rurales, du fait de son fléchage, elles sont passées à la trappe et n’en ont profité que les communes qui disposaient d’ingénierie et/ou étaient classées en politiques prioritaires de l’État. Au final, trop peu de communes en ont bénéficié.

Nous n’avons aucune raison de lâcher quoi que ce soit. L’Association des maires de France répète à qui veut l’entendre que le rôle des communes est fondamental dans la cohésion sociale du pays. Cette dimension de cohésion et de portage par les communes n’est pas suffisamment portée par l’État. Tout concourt à la suppression des communes. Nos revendications ne sont pas que d’ordre financier. Elles portent aussi sur la stabilité dans les schémas d’intercommunalité. Dans ce «big is beautiful», l’État continue de penser plus c’est gros, mieux c’est. Ce n’est pas une erreur, c’est une faute. Ce n’est pas moi qui a écrit que les intercommunalités étaient les communes de demain… Nous restons campés sur nos positions. Nous aimons les communes de France parce que nous aimons la relation humaine avec nos concitoyens, parce que nous essayons de répondre à leurs attentes, à leurs besoins d’équipement et de modernité. Et pour cela, il faut arrêter de nous ponctionner. 

 

La Dotation globale de fonctionnement (DGF) doit faire l’objet d’une quatrième réforme . Risque d’enterrement, de simple toilettage, réforme globale ? Le président de la République avait annoncé lors du 99ème congrès de l’AMF, qu’au côté du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2016 (PFLSS), il y aurait un projet de loi de finances des collectivités (FLFC). Le sujet est brûlant pour les communes confrontées à des défis budgétaires… 

La DGF, quelle arlésienne ! L’injustice est considérable avec des dotations qui vont de 1 à 3 pour une même population. Personne n’y comprend plus rien. Le gouvernement a certes reculé au vu de l’ampleur du sujet, mais je pense aussi que l’élection présidentielle doit y être pour quelque chose. C’est un très gros chantier qui va créer un remous extraordinaire.

 

On reparle beaucoup d’un renforcement de la péréquation entre collectivités territoriales, dont le bloc communal. Les communes rurales se sentent parfois un peu abandonnées. Un sentiment justifié ? 

Je le crois vraiment. À regarder la DGF par habitant d’une commune rurale et d’une commune plutôt urbaine bénéficiant d’une dotation de solidarité urbaine ou d’une dotation de solidarité rurale, le rapport est de 1 à 8. Ce sont plutôt ces maires-là qui sont résignés, prennent cette situation avec fatalisme et disent «le mouvement est en marche». L’intercommunalité a plutôt joué le rôle d’amortisseur dans leur cas sans être la panacée. Tout ceci contribue au mouvement de transfert progressif et d’affaiblissement communal. Les maires ruraux doivent y prendre garde. 

 

L’État incite les communes à fusionner. L’an dernier, 921, dont 4 dans le Nord, ont franchi le pas et 400 nouvelles devraient le faire cette année. A quelles objectifs doivent répondre ces fusions pour être acceptables ? 

Le maintien des dotations est un leurre. D’abord par son caractère transitoire : trois ans. Ensuite, parce qu’il faut un projet. Quand les communes sont «dans les murs», la fusion est imaginable. Quand il y a des distances, notamment dans le monde rural, il ne faut pas inciter les communes à s’engager dans ce processus de fusion. Les maires du Nord n’ont pas répondu à cette sollicitation. C’est qu’il faut un projet politique, un projet de vraie mutualisation, de fusion, et non pas pour une période transitoire qui ne signifie rien. Je suis très réservé sur cette opportunité. Certains départements comme la Manche ont fait ce pari, mais aujourd’hui on entend davantage parler de divorces que d’unions. Une commission d’enquête du Sénat s’est saisie du sujet. 

 

Le congrès 2015 a reçu Jean-René Lecerf, nouveau président du conseil départemental du Nord, venu signifier que le Département se portait «très mal». Comment les communes ont-elles vécu cette nouvelle donne ? Attendez-vous qu’il retrouve ses marges de manœuvre ? 

Elles sont là. Elles sont certes faibles et dans des enveloppes modestes, mais les premiers éléments sont plutôt satisfaisants, notamment au regard de la Chambre régionale des comptes. Guy Bricout, vice-président du Conseil départemental en charge de l’aménagement du territoire, sera présent au congrès pour expliciter les nouvelles politiques mises en œuvre, notamment le soutien aux projets territoriaux structurants et l’aide départementale aux villages et bourgs. Le Département retrouve des marges de manœuvre, mais ce ne sont plus celles qu’on a connues… D’ailleurs, la loi NOTRe a mis fin aux financements à 80% pour ne plus permettre que des financements à 70%. A charge pour les communes de trouver ces 30%.

