Pascal Cochez parie sur la dentelle
Pascal Cochez, repreneur de Noyon-Darquer et de Desseilles en novembre dernier, poursuit ses acquisitions dans l’industrie dentellière des Hauts-de-France, fort éprouvée.
Le chef d’entreprise de Valenciennes vient de reprendre coup sur coup les dentelliers calaisiens Boot et Cosetex, ainsi que les Dentelles Méry à Caudry. Dans un contexte d’activité ultra baissier, où les clients de la lingerie, de la corseterie et du prêt-à-porter traversent la crise sanitaire et ont vu leurs ventes s’effondrer, le dirigeant, nouveau venu dans ce milieu confidentiel, ne manque pas de surprendre.
Covid ou pas, les mouvements tectoniques secouent toujours l’industrie de la dentelle de Calais et de Caudry. En 2019, l’activité des derniers dentelliers de France avait dévissé d’au moins 30%, l’année précédente étant déjà atone dans une filière n’employant pas plus d’un demi-millier de personnes dans la région. Sur les deux places, les mauvaises nouvelles se succédaient : risque de défaillance de Noyon et de Desseilles à Calais, de Bracq et d’autres à Caudry. Les autorités publiques multipliaient alors les contacts et les visites pour pousser la filière à «se rassembler», c’est-à-dire à fusionner pour demeurer sur un volume qui vaille la peine de faire tourner les machines… et de déclencher (encore) quelques aides publiques.
Ainsi, l’année 2019 se clôturait sur une reprise de Noyon-Darquer couplée à celle de Desseilles par Pascal Cochez, établi dans d’autres activités entrepreneuriales en Hauts-de-France, via son groupe qui pèse 30 millions d’euros. «Personne ne s’est précipité à l’époque, rappelle le repreneur qui a été aidé par le Conseil régional. Dans un premier temps, il fallait sauver la filière. Désormais, nous établissons une stratégie d’entreprise basée sur la formation d’une holding Calais dentelles avec ses filiales dédiées. Un secteur ‘robe’ avec Darquer et Méry ; un secteur ‘lingerie-corseterie’ avec Noyon et un secteur ‘développement innovation’ avec Desseilles. On pense au sport, au médical notamment.» Des idées qui ont déjà été testées par une partie des dentelliers des deux places.
Une crise générale de plus
Avec près de 180 métiers (Leavers et Jacquard), le groupe dentellier de Pascal Cochez possède de nombreuses machines pouvant travailler des fils et matières divers. «Mais ou sont les clients ?» se demande un vieux routier du métier… D’après nos informations, tous les dentelliers sans exception affichent une chute énorme de leurs commandes depuis la crise de la Covid ; la plupart n’ont plus aucun métier qui tourne. Les plus grands – Sophie Hallette, Solstiss et Darquer-Desseilles – n’ont que quelques machines qui produisent. Le premier, plus grand dentellier dans le monde, qui emploie près de 200 personnes, facturait 22 millions d’euros en 2017 : ce pourrait être la moitié en 2020… Solstiss facturait 14,6 millions en 2019 : l’entreprise de la famille Machu pourrait être sous la barre des 10 millions en 2020. Darquer-Noyon se tenait péniblement au-dessus de la même barre jusqu’en 2019 : même avec Desseilles, son activité pourrait être réduite de moitié cette année. «Personne n’a jamais vu ça dans la dentelle», soupire Michel Machart, ancien cadre chez Noyon et expert textile pour divers groupes dans le monde.
Les clients lingers-corsetiers ne voient pas le bout du tunnel depuis trois ans. Ainsi, Lise Charmel réduit considérablement ses commandes depuis son redressement judiciaire ; la filiale britannique de Victoria Secret est également en dépôt de bilan ; Zara ferme 1 000 magasins ; Vandevelde est victime d’une concurrence féroce sur ses produits de luxe par des acteurs asiatiques et ses fournitures se sont orientées conséquemment vers l’Asie. C’est dans ce contexte «apocalyptique» que l’audacieux repreneur a choisi d’élargir ses acquisitions avec trois dentelliers, dont deux étaient logés sur le même site de Darquer-Desseilles. Cosetex est en liquidation judiciaire depuis le début de l’année et vivotait depuis une décennie avec plus ou moins 100 000 euros de chiffre d’affaires annuel. L’entreprise dispose de deux métiers Leavers. Boot est un fabricant particulier à Calais : avec les derniers métiers Leavers «fins points», l’entreprise dispose de capacités techniques très élaborées, mais souffre comme les autres d’un manque cruel de compétences pour en tirer le meilleur. Boot ne fonctionnait plus vraiment depuis 2014 et ses métiers avaient été achetés par Olivier Noyon dans les dernières années de son mandat chez Noyon.
Un va-tout ?
A vendre depuis quelques années, les Dentelles Méry, spécialisées dans la robe, disposent de 76 métiers Leavers à montage spécifique. Quelques niches assurent depuis longtemps une certaine pérennité ; preuve en est quelques exemplaires dans ses collections qui ont une réputation mondiale. Mais là aussi l’activité est faible depuis quelques mois. Un seul repreneur s’est clairement intéressé au dossier Méry, personne à Caudry ou à l’étranger. Le nouveau groupe cherchera à mutualiser ce qu’il peut et notamment ses équipes commerciales, mais Pascal Cochez prend un risque conséquent avec ces acquisitions. Même si l’investissement total pour les trois entreprises ne dépasse probablement pas 700 000 euros, il reste que les marchés de toutes les entités sont en recul depuis plusieurs années et que les clients actuels (lingerie-corseterie, robe, prêt-à-porter) ne se portent bien. Acheter des capacités productives quand le marché est bas peut permettre de surfer sur la vague, mais la prochaine déferlante pourrait bien tout emporter.