On a vraiment changé de logiciel. Non sans conséquences : une étude de la Banque postale révèle une baisse des investissements communaux de 5% l’an tant en 2015 qu’en 2016, et certains secteurs d’activité vivent difficilement cette baisse de la commande publique. La mise à disposition de l’ingénierie par le Département va faire du bien en permettant de répondre au problème n°1 des petites communes, qui est la complexité du montage des dossiers. Peut mieux faire donc, mais le contexte n’est pas aisé. Pour preuve encore, nombre d’intercommunalités ont des fonds d’investissement solidaires envers les petites communes pour abonder leurs projets, mais un certain nombre de maires renoncent à ces fonds et replient leurs projets faute de pouvoir réunir les 30% nécessaires.

 

Avez-vous le sentiment que les nouveaux dispositifs départementaux au service des projets des communes et des EPCI répondent aux attentes ? 

Non, cela ne suffit plus. Les maires nous disent thésauriser un peu, en attendant d’avoir la capacité d’autofinancement pour chercher des aides, et avoir ralenti leurs investissements. Tout le monde regarde avec inquiétude cette baisse des investissements. Auparavant, une équipe municipale se projetait sur deux ou trois projets majeurs sur le mandat, aujourd’hui elle se limite à un projet. Tel est l’état des lieux. Ce qui peut expliquer les 375 démissions que nous avions enregistrées en juin 2015, soit autant que sur toute la durée d’un mandat précédemment. «On avait promis, c’est trop compliqué, il n’y a plus d’argent» : c’est l’argument qui revient le plus souvent.

 

L’an dernier, le congrès a reçu Jean-François Cordet. Cette année, ce sera Michel Lalande, arrivé à la tête de l’État en région début mai. L’accueil était l’an dernier pour le moins mitigé. Qu’en sera-t-il cette année ? 

Je n’en sais rien, mais je suis sûr qu’il ne faut pas avoir peur de poser les bonnes questions, même si elles fâchent. Il faut que les hauts fonctionnaires aient la réalité de ce qui se passe actuellement sur le territoire. On ne peut pas dire que tout va bien. Il faut vraiment que le préfet sente ce que ressentent les maires. Les sujets sont là, il doit être à l’écoute, surtout dans ce climat d’insécurité permanente, de flux migratoires, de démantèlements de camps, de population de culture rom qui sont autant de sujets extrêmement délicats auprès de nos populations.

 

Et vos relations avec la Région ? N’a-t-elle pas un penchant naturel vers les intercommunalités, dont on sait qu’elles n’ont pas toute votre faveur ? 

Une confidence que vous pouvez publier… J’ai dit à mon ami Xavier Bertrand : «Tu réussiras ton rôle de président de Région quand tu seras le maire de la Région. Quand tu auras gagné ce pari, alors cela signifiera que tu te seras davantage intéressé aux problèmes des gens.» Il n’est pas certain que s’appuyer sur les intercommunalités qui peuvent avoir un rôle structurant d’aménagement suffise. Il faut être encore plus ambitieux dans la vision de l’organisation du territoire. Je suis certain qu’il partage cette conviction et je l’appelle déjà “Monsieur le Maire de la Région”… Il est vrai qu’il doit s’intéresser aux intercommunalités, sauf que je l’ai trouvé aussi très attentif sur des dossiers communaux, à commencer par le plan de la sécurité.

 

Récemment, Jean-René Lecerf a pu déclarer que «se voir aujourd’hui prouve que le département existe toujours» pour s’en réjouir et afficher sa détermination. Quel est votre sentiment ? 

Comme pour les départements, la question est : veut-on encore des communes en France ? A force de les assécher financièrement, de dire que la solution est à l’intercommunalité, de leur rajouter des charges… C’est le nœud gordien. Je continue de penser que la nécessaire cohésion du peuple français et son unité passent par l’action des 500 000 élus locaux. Le jour où ils ne seront plus là… Leur présence est fondamentale, presque un choix de société. Par rapport à leur utilité, les communes ne coûtent rien. Il faut marquer notre détermination à ne pas mourir, éviter le stade de la colère, négocier avec l’État. Il est difficile d’imaginer une posture de l’État qui oublie et néglige les élus communaux